Dans le dédale de ces laboratoires en sous-sol, on aperçoit des touffes de blé qui ressemblent à n’importe quelles touffes de blé. Normal : ces plantes sont issues d’une sélection 100% naturelle. Mais où se trouve donc le fameux blé transgénique sur lequel travaillent les chercheurs de Changins ?

« Il n’est pas possible de le voir, indique Arnold Schori, chef de l’amélioration des plantes et des ressources génétiques à l’Agroscope. Pour des raisons de sécurité et de confidentialité. »

Cette extrême prudence des chercheurs montre à quel point le dossier est sensible. Le gouvernement suisse vient de prolonger jusqu’à 2013 le moratoire prohibant la commercialisation des organismes génétiquement modifiés. A Pully, les tests de blés transgéniques n’ont pu débuter ce printemps comme il était prévu. Des riverains ont déposé un recours au Tribunal fédéral administratif, provoquant de facto une suspension des expériences.

La recherche s’effectue pourtant dans le cadre très officiel d’un programme national de recherche (lire encadré), et des mesures de sécurité draconiennes ont été imposées : clôturé, le champ sera recouvert de filets anti-oiseaux durant toute la période de germination des graines ; dans un rayon de 100 mètres autour de l’aire d’expérimentation, il n’y aura ni plantation de blé, ni de seigle ; et le terrain devra être régulièrement contrôlé afin de détecter d’éventuelles repousses durant les deux ans qui suivront la fin des tests.

De plus, « le blé est une plante autogame dont la probabilité de croisement est extrêmement faible, dit Arnold Schori. Et ces essais concernent des variétés de printemps alors que la grande majorité des agriculteurs suisses sèment des blés d’automne, qui n’ont pas la même période de floraison. »

Ces précautions extrêmes n’ont pas convaincu les riverains. En déposant leur recours ils empêchent toute dissémination en plein champ à Pully. Ce n’est que de l’autre côté de la Sarine que les chercheurs pourront tester les blés génétiquement modifiés, plantés depuis mars dernier près de Zürich. Le site a d’ailleurs dû être hautement sécurisé, afin de protéger les cultures.

Arnold Schori ne comprend pas l’attitude des opposants. « Selon eux, la connaissance scientifique des impacts négatifs potentiels est insuffisante. Alors pourquoi ne pas laisser la recherche publique, neutre et sans but commercial, faire son travail ? »

Le chercheur se dit effaré par ces recours. « Cela revient à déléguer toute recherche sur cette technologie, pourtant prometteuse, à certaines multinationales qui n’investissent que dans les OGM les plus intéressants commercialement. »

Ce déséquilibre ne facilite pas le travail des chercheurs, d’autant que la révolution OGM est bel et bien en marche. Depuis le début de leur commercialisation en 1996, les surfaces cultivées n’ont cessé de s’étendre, pour atteindre 114,3 millions d’hectares à la fin de l’année dernière, soit 12% d’augmentation par rapport à l’année précédente. Aujourd’hui, près de 51% des champs OGM sont occupés par le fameux soja transgénique programmé pour résister à un herbicide total, le glyphosate. Une application douteuse au niveau agronomique, car la plante a été adaptée à l’herbicide dans le seul but d’optimiser les cultures à l’échelle industrielle.

Pour Arnold Schori, « une technologie n’est ni bonne, ni mauvaise. Ce sont ses applications qui doivent être jugées au cas par cas ». Utilisés à bon escient, les OGM permettraient de rendre certains aliments plus sains, en enrichissant leur huile d’omégas 3, ou en leur permettant d’absorber moins de graisses lors de la friture.

Certaines plantes pourront être programmées pour résister aux insectes ou aux maladies, limitant l’emploi de produits toxiques. C’est déjà le cas pour le maïs et le coton transgéniques, conçus pour se défendre contre la redoutable pyrale. Il est également possible de modifier les plantes afin qu’elles tolèrent mieux la salinité des sols, qui peut représenter un sérieux problème. « La transgénèse pourra être une cause noble, dit Arnold Schori. Le monde aura les OGM qu’il mérite. La méfiance actuelle provient du fait que ceux qui sont commercialisés ne profitent pas au consommateur. »

Source : un article de GENEVIEVE RUIZ pour le site largeur.com