Amis de la Terre France

Greenpeace France

À l’attention de Monsieur Bruno Le Maire
Ministre de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche
78 rue de Varenne
75349 Paris 07 SP

Paris, le 24 juin 2010


Objet :
 Problèmes liés à la proposition de la Commission européenne sur le droit des États membres d’interdire les cultures d’OGM sur leur territoire

Monsieur le Ministre,

Nous tenons tout d’abord à saluer la position de la France sur la proposition de la Commission européenne d’accorder davantage de liberté aux États membres pour statuer sur la culture d’organismes génétiquement modifiés (OGM) au sein de leur territoire. Nous désirons également vous faire part de nos inquiétudes liées à ce projet.

Si nous soutenons le droit des États et des régions d’interdire les cultures d’OGM aux niveaux national et local, nous sommes extrêmement préoccupés quant au contenu de cette proposition qui ne permettra pas de garantir aux États membres la liberté qu’elle leur promet.

Afin de renforcer l’autonomie dont disposent les États membres pour empêcher la culture d’OGM sur leur territoire, la Commission propose d’ajouter un article (l’article 26b ) à la Directive 2001/18/CE, et formulera une nouvelle recommandation contenant des orientations non contraignantes vis-à-vis des mesures nationales destinées à prévenir la contamination par les OGM.

Cette approche comporte de graves lacunes que nous exposons ci-après :

1. La modification proposée de la Directive 2001/18/CE ne fournit aux États membres aucune véritable possibilité de décider librement de la mise en culture ou non d’OGM sur leur territoire. Conformément à la proposition, les États membres ne pourraient pas interdire les cultures d’OGM au nom de leurs « conséquences néfastes pour la santé et l’environnement » (ces motifs devant être invoqués pour utiliser la clause de sauvegarde, cf. article 23 de la Directive), ni pour des raisons socio-économiques liées à la « la nécessité d’éviter la présence accidentelle d’OGM dans d’autres produits » (ces motifs couverts par la nouvelle recommandation que propose la Commission sur la prévention de la dissémination des OGM sont inclus dans l’actuel article 26a). Ces dispositions limitent considérablement la marge de manœuvre des États membres, réduisant les motifs recevables essentiellement à des préoccupations d’ordre éthique. Or les décisions nationales fondées sur des motifs éthiques pourraient être contestées en justice, en raison de la difficulté de définir des critères objectifs en cette matière.

Cette limitation indue du droit des États membres d’interdire la culture d’OGM ne saurait être justifiée par le fait que les 27 auront toujours la possibilité d’interdire une culture d’OGM en invoquant la clause de sauvegarde (article 23 de la Directive 2001/18/CE). Cet article ne permet que la mise en œuvre de mesures temporaires, et ne donne pas les moyens aux gouvernements d’interdire de façon permanente les cultures d’OGM sur leur territoire.

-  Il n’est pas acceptable – sur le plan politique comme sur le plan juridique – que la Commission restreigne le droit des États membres d’invoquer les impacts socio-économiques des OGM pour interdire ce type de culture, simplement parce que ces motifs sont couverts par une nouvelle recommandation. Cette recommandation ne constitue pas un instrument juridiquement contraignant et ne fournit pas aux États membres de cadre juridique leur permettant de prononcer une interdiction au niveau national.

-  La législation européenne en vigueur (article 26 de la Directive 2001/18/CE), sur laquelle se fonde la recommandation européenne, prévoit la possibilité pour les États membres de prendre des mesures visant à éviter la présence accidentelle d’OGM dans d’autres produits. Toutefois, cette disposition ne permet pas aux gouvernements nationaux d’interdire la mise en culture d’OGM sur leur territoire. Les graves dégâts économiques et sociaux auxquels se trouvent confrontés les agriculteurs biologiques et conventionnels doivent pouvoir justifier une interdiction à l’échelle nationale et régionale.

-  Dans sa communication, la Commission reconnaît clairement la nécessité de prendre sérieusement en considération les spécificités de chaque région et pays, tant au niveau de l’agriculture que de l’environnement. Elle admet également que plusieurs justifications d’ordres agronomique, économique et environnemental ont été présentées par les régions et les États membres en vue de limiter la mise en culture d’OGM sur leur territoire. Cependant, la proposition de la Commission ne fournit aucun fondement juridique pour garantir aux 27 la liberté d’accepter ou non la culture d’OGM au niveau national.

