Pour échapper au rôle de potiche dans lequel une bonne partie de la classe politique britannique aimerait bien le cantonner, le prince Charles est devenu un habitué des interventions provocatrices hautement médiatisées. Si son opposition aux aliments transgéniques, affirmée en 1999, est connue, jamais l’héritier au trône, en théorie tenu à une totale impartialité, n’était allé aussi loin dans son engagement sur un sujet sensible.

A écouter ce fervent croisé de l’écologie, le développement sur une grande échelle des organismes génétiquement modifiés (OGM) risque de déclencher la pire "catastrophe" environnementale jamais survenue dans le monde. "Dépendre de groupes gigantesques pour la production alimentaire plutôt que de petits fermiers ne peut déboucher que sur un désastre total", affirme le fils aîné d’Elizabeth II dans une interview publiée le 13 août. Le prince de Galles a choisi d’exprimer ses opinions au vitriol dans le Daily Telegraph, grand quotidien conservateur très lu dans les milieux économiques, en particulier agricoles. "Il ne s’agit pas de revenir en arrière mais de reconnaître que nous sommes du côté de la nature, pas contre elle", a-t-il expliqué.

Le monde politique a immédiatement réagi aux attaques du - probable - futur roi d’Angleterre. Faisant allusion au mouvement ouvrier du début du XIXe siècle qui détruisit les machines, accusées de provoquer le chômage, le député travailliste Des Turner, a traité l’intéressé de "luddite". Un autre parlementaire, Ian Gibson, ex-professeur de biologie, demande au prince de s’en tenir à son rôle royal plutôt que de faire de "fausses allégations".

ARBRES TRANSGÉNIQUES

Par ailleurs, ses détracteurs accusent le prince, à la tête d’un empire agroalimentaire bio, d’être juge et partie. Lancée en 1992, la marque Duchy Originals connaît un succès énorme dans les bonnes épiceries fines des grandes capitales. Tous les bénéfices de la vente de ces produits haut de gamme bio sont reversés à la fondation du prince de Galles, laquelle regroupe plusieurs oeuvres caritatives qu’il parraine.

La sortie de cet adepte de la monarchie militante est intervenue alors que la polémique sur les OGM fait à nouveau rage en Grande-Bretagne. Pour la première fois depuis 1999, des scientifiques ont demandé à la commission forestière l’autorisation de planter des arbres génétiquement modifiés dans le cadre d’une étude internationale sur les biocarburants. A écouter l’équipe de l’université de Southampton, l’application de la technologie au centre de cette investigation pourra aider à combattre les maladies des arbres et améliorer la qualité des bois. Estimant qu’il ne faut pas se détourner des OGM, le gouvernement Brown serait favorable à cette initiative.

"Ces arbres transgéniques peuvent polliniser des espèces sauvages, causant un grave préjudice à la biodiversité", insiste, en revanche, Claire Oxborrow, de l’organisation écologique Friends of the Earth (Les Amis de la Terre). Son Altesse Royale n’aurait pas dit mieux...

Source : Marc Roche pour Le Monde, le 14.08.2008