(Québec) Le grand débat sur l’étiquetage des organismes génétiquement modifiés (OGM), qui oppose les États-Unis à l’Europe, aurait pu se régler à Québec cette semaine. Ce ne sera pas le cas, au grand dam des groupes de consommateurs qui veulent savoir ce qui se cache dans les aliments que nous consommons.

Le comité sur l’étiquetage des denrées alimentaires du Codex Alimentarius (pour « code alimentaire ») ? un programme des Nations unies qui établit des normes internationales visant la salubrité des aliments et la protection des consommateurs ? se réunit toute la semaine au Centre des congrès de Québec. Plus de 80 pays sont représentés sur les 183 membres. La grosse majorité des 300 participants sont des scientifiques et experts en nutrition.

Les décisions qui se prennent dans l’un ou l’autre des comités du Codex sont incluses dans un recueil que l’on pourrait qualifier de bible technique du secteur agroalimentaire. Il y est notamment question de limites maximales pour les résidus de pesticides, de procédures d’inspection, d’additifs alimentaires et, bien sûr, d’étiquetage des aliments. Si elles demeurent volontaires, ces normes servent de référence à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) quand des différents commerciaux éclatent. Les pays ont donc tendance à s’y coller.

Normes d’étiquetage

À Québec, l’attention a été dirigée vers les normes d’étiquetage des OGM, toujours en suspens. C’est que le comité exécutif du Codex espérait une conclusion, après plusieurs années de discussions. Les groupes de consommateurs, qui réclament l’identification systématique des OGM, souhaitaient également l’adoption d’un énoncé proposé par le Brésil confirmant que les pays sont libres d’exiger l’étiquetage obligatoire des aliments issus du génie génétique. Façon de mettre la ceinture et les bretelles pour éviter toute contestation devant l’OMC. L’Europe et une majorité de pays y trouvaient leur compte.

Mais les États-Unis se sont opposés farouchement à la proposition comme ils le sont à toute forme d’étiquetage obligatoire des OGM, car ils considèrent que ces aliments ne sont pas fondamentalement différents des autres. « Le Canada a aussi joué un rôle important dans le fait qu’il n’y a pas d’entente », soutient Ariane Chénard, analyste agroalimentaire à l’Union des consommateurs, qui a assisté aux échanges. La délégation canadienne soutenait notamment qu’il n’était pas nécessaire, voire contraire aux règles du Codex, de réaffirmer le droit des pays de s’écarter des normes. « Les arguments utilisés nous semblent douteux », dit Mme Chénard, con¬vaincue que le consensus a été torpillé par le tandem nord-américain et l’Argentine.

Son collègue Charles Tanguay, responsable des communications, est plus tranchant : « Ce que je conclus de tout ça, c’est qu’on cherche à noyer le poisson, à vider de leur sens les mots et les concepts pour qu’une fois traduits dans des textes, ça ne veuille plus rien dire, que ça n’ait plus aucune utilité. Ça confirme notre crainte que le Canada est complice des États-Unis. »

« Un changement majeur »

Johanne Beaulieu, directrice de la Division de la protection des consommateurs à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) et chef de la délégation canadienne, soutient plutôt que les pourparlers ont dérivé sur la définition d’OGM. « Il faut se mettre d’accord sur ce que c’est et ce que ça inclut », dit-elle. Alors que les États-Unis et le Canada prêchent pour une définition très large incluant toutes les techniques d’amélioration génétique, de l’hybridation classique à la mutagénèse, l’Europe préfère une définition plus contemporaine, liée aux nouvelles biotechnologies.

L’argumentaire des États-Unis, que partage le Canada, c’est que « s’il y a un changement majeur dans la génétique, ça devrait se retrouver sur l’étiquette, peu importe le mode de production », souligne Mme Beaulieu. Or, les changements majeurs ne sont pas légion, de l’avis des scientifiques qui étudient les OGM. 

Le dossier continuera de cheminer jusqu’à la prochaine réunion du comité sur l’étiquetage, qui pourrait se tenir encore à Québec l’an prochain. Si un consensus est impossible, le point pourrait toutefois être retiré de l’ordre du jour, craignent les groupes de consommateurs, qui promettent de suivre le débat.

Source : Annie Morin,Le soleil, le 6 mai 2010