Découvrez l'enquête choc du photographe français Mathieu Asselin et partez à la rencontre des victimes de la multinationale et de ses biotechnologies agricoles.

L’enquête choc du français Mathieu Asselin dénonce, dans Monsanto. Une enquête photographique, édité chez Acte Sud, les exactions de la multinationale. Il y part à la rencontre des victimes des biotechnologies, entre autres du glyphosate, et expose le lien entre la hausse des cancers, les malformations et les produits toxiques de la firme.

Aux Rencontres photographiques d’Arles, vous avez présenté votre travail issu de votre ouvrage paru chez Acte Sud : Monsanto. Une enquête photographique. Quel est le propos de cette exposition ?

MATHIEU ASSELIN : Mon travail a été pensé pour être publié en format livre. Avec Sergio Valenzuela Escobedo, commissaire de l’exposition, nous avons absolument tenu à garder la lecture chronologique de mon ouvrage. Comment montrer en images l’histoire de Monsanto, comprendre d’où la société vient, comment elle s’est imposée et voir ce qu’elle sera dans le futur ? Monsanto est un bon exemple de ces multinationales qui nous mentent. On voit à quel point l’histoire de la contamination se répète sans cesse et l’on se rend compte de toutes les informations cachées.

Fondée en 1901, la société a depuis fabriqué une centaine de produits ayant eu des répercussions néfastes sur l’environnement et la santé. Le problème, c’est que les États ne financent pas de recherches sur ces questions, alors que Monsanto verse des sommes astronomiques pour bloquer toutes les informations qui pourraient la décrédibiliser. Faire le lien entre la hausse des cancers, les malformations et les produits toxiques de la firme n’est pas évident mais lorsque l’on voit les fermiers malades, les enfants malformés, on ne peut que s’interroger. Le plus connu des produits Monsanto est le Roundup, l’herbicide le plus vendu au monde et contenant du glyphosate.

L’Organisation mondiale de la santé a indiqué qu’il était « probablement cancérigène » mais la Commission européenne a autorisé l’an dernier la prolongation, pour une période de dix-huit mois de la présence de ce composant. Comment laisser faire de telles choses ? Maintenant, Monsanto tente de redorer son image. Il y a deux ans, aux États-Unis, l’État a tenté de faire passer une loi obligeant à indiquer sur les étiquettes la présence d’aliments génétiquement modifiés. Monsanto a versé 4 millions de dollars pour bloquer son acceptation. Des chercheurs, des grands scientifiques sont eux aussi payés pour ne rien dévoiler. Le rachat de Monsanto par Bayer est un moyen pour la société de survivre. Ce qui veut aussi dire qu’elle va devenir européenne.

enfant sans yeux dans les bras dune infirmiere

©Mathieu Asselin

Qu’est-ce qui a déclenché votre envie de faire cette enquête photographique ?

M.A. : La première personne qui m’en a parlé était mon père. J’ai tout de suite vu une histoire à raconter. Beaucoup d’experts m’ont inspiré, comme Marie-Monique Robin qui a écrit un livre et réalisé un documentaire : Le Monde selon Monsanto. Mais photographiquement parlant il n’y avait rien. C’était donc un moyen de toucher différemment le public. Étonnement, beaucoup ne connaissent pas les dégâts causés par Monsanto ou même l’histoire de l’agent orange.

Justement, quelle est l’histoire de l’agent orange ?

M.A. : L’agent orange est issu de l’herbicide 2,4,5-T. Il a été fabriqué pour repérer le mouvement des troupes du Viêtnam du Nord qui se déplaçaient dans les forêts. Les avions arrosaient les sites pour tuer tout ce qui était vert et mieux repérer les combattants. Or, dans cet agent, se trouve l’un des composants les plus dangereux du monde : la dioxine. Au Viêtnam comme aux États-Unis, les petits-enfants des vétérans contaminés naissent encore avec des malformations. Kelly, cette jeune femme américaine que j’ai photographiée dans son lit, ne peut quasiment plus bouger de chez elle et avale chaque jour une quantité incroyable de médicaments.

Dans ce projet, vous êtes photographe mais aussi activiste ?

M.A. : Je fais cela par indignation. Je voudrais que cela puisse faire bouger les choses. Quand il faudra voter, acheter, on pensera à ces images. Mais je risque très peu. Je n’ai eu aucun contact avec Monsanto et je ne voulais absolument pas en avoir. C’est une démarche politique, comme le dit mon père, un acte de « citoyen concerné », l’expression d’une conscience sociale. Il y a derrière tout ça les intérêts économiques immenses d’une agriculture intensive et chimique. C’est un business. Cette firme a une vision court-termiste. Il s’agit juste de faire le plus d’argent possible maintenant, après on verra. Mais la terre est déjà morte. Tout est sec. On n’a plus le temps. C’est urgent.

