Extraits de Monsanto menace-t-il notre santé et notre environnement ? L’Humanité, Jeudi, 29 Septembre, 2016

Avec les contributions de Guy Kastler, membre de la Confédération paysanne, de Nature et progrès et de Semences paysannes Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France.

Le mensonge ne doit plus justifier la guerre au vivant
par Guy Kastler, membre de la Confédération paysanne, de Nature et progrès et de Semences paysannes

La toxicité des OGM et du Roundup de Monsanto n’est plus à démontrer. Avec les fusions de Monsanto et Bayer, Pioneer et Dow puis Syngenta et ChemChina, trois entreprises contrôleront les deux tiers du marché mondial des semences et des pesticides. Leur seule obligation est de rémunérer leurs actionnaires et non de respecter la santé, l’environnement ou la sécurité alimentaire. Pour contourner le refus des OGM par les consommateurs, ces multinationales prétendent qu’elles n’en produisent plus. Leurs nouvelles techniques de laboratoire modifient les gènes des plantes en introduisant dans les cellules des constructions génétiques artificielles qui ne sont plus identifiables dans le produit commercialisé. En cachant ainsi son forfait, l’industrie semencière prétend qu’elle copie la nature, juste en allant plus vite. Les lois européennes ont accepté ce mensonge et supprimé en 2003 l’obligation d’étiqueter les plantes ainsi modifiées par mutagenèse. Les États-Unis et le Canada considèrent que les nouvelles techniques de biologie synthétique ne produisent pas des OGM. Les gouvernements de Suède, de Hollande et… notre Le Foll national ont convaincu la Commission européenne de les autoriser à en faire autant.

Avec les OGM transgéniques, il n’est pas possible de cacher le gène étranger inséré dans la plante. L’étiquetage obligatoire permet ainsi aux consommateurs de les refuser. Mais si les nouveaux OGM sont cachés, nous les cultiverons et les mangerons sans le savoir. Au-delà de notre santé, la biodiversité et les droits humains sont eux aussi menacés : la technique de « gene drive », application de la nouvelle coqueluche des laboratoires Crispr Cas9, permet d’éradiquer des espèces entières d’insectes, de plantes, des races animales ou encore des populations humaines porteuses de caractères spécifiques. Cela est plus discret que la bombe atomique, mais le résultat est identique : l’arrogance des scientifiques qui prétendent maîtriser les risques peut-elle nous rassurer ?

Les brevets qui accompagnent ces nouveaux OGM arrivent eux aussi cachés. Avec la transgenèse, on peut distinguer le gène breveté. Cela n’empêche pas les contaminations génétiques et la confiscation par les multinationales des récoltes et des semences contaminées. Mais l’étiquetage a permis aux mobilisations citoyennes d’imposer des moratoires contre ces contaminations. Avec les nouveaux OGM, l’industrie prend soin de décrire les gènes brevetés d’une manière qui ne permet pas de les distinguer de gènes déjà existants dans la nature. Dès lors, ses brevets contrôlent non seulement la reproduction des semences qu’elle a manipulées ou contaminées, mais aussi de toutes celles qui portent naturellement les caractères génétiques brevetés. Quel gouvernement pourra résister aux exigences de trois multinationales qui contrôleront ainsi l’ensemble de la chaîne alimentaire ? Au-delà de la souveraineté alimentaire, c’est la souveraineté politique des peuples qui est menacée.

Avec les pesticides chimiques, Monsanto et ses pairs utilisent le même mensonge. Puisque nous n’en voulons plus, ils les remplacent par des produits de « biocontrôle ». La propagande nous montre quelques fleurs et des coccinelles mangeuses de pucerons. Mais, derrière ces belles photos, se cache une armée de produits brevetés synthétisés au laboratoire, mauvaises copies génétiquement modifiées de bactéries, de séquences génétiques ou de substances produites par les plantes. Leur action est identique à celle des pesticides chimiques : tuer le vivant. Et les paysans ne pourront pas les refuser, ils sont indispensables à la culture des seules semences disponibles sur le marché… vendues par les mêmes multinationales. Mais puisqu’on vous dit que c’est bio, vous n’allez quand même pas protester !

