Un des premiers actes notables de la nouvelle Commission européenne présidée par M. Barroso a été, le 2 mars, de briser le moratoire qui s’était instauré, en Europe, sur les autorisations d’organismes génétiquement modifiés (OGM). De quoi découlait ce moratoire ouvert en
1998 ? Du fait que les gouvernements des Etats ne s’accordaient pas pour leur donner le feu vert. Pourquoi ne s’accordaient-ils pas ?
Parce que, étant élus, ils entendaient l’hostilité ou la méfiance de la majorité des citoyens européens à l’égard de cette technologie.

M. Barroso – et les « élites » – juge que les citoyens ont tort. La Commission a donc choisi d’autoriser la culture d’une pomme de terre transgénique. La décision est prise sans que le collège des commissaires en ait discuté en réunion. Le dossier n’est plus géré par le commissaire à l’environnement, mais par celui chargé de « la santé et de la protection des consommateurs », comme si la question des OGM se résumait à un enjeu sanitaire.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments, sur l’avis de laquelle la Commission se fonde, est critiquée par les Etats eux-mêmes (conseil des ministres de décembre 2008). Et l’autorisation accordée concerne un OGM intégrant un gène résistant aux antibiotiques, alors que tout le débat qui a eu lieu durant les années 1990 avait conclu qu’il ne fallait pas utiliser de tels gènes – une conclusion inscrite dans la directive 2001-18 qui est censée guider les choix en la matière.

Déni de démocratie, volonté de se plier aux desiderata des industriels, mépris implicite d’une agriculture qui ne serait pas productiviste : voilà ce qu’est cette décision. Mais il y a plus grave encore, qui touche à l’idéal européen lui-même. Pour continuer à imposer les OGM, la Commission veut que chaque Etat puisse choisir s’il les autorise ou pas chez lui. Cela revient à diviser l’Union, à la laisser aller à hue et à dia sur une question éminemment importante, qui n’est pas de simple convenance nationale, mais implique une politique agricole commune. C’est entériner sa faiblesse, dans le sens souhaité par le « parrain » dont elle n’arrive pas à se défaire, les Etats-Unis.

La décision de la Commission résonne avec un autre échec, à Copenhague, lorsque l’Europe a abandonné aux Etats-Unis et aux pays émergents la conduite de la discussion sur le changement climatique.
Durant les années 1990 et au début des années 2000, l’Europe commençait à trouver, par les OGM, par le climat, le chemin d’une diplomatie écologique, où elle esquissait le modèle d’un développement respectueux des humains et de l’environnement.

Elle est en train d’abandonner cette ambition, sans doute la seule qui lui donnait sens. Que les eurocrates et les « élites » ne s’étonnent pas si, décidément, les Européens n’adhèrent pas au conglomérat mou et soumis aux multinationales qu’ils leur imposent.


Source :
 Hervé Kempf, Le Monde, édition du 07.03.10