Qu’est ce que la connaissance du génome des plantes peut apporter à l’agriculture ?

Gilles-Éric Séralini. Beaucoup. Les connaissances sur les gènes viennent d’ailleurs d’OGM en milieu confiné qui ne provoquent pas de débat social aujourd’hui.

Les gènes servent ensuite de marqueurs pour rechercher des caractères intéressants chez des variétés cultivées ou sauvages, par exemple. Mais la sélection agronomique classique reste l’outil incontournable.

Guy Riba. Depuis toujours, les agriculteurs cherchent à améliorer les plantes, notamment par le biais de croisements. C’est ce qu’on appelle l’hybridation. Un travail qui s’est toujours pratiqué en se basant sur l’observation. En décryptant le génome et grâce à la biologie moléculaire, on peut désormais aller beaucoup plus vite. Vous avez deux poiriers, l’un donne de très beaux fruits et le second est résistant aux maladies. Vous identifiez les gènes qui interviennent sur la production des fruits et sur la maladie. Vous suivez leur action grâce à des marqueurs moléculaires. L’idée étant de créer une variété qui va reprendre les qualités de ces deux arbres. Vous sélectionnez beaucoup plus vite et vous gagnez du temps. C’est un progrès considérable.

Oui, mais avec les OGM, on va plus loin. On croise des espèces qui n’ont rien en commun.

Gilles-Éric Séralini. Absolument, l’homme dispose d’un pouvoir sans pareil. Il croise des gènes d’espèces très différentes. À cette technique puissante doit donc correspondre un contrôle puissant. Par exemple, si l’on introduit une nouvelle toxine bactérienne insecticide dans un maïs (c’est-à-dire un pesticide), il faudra s’assurer avant tout que ces maïs n’ont pas d’effets sur la santé des mammifères et l’environnement à moyen et long terme. Cela n’est malheureusement pas encore exigé.

Guy Riba. C’est vrai. Avec les OGM, on franchit une autre étape. Les OGM sont nécessaires lorsqu’il n’y a pas dans une famille de plantes le caractère que vous voulez introduire. Par exemple, la toxine Bt est la plus efficace pour tuer les insectes. Or elle n’est pas présente dans les plantes, mais dans une bactérie. Si vous voulez sélectionner des plantes qui tuent très vite les insectes, vous êtes obligés d’aller chercher cette toxine pour l’insérer dans la plante. Avec un inconvénient : cette toxine est libérée à tout moment, ce qui peut entraîner un phénomène de résistance chez les insectes. Mais il est possible de contrôler l’expression de cette toxine. Le gène transgénique est mis sous la dépendance d’un autre gène qui ne s’exprime que lorsque la plante est attaquée par un insecte.

Est-ce qu’on ne joue pas aux apprentis sorciers en disséminant des plantes OGM dans la nature ?

Gilles-Éric Séralini. Je le crois, étant donné leur niveau de contrôle. Autant je suis favorable à l’utilisation du génie génétique en milieu confiné, autant je m’offusque du laxisme en milieu ouvert. Les états n’ont aucune traçabilité des OGM expérimentaux. De plus, les croisements de plantes ne sont qu’une toute petite partie du problème. Un maïs stérile produisant un médicament a contaminé 500 000 tonnes de soja aux États-Unis en se mélangeant parce qu’il en restait un peu dans un silo. Dès le transport et le semis on peut polluer le voisin, par le partage des machines de traitement, de récolte, lors du stockage, de la transformation à l’usine… D’où la nécessité de meilleurs contrôles au départ.

Guy Riba. C’est une bonne question qu’il faut examiner espèce par espèce. Les graines de colza peuvent survivre au sol pendant plus de dix ans. Le pollen du colza peut également rester fécondant longtemps et se croiser avec d’autres crucifères sauvages. Dans ce cas précis, il y a effectivement un risque pour la biodiversité. Si vous prenez le maïs, vous n’avez plus ce problème. Il ne s’hybride avec rien du tout et le grain de pollen de maïs n’est pas fécondant longtemps.

Quels dangers pour la santé des consommateurs ?

Gilles-Éric Séralini. Les autorités ne savent pas trancher, pour des raisons économiques. Nous avons publié l’étude indépendante la plus détaillée au monde pour contre-expertiser les tests qui ont servi à autoriser un maïs OGM. Les scientifiques et les autorités avaient scandaleusement accepté la confidentialité sur les analyses de sang des rats qui avaient mangé ces OGM. Les tests n’étaient réalisés que sur une espèce de mammifère, et seulement pendant 3 mois, pour nourrir 450 millions d’Européens toute leur vie ! Personne n’a nié les effets significatifs sur les foies et les reins, jusqu’à 40 % d’augmentation des graisses dans le sang des femelles, par exemple. Pour nous et la revue de toxicologie, ce sont des signes de toxicité. Pour les autres, ils ne veulent même pas demander de recommencer et prolonger l’expérience !

Guy Riba.Il faut souligner les contradictions de l’Europe sur ce sujet. S’il y a un risque sanitaire, l’Europe doit interdire non seulement la culture des OGM mais aussi leur importation. Or, elle autorise la consommation et l’importation de ces cultures OGM.

Les partisans des OGM disent qu’ils sont indispensables pour nourrir la planète ?

Gilles-Éric Séralini. C’est ridicule. Les OGM sont pour longtemps des plantes à pesticides protégées par des brevets qui aident l’agriculture intensive, et qui ont servi à nourrir plus le bétail des pays riches que les enfants des pays pauvres depuis 14 ans. Les brevets sur les semences augmenteront la famine et les prix, comme leur utilisation pour les agrocarburants.

Guy Riba. Les OGM sont une réponse. Mais ce n’est pas la seule. Ce qu’il faut promouvoir au maximum c’est la sélection assistée par marqueurs. On peut mieux exploiter et suivre la diversité naturelle au sein d’une espèce.

Qu’on soit pour ou contre les OGM, vous insistez tous les deux pour que la recherche publique continue à investir dans les OGM.

Gilles-Éric Séralini. La recherche publique doit pouvoir faire les études de toxicité sans lesquelles savoir faire un OGM ne sert à rien. Elle se veut trop timide, comme les organismes de recherche. Sur 45 millions d’euros après le Grenelle réservés aux biotechnologies végétales, combien iront aux études de toxicité ? On nous a refusé 1 %.

Guy Riba. La recherche publique doit maîtriser toutes ces techniques pour jouer un rôle d’expertise. Ne serait-ce que pour corriger les défauts des OGM de première génération. Elle doit aussi travailler sur les espèces qui ne présentent pas un enjeu suffisant pour que les grandes entreprises privées s’y intéressent aujourd’hui. Je regrette que dans ce débat sur les OGM tout soit mélangé : la santé publique, la brevetabilité du vivant. En bloquant les OGM, on a contribué à bloquer l’essor des biotechnologies végétales. L’Europe prend du retard.

Source : Ouest France, Propos recueillis par François LEMARCHAND et Patrice MOYON, le 10 septembre 2008.