Les sages jugent conforme l'interdiction de production en France des pesticides contenant des substances interdites dans l'UE. Le législateur doit tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à l'environnement à l'étranger.

La production des pesticides non approuvés dans l'UE sera bien interdite en France à compter du 1er janvier 2022. Le Conseil constitutionnel a jugé, ce vendredi 31 janvier, que cette interdiction était conforme à la Constitution.

Cette décision est rendue dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP) à l'appui d'un recours contre la circulaire du 23 juillet 2019 relative à l'entrée en vigueur de cette interdiction votée dans la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole (Egalim). Cette dernière prévoit que « sont interdits, à compter du 1er janvier 2022, la production, le stockage et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées par l'Union européenne pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou de l'environnement ».

L'UIPP, qui regroupe 19 entreprises parmi lesquelles BASF, Bayer ou Syngenta, contestait cette interdiction, qui leur interdit les exportations, sur le fondement de la liberté d'entreprendre. L'organisation professionnelle, à laquelle s'est jointe l'Union française des semenciers (UFS), estimait cette interdiction sans lien avec l'objectif de protection de l'environnement et de la santé dans la mesure où les pays importateurs continueront à s'approvisionner auprès de concurrents installés hors de l'Hexagone. Dans un courrier, en date du 18 novembre 2018, révélé par Le Monde, l'organisation professionnelle attirait l'attention du Premier ministre sur l'impact économique et social de cette interdiction qui menacerait « plus de 2 700 emplois (...) sur 19 sites de production répartis sur l'ensemble du territoire ». 

Objectif de protection de l'environnement à valeur constitutionnelle

En s'appuyant sur le préambule de la Charte de l'environnement, le Conseil constitutionnel juge que « la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle ». Il affirme qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation de cet objectif et de celui de protection de la santé, à valeur constitutionnelle également, avec l'exercice de la liberté d'entreprendre. « À ce titre, le législateur est fondé à tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à l'environnement à l'étranger », jugent les sages.

"Non seulement le Conseil constitutionnel assure la prééminence de la protection de l'environnement grâce à la reconnaissance de cet objectif mais il le fait à partir d'une phrase ("patrimoine commun") qui nous invite à repenser le droit de l'environnement au-delà de nos frontières nationales", analyse l'avocat Arnaud Gossement. Pour cette raison, cette décision constitue "une avancée majeure pour la protection de l'environnement et son droit", explique ce dernier.

En l'espèce, le Conseil constitutionnel estime que le Parlement a assuré une conciliation des objectifs constitutionnels de protection de l'environnement et de la santé avec la liberté d'entreprendre qui n'est "pas manifestement déséquilibrée", notamment en ayant différé l'interdiction à 2022. Ce qui laisse un délai de plus de trois ans aux entreprises pour adapter leur activité.

"Faire primer l'intérêt général sur quelques intérêts privés cyniques"

"En validant l'interdiction de ces exportations qui exposent des populations et des écosystèmes entiers à des produits néfastes, le Conseil constitutionnel a fait primer l'intérêt général sur quelques intérêts privés cyniques", se félicite Raymond Léost, pilote du réseau juridique de France Nature Environnement (FNE). L'association Générations futures se réjouit également de cette décision rendue « malgré le lobbying acharné de l'UIPP et son chantage à l'emploi ».

Cette dernière n'entend pas abandonner pour autant la bataille. « Convaincue de la nécessité de préserver l'emploi et les capacités d'investissement en recherche dans de nouvelles solutions de protection des cultures au service de la transition écologique », l'organisation professionnelle indique qu'elle « étudie les voies juridiques possibles ».

L'interdiction avait déjà fait l'objet de tentatives de remise en cause dans le passé. Une dérogation et un report avaient été votés en avril 2019 dans la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », avec le soutien du Gouvernement. Mais le Conseil constitutionnel était déjà venu repousser cette tentative d'affaiblissement, en considérant cette mesure comme un cavalier législatif.

 

Source : Actu-environnement