Si certains pays du continent ont depuis longtemps cédé aux sirènes de l’agrobusiness, d’autres font machine arrière, comme le Burkina Faso, déçu par la piètre qualité du coton transgénique. Une belle victoire pour les associations locales !

- Par Estelle Pattée, Libération, le 14 octobre 2016

Ousmane Tiendrébéogo est producteur de coton au Burkina Faso. Cette semaine, il a délaissé son exploitation pour témoigner, aux côtés de victimes du monde entier au Tribunal international Monsanto. Un rendez-vous qu’il attend depuis plus d’un an. « Nous allons dire la vérité à tout le monde, raconter comment nous avons vécu l’impact des OGM sur la vie des paysans et tous les désagréments que nous avons constatés », espère le paysan. Ces « désagréments », Tiendrébéogo, en tant que fondateur du Syndicat national des travailleurs de l’agropastoral (Syntap) - organisation créée en 1998 pour lutter contre les accaparements de terres et de semences et contre les OGM - peut en témoigner. Introduit en 2008 sous le régime de Blaise Compaoré, le coton transgénique est en effet loin d’avoir tenu ses promesses. Depuis 2015, les agriculteurs dénoncent des rendements décevants et une fibre plus courte qu’avec le coton conventionnel. Résultat : le coton burkinabé, jadis réputé pour sa qualité, se vend moins bien sur le marché international et a même perdu son label. « C’est un pan important de notre économie qui s’écroule », déplore Tiendrébéogo.

En avril, le Burkina Faso créé la surprise en annonçant qu’il renonce aux cultures de coton Bt. Les trois sociétés cotonnières du pays (Sofitex, Socoma et Faso Coton) prévoient de réduire les surfaces pour atteindre un retour complet au coton conventionnel pour la saison 2017-2018. L’association interprofessionnelle du coton au Burkina (AICB) réclame à la multinationale 48 milliards de francs CFA (73 millions d’euros). Soit le manque à gagner de cinq ans de production.

« Maïs, niébé et sorgho »

« L’argument pro-OGM qui consistait à dire "les paysans vont utiliser moins de pesticides, réaliser de meilleurs rendements et vont gagner plus" tombe à l’eau dès lors que le coton Bt est de moins bonne qualité et que la perte se chiffre à plusieurs millions d’euros », explique Jeanne-Maureen Jorand, du CCFD-Terre solidaire. Alors que le directeur de Sofitex, Wilfried Yaméogo, n’excluait pas en avril de retourner au coton GM si Monsanto trouvait une solution, la multinationale ne semble pas partager les mêmes aspirations. Selon Jeune Afrique, le représentant de Monsanto en Afrique de l’Ouest, Doulaye Traoré, laissait entendre dans un mail envoyé à ses collaborateurs que Monsanto avait décidé « de suspendre ses activités au Burkina Faso », exception faite « de celles relatives aux aspects réglementaires ». Mais sur le terrain, personne n’est dupe. « Monsanto ne quitte pas le Burkina Faso. La recherche, entre autres, est maintenue, révèle Hervé Le Gal, de l’association agroécologique bretonne Ingalañ, présente au Burkina. La firme met sur la table 1,5 milliard de francs CFA (2,28 millions d’euros) pour le maïs OGM. » Un constat partagé par Aline Zongo, de la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (Copagen) du Burkina Faso : « Les expérimentations d’OGM continuent sur d’autres cultures, comme le maïs, le niébé et le sorgho qui, elles, sont consommées par la population. » Les paysans s’inquiètent aussi de l’impact du coton Bt sur la santé. « Nous avons constaté des morts du bétail mais aucune analyse n’a été faite pour savoir s’il y avait un lien avec le coton Bt. Les vétérinaires nous disent qu’ils ne veulent pas de problèmes », dit Ousmane Tiendrébéogo. L’arrêt de la production de coton transgénique porte néanmoins un coup à la multinationale. « Le Burkina Faso devait être la porte d’entrée pour Monsanto des OGM en Afrique, or il fait marche arrière », se réjouit Benjamin Sourice, président de Combat Monsanto.

Car aujourd’hui, seuls trois pays africains autorisent la culture et la commercialisation des OGM. L’Afrique du Sud est le premier à en avoir introduit dès 1995, devenant vingt ans plus tard le neuvième pays au monde ayant le plus de superficies OGM, avec 2,3 millions d’hectares, selon le Service international pour l’acquisition d’applications agricoles biotechnologiques, un lobby pro-OGM. Le Soudan occupe la troisième place, derrière le Burkina, avec 120 000 hectares de coton OGM. L’Egypte, qui a un temps cultivé du maïs Bt, a abandonné en 2013. Mais pour Jean-Paul Sikeli, de la Copagen, « l’Afrique est devenue le nouveau terrain de jeu des multinationales agricoles qui veulent imposer au continent les OGM qu’ils n’ont pas réussi à introduire ailleurs. »

Cheval de Troie

Malgré l’échec burkinabé, plusieurs pays se sont lancés dans l’expérimentation des cultures transgéniques. Le Kenya a ainsi autorisé en février les chercheurs à diffuser des semences de maïs OGM pour faire des essais en champ. Même scénario au Nigeria, où les autorités ont approuvé le 1er mai l’introduction du coton GM, le même jusqu’ici produit au Burkina Faso. La première production est attendue pour 2018. En parallèle, de nombreux Etats adoptent une législation sur la biosécurité, un préalable nécessaire à l’arrivée de semences transgéniques. C’est le cas en Côte-d’Ivoire, où le Conseil des ministres a adopté le 23 mars un projet de loi qui fixe les conditions d’entrée et de gestion des OGM dans le pays.

« L’Union économique et monétaire ouest-africaine, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest et le Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel se sont également engagés dans un processus de mise en œuvre d’une réglementation sur la prévention des risques biotechnologiques », ajoute Jean-Paul Sikeli. Le texte, intitulé « Projet de règlement portant prévention des risques biotechnologiques en Afrique de l’Ouest » et dont Libération a obtenu une copie, faciliterait, s’il aboutissait, l’introduction des OGM dans l’ensemble des 17 Etats membres. L’article 8 stipule en effet que « chaque Etat membre accepte sur son territoire tout OVM [organisme vivant modifié ndlr] et produit dérivé […] lorsque l’Etat exportateur, en collaboration avec l’Etat importateur prouve à ce dernier que cet OVM ou produit dérivé est légalement fabriqué ou commercialisé sur son territoire dans le respect des dispositions du présent règlement ». A cela vient s’ajouter l’article 9, qui prône la libre circulation des OVM et produits dérivés dans la Communauté. En clair, « si un OGM est accepté dans un pays comme le Burkina, il peut ensuite être diffusé aux pays limitrophes sans aucune contrainte »,traduit Christian Legay, de l’ONG belge Autre Terre, présente au Burkina Faso.

Sous prétexte de « lutter contre la faim en Afrique », d’autres organisations tentent d’imposer leurs technologies sur le continent, à l’image de la fondation Bill et Melinda Gates, éminent partenaire en Afrique de Monsanto. Plus récemment, c’est la Nasan, la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire, structure lancée au sommet du G8 de Camp David (Maryland) en 2012, qui est accusée de jouer le cheval de Troie des OGM en Afrique. Son objectif : développer l’investissement privé et en particulier étranger dans l’agriculture. Dont, évidemment, Monsanto. En échange ? Que les dix Etats membres (Bénin, Burkina Faso, Côte-d’Ivoire, Ethiopie, