Dans une confusion qui ouvre la porte à tout et à son contraire, elle semble vouloir figer des rapports de force encore mouvants et des débats non clos au sein de la société française. Sur les quatre plantes OGM actuellement cultivées dans le monde, toutes insecticides ou résistantes aux herbicides, une seule était prioritaire pour l’industrie semencière en Europe. Le coton n’y pousse qu’à la marge, le soja et le colza y sont pénalisés par les accords commerciaux qui lui imposent d’importer ses protéines. Seule la culture du maïs a été autorisée dès 1998. Dix ans après, elle ne s’est développée qu’en Espagne.

En France depuis plus de dix ans, le combat acharné des faucheurs volontaires, les mobilisations des associations environnementales et le refus constant des OGM par les consommateurs ont bloqué les plans des semenciers. Après deux grèves de la faim, les éclats du Grenelle et une mobilisation tardive du monde politique, aucun OGM n’est autorisé à la culture en 2008. Seuls quelques essais pluriannuels déjà autorisés en 2007 pourront se poursuivre. Les chiens de garde du lobby semencier récemment sortis de l’ombre ont été priés de rejoindre leur niche pour laisser passer le moratoire : à quoi bon prendre le risque politique d’imposer aux français qui n’en veulent pas la culture d’un OGM américain de plus en plus contestée, en fin de carrière commerciale, et dont la fin du brevet qui la protège est proche ? Pour les prochaines années, la loi ne résout rien et renvoie à Bruxelles la plupart des débats importants.

LA DICTATURE SCIENTISTE CONTRE LA SOUVERAINETE ALIMENTAIRE ?

Le moratoire renvoie la décision sur le MON 810 à l’Europe. La France en assure la présidence à partir du 1° juillet et J-L Borloo a déjà indiqué qu’il souhaitait « renforcer » l’évaluation environnementale des OGM et l’implication des gouvernements dans la prise de décision. Les OGM actuels qui font courir à l’environnement des risques de plus en plus reconnus pourraient bien en faire les frais, et finir leur carrière à l’intérieur de zones attitrées choisies par les états. On retrouve cette idée de ségrégation du territoire dans la loi française qui permet d’interdire les OGM dans les parcs naturels ou les zones AOC. Comme la Suisse qui abrite Syngenta, deuxième fabriquant mondial d’OGM, l’Angleterre qui vote toujours pour les OGM, ou certaines régions OGM/free qui importent des aliments OGM pour leurs animaux, les riches de la planète pourront ainsi se pincer le nez en disant : « pas de ça chez moi, mais pourquoi pas chez les pauvres ».

Les OGM « clandestins »des semenciers européens et les nouveaux OGM « sécurisés pour ne pas porter atteinte à l’environnement » en préparation dans les programmes européens de recherche ne sont par contre pas menacés par cette réforme de l’évaluation et seront librement commercialisés. De plus, cette révision ne concerne pas la commercialisation des OGM importés (aliments du bétail) dont les autorisations seront au contraire simplifiées. Ainsi, on ne touche pas à la liberté du commerce international. Enfin, plusieurs états proposent que l’AESA prenne elle-même, comme l’agence du médicament, les décisions européennes d’autorisation, à la place des Ministres du Conseil qui refusent parfois ses propositions toujours favorables aux OGM
Cela explique sans doute la satisfaction des Etats-Unis qui se sont plusieurs fois félicités de la bonne direction prise par l’Europe qui propose de respecter la liberté du commerce et de motiver « scientifiquement » ses décisions. La nouvelle loi française se plie à ces exigences en évitant de parler d’étiquetage des produits animaux ou des importations et en renforçant le pouvoir des scientifiques au sein du Haut Conseil des biotechnologies .

Sans une mobilisation forte, le prix d’un renforcement très partiel de l’évaluation pourrait bien être la généralisation des nouveaux OGM clandestins ou sécurisés, et le remplacement des décisions politiques et de la souveraineté alimentaire par la dictature des experts sous influence des lobby de l’industrie.

AVEC OU SANS OGM ?

Le Grenelle a fait la démonstration de l’impossible co-existence avec les OGM actuels, impossibilité confirmée par le programme scientifique européen SIGMEA : « pour les filières revendiquant une absence totale d’OGM telles que l’agriculture biologique, la coexistence à l’échelle locale est en revanche techniquement impossible dans la plupart des cas ». Les parlementaires, très divisés sur la question, ont voulu garantir la liberté du renard dans le poulailler. Ils ont trébuché sur la protection du « sans OGM » que la société civile a introduite dans leur ordre du jour. Leur texte ouvre la porte à une redéfinition du dictionnaire : « sans » serait équivalent à « avec un peu » et « éviter la présence » à « permettre une certaine présence ». Mais ils n’ont pas eu le courage d’en assumer eux-mêmes la réécriture qu’ils ont confiée aux services techniques du ministère de l’agriculture et des semenciers. La confusion qui s’en suit fait de leur loi un texte inachevé et inapplicable.