Il est urgent de refuser ces chimères empoisonnées et de rendre aux paysans le droit de produire, d’échanger et de vendre leurs semences et leurs préparations naturelles afin de nous nourrir sainement !

Bayer-Monsanto : un mariage infernal pour les paysans et l’environnement par Jean-François Julliard, Directeur général de Greenpeace France

Il est des mariages qui, à peine consommés, annoncent la naissance d’un monstre. La fusion de Bayer et Monsanto en fait partie. En rachetant pour 59 milliards d’euros le géant des OGM, le roi des pesticides a engendré une catastrophe pour l’agriculture et la souveraineté alimentaire mondiale. Le modèle ultraconcentré et industrialisé de cet oligopole est totalement incompatible avec la notion d’agriculture durable et encore moins écologique. Des agriculteurs maîtres de leurs productions, hors du contrôle des multinationales, garantissant des pratiques saines et une alimentation de qualité aujourd’hui et pour les générations futures… Voilà ce que Greenpeace défend au quotidien. Or la fusion Bayer-Monsanto accentue encore davantage la dépendance des paysans vis-à-vis des firmes de l’agrochimie. En nous imposant leur vision destructrice, Bayer et Monsanto ne feront qu’accentuer la pauvreté et la faim dans le monde. Reprenons l’exemple de l’Inde où, en imposant ses cultures OGM, Monsanto avait fait grimper le prix des semences de manière dramatique, entraînant une vague de suicides chez les paysans indiens. Quelles seront les conséquences une fois que le groupe sera deux fois plus puissant ?

En termes de lobby également, ce rapprochement est dramatique ! Bayer + Monsanto représente un tiers du marché des semences mondiales et un quart de celui des pesticides, rien que ça ! Quelle force de frappe face aux parlementaires européens et à la Commission : faire, défaire des lois, proposer des amendements clés en main et mettre sous pression les parlementaires ou les institutions… De plus, grâce à cette fusion avec une entreprise allemande, l’américain Monsanto met un pied dans la porte européenne. Une aubaine quand on sait que la firme se bat actuellement non seulement pour étendre la culture de ses semences OGM, mais également pour imposer les nouveaux OGM sur les marchés européens. Peu importe que les consommateurs de l’Union se soient déjà exprimés en masse contre la consommation de produits OGM ! Tant qu’on y est, le groupe pourra en profiter pour reparler du glyphosate, ce pesticide cancérigène, molécule phare du Roundup vendu par Bayer et dont la future interdiction est discutée en ce moment même. Là encore, pour défendre ses intérêts économiques, autant être le plus puissant possible !

Ne nous y trompons pas. On ne nourrira pas la planète à coups de pesticides et d’OGM, sinon la faim dans le monde n’aurait pas autant augmenté depuis deux décennies, mais uniquement en garantissant la souveraineté alimentaire au Nord comme au Sud. Pour cela, il est urgent d’entamer une véritable transition de notre agriculture vers un modèle agroécologique. L’ensemble des politiques publiques doivent évoluer afin de contrecarrer les lobbys industriels. À l’échelle européenne, la politique agricole commune doit être réformée en profondeur pour permettre aux producteurs de protéger les ressources naturelles et de travailler sans OGM ni pesticides. Elle doit également encourager la transition vers un élevage écologique, au lieu d’inciter à l’intensification. À l’échelle française, les financements doivent être orientés en priorité vers l’agriculture écologique, y compris en matière de recherche et d’accompagnement des agriculteurs. À l’échelle individuelle, chaque citoyen a également un rôle essentiel à jouer. Cela passe avant tout par un changement de nos habitudes de consommation et l’adoption d’un régime alimentaire plus sain, plus végétal et diversifié qui soutienne directement une agriculture réellement durable. La prise de conscience avançait lentement ces dernières années. Ne laissons pas ce rachat ruiner tout avenir pour l’agriculture écologique !