©Mathieu Asselin

Qu’apporte la photographie sur un tel sujet ?

M.A. : La photo montre une vérité. Contrairement à un documentaire où l’on avale l’information très rapidement, ici, on peut prendre le temps de regarder, d’analyser et de comprendre plus en détail. C’est pour cela que j’ai voulu faire un livre, pour que les gens puissent apporter l’objet chez eux, le garder, revenir dessus, s’arrêter et plonger dans les images.

Comment fait-on pour photographier quelqu’un d’handicapé ?

M.A. : Je photographie assez rapidement. Là n’est finalement pas le plus important. Je parle beaucoup, avant, avec la personne. À l’hôpital, avec les enfants, je me suis rendu compte de l’horreur mais aussi de leur combat, de leur force pour trouver des alternatives à leur handicap. Avec eux, par exemple, je suis resté deux jours avant de prendre la photo. Et au final, j’ai fait en sorte qu’ils me disent eux-mêmes qu’ils avaient envie d’être photographiés.

On pense toujours que c’est le modèle qui doit être à l’aise mais le photographe aussi doit l’être. Le plus impressionnant, c’est que c’est eux qui vous mettent à l’aise. Je me souviens de cette femme d’une association qui se bat pour la reconnaissance des victimes. Elle avait les doigts malformés et quand elle m’a montré une photo de son père qui avait participé à la guerre du Vietnam, arrosé d’agent orange, j’ai tout de suite pensé à photographier sa main tenant la photographie. Mais comment le lui demander ? À force de parler, elle a compris ce que je voulais et m’a tout naturellement proposé de le faire. Je montre ce que les gens veulent me montrer. Je n’aime pas voler les images. Les gens posent pour moi, ils connaissent mon intention.

Vous avez peint certains de vos clichés… quel était l’effet voulu ?

M.A. : Dans le chapitre « Saint Louis : Monsanto, un paradis dérégulé », j’ai photographié la campagne. Je me souviens de cette odeur chimique qui vous prend à la gorge. J’ai trouvé cette rivière que j’ai après peinte en rouge. Avant je peignais sur des photos juste pour l’esthétisme mais ça ne m’intéressait pas parce que ça n’avait pas de sens. Dans mon enquête, le rouge montre le souvenir qu’avaient les enfants qui se baignaient dans cette rivière. Dans leurs souvenirs, elle était rouge, mauve. Était-elle vraiment rouge cette rivière ?

Était-elle mauve ? Ils étaient enfants. C’était il y a soixante ans. Peut-être qu’avec le temps cette parole a été déformée. Ce qui est certain, c’est qu’ils ont été contaminés. Cette couleur représente le souvenir, un moment éphémère, qui change avec le temps.

Photo de Mathieu Asselin

©Mathieu Asselin

Vous insistez sur le fait que votre travail tient plus de l’enquête que d’une approche artistique ?

M.A. : Tout à fait. Mes photos jouent sur les contrastes et la saturation. Mais la façon dont je photographie n’est pas révolutionnaire. Ce qui est intéressant, c’est la façon dont j’ai construit l’histoire et tout le matériel d’archives que j’ai utilisé.

Vous dites que vous cherchiez à montrer l’invisible… Comment le montre-t- on en photographie ?

M.A. : C’était un vrai challenge. Par exemple, avant de montrer une maison abandonnée à côté du site contaminé, je parle de la maison du futur fabriquée par Monsanto à Disneyland, tout en plastique. C’était ça leur vision du futur. Mais quand on voit le résultat, le futur est tout autre. Il est contaminé, abandonné, gris.


PARCOURS DE MATHIEU ASSELIN

Après avoir commencé dans la production de films documentaires, il s’intéresse au photojournalisme et travaille pour de nombreux magazines. Avec Stephen Shore, William Eggleston, Douglas E. Richards, William Golding, Joel Meyerowitz..., il découvre une façon différente de narrer. Son projet Portraits of a Tornado Path remportera de nombreux prix et sera publié, entre autres, dans The New Yorker. Fin 2011, il entame le projet documentaire Monsanto : A Photographic Investigation aux États-Unis et au Vietnam.

À LIRE

Mathieu Asselin, Monsanto. Une enquête photographique, Acte Sud, 2017.

Un article signé Margot Guicheteau

 

Source : L'ADN