Ainsi, à l’Art 2 « La définition du “sans organismes génétiquement modifiés” se comprend nécessairement par référence à la définition communautaire. Dans l’attente d’une définition au niveau européen, le seuil correspondant est fixé par voie réglementaire, sur avis du Haut conseil des biotechnologies, espèce par espèce ». Malgré les pressions des semenciers, ce seuil n’est donc pas équivalent au seul seuil communautaire déjà fixé à 0,9% qui entraîne l’obligation d’étiquetage.

Mais l’EU n’a pas affiché une quelconque intention de redéfinir un mot déjà explicite dans toutes les langues européennes et une redéfinition nationale unilatérale sera inapplicable dans les échanges intra-communautaires. De même, l’Art 21 demande une redéfinition par décret français du seuil d’obligation d’étiquetage des semences, contraire au droit européen qui, jusqu’à nouvel ordre, refuse tout seuil autre que le niveau de détection. De plus, de telles redéfinitions porteraient atteintes à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété : elles relèvent du vote politique du Parlement et non du réglementaire.

A l’inverse, à l’Art 6, « les conditions techniques doivent permettre que la présence accidentelle d’OGM dans d’autres productions soit inférieure au seuil établi par la réglementation communautaire ». Hors, l’article 26 bis de la directive 2001/18/CE, qui permet aux états d’adapter ces conditions à leur contexte national, ne fixe pas de seuil européen de coexistence pour la bonne raison qu’il délègue cette mission aux états. En refusant d’assumer leurs compétences, les parlementaires proposent d’asseoir les règlements sur un fondement qui n’existe pas. Et pour être certains que les agriculteurs bio et les apiculteurs ne viendront pas troubler les discussions surréalistes qui en résulteront, l’Art 3 ne prévoit pas leur présence au sein du collège société civile du Haut Conseil qui ne sera de toute façon pas consulté sur ce sujet réservé au seul collège scientifique !

Enfin, la responsabilité sans faute définie à l’Art 8 promet une indemnisation partielle mais automatique des préjudices. Elle est cependant limitée aux seuls cultivateurs d’OGM et aux contaminations supérieures à 0,9% venant des champs voisins. La majorité des contaminations, inférieures à 0,9% et venant des semences, des filières ou de champs éloignés, sont ainsi exclues. La loi rajoute que cela ne fait « pas obstacle à la mise en cause, sur tout autre fondement (..), de la responsabilité des exploitants mettant en culture un organisme génétiquement modifié, des distributeurs et des détenteurs de l’autorisation de mise sur le marché et du certificat d’obtention végétale ». Mais, en oubliant de préciser le caractère « sans faute » de cette responsabilité et de définir le « sans OGM » au seuil de détection, elle rend ces « autres fondements » inutilisables. Les agriculteurs qui reproduisent leurs semences, les bios et leurs collègues conventionnels sans OGM seront rapidement condamnés à disparaître sans réparation de cet oubli. Même l’industrie partage ce point de vue : « hormis les sociétés d’alimentation animale, les sociétés agro-alimentaires européennes se prémunissent (…) en éliminant systématiquement les régions européennes à OGM, en utilisant des importations à 0,1% ou 0,01% et globalement en utilisant un seuil pratique de 0,1% afin de ne pas risquer l’étiquetage des produits » dit Yves Bertheau .

Dans l’immédiat, à moins de vouloir multiplier les contentieux insolubles, les décrets doivent admettre que « sans » ne veut pas dire « un peu » et que, pour obtenir 0,9% au consommateur, il faut rester en dessous du seuil de détection au champ et dans les semences. La loi doit aussi être complétée pour reconnaître la responsabilité sans faute de toute la filière OGM pour tous les préjudices.

A l’avenir, les nouveaux OGM sécurisés promettent de rendre la coexistence techniquement possible. Il restera alors à reconnaître que c’est le brevet et le Certificat d’Obtention Végétale qui la rendent juridiquement impossible [9] en légalisant le hold-up de l’industrie sur toutes les semences de la planète.

Par Guy Kastler, chargé de mission à Nature & Progrès et représentant des Amis de la terre aux groupes OGM & agriculture du Grenelle de l’environnement.