2. La proposition de la Commission n’apporte aucune réponse aux inquiétudes scientifiques et juridiques concernant les problèmes de mise en œuvre du système européen d’autorisation des OGM, soulevées par les États membres dans les conclusions du Conseil environnement en décembre 2008. À plusieurs reprises, les États membres ont appelé la Commission à améliorer substantiellement les procédures d’évaluation des risques liés aux OGM. Or, la proposition de la Commission ne comble pas les lacunes du système d’autorisation. Elle pourrait même affaiblir l’évaluation des risques liés aux OGM. En effet, son principal objectif est d’accélérer les autorisations de cultures d’OGM au niveau européen, comme l’explique l’exposé des motifs qui l’accompagne. Dans cet exposé, la Commission insiste sur le fait que les États membres devraient cesser de s’opposer aux autorisations d’OGM au niveau européen pour bénéficier, en échange, d’un droit plus large de restreindre la mise en culture des OGM sur leur territoire. Le cas échéant, nous craignons que la Commission autorise les cultures OGM sans en évaluer correctement les risques au niveau européen, au mépris de la législation européenne et de l’un de ses principes fondamentaux, à savoir le principe de précaution.

3. La Commission n’a effectué aucune évaluation visant à quantifier les impacts sur l’environnement ou les conséquences socio-économiques de sa proposition, ce qui est contraire aux pratiques établies et aux principes de l’initiative « mieux légiférer » de la Commission. Étant donné que la proposition sera lourde de conséquences pour des millions d’agriculteurs conventionnels et biologiques, mais aussi pour les consommateurs et l’environnement, il n’est ni compréhensible ni acceptable que la Commission n’ait pas évalué les impacts qu’entraînerait sa proposition.

Au vu des sérieuses lacunes de cette proposition et des possibilités limitées dont disposent les États membres pour statuer sur la culture d’OGM sur leur territoire, nous vous demandons de rejeter la proposition de la Commission dans sa formulation actuelle. Afin de garantir le droit des États membres d’autoriser ou d’interdire la mise en culture des OGM, nous suggérons d’apporter les modifications suivantes à la proposition de la Commission, en vue de l’amendement de la Directive 2001/18/CE :

-  Supprimer les limitations de motifs justifiant la mise en place de mesures nationales, c’est-à-dire la phrase suivante : « provided that these measures are based on grounds other than those related to the assessment of the adverse effect on health and environment which might arise from the deliberate release or the placing on the market of GMOs or related to the need to avoid the unintended presence of GMOs in other products” » [« … à condition que ces mesures soient fondées sur d’autres motifs que ceux liés à l’évaluation des conséquences néfastes pour la santé et l’environnement, pouvant découler de la dissémination volontaire ou de la mise sur le marché d’OGM, ou être liés à la nécessité d’éviter la présence accidentelle d’OGM dans d’autres produits. »] ;

-  garantir le droit des États membres de maintenir ou d’introduire des mesures de protection plus strictes, justifiées par des motifs ayant trait à la protection de la santé ou de l’environnement ;

-  prévoir l’obligation des États membres de prendre des mesures destinées à éviter la pollinisation croisée transfrontalière, et la présence accidentelle d’OGM dans d’autres produits, en modifiant en conséquence l’article 26a de la Directive 2001/18/CE.

Enfin, la Commission ne devrait pas se servir de cette proposition pour se dégager d’une responsabilité qui lui incombe : garantir la pleine application du processus d’autorisation actuel des OGM, comme le Conseil environnement l’avait demandé de façon unanime en décembre 2008.

En vous remerciant de l’attention que vous accorderez à la présente, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre plus haute considération.

Anne Bringault
Amis de la Terre France

Arnaud Apoteker
Greenpeace France

Copies :
Monsieur Jean-Louis Borloo, Ministre d’Etat, Ministre de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de la Mer
Madame Dominique Dron, Conseillère spéciale du Ministre d’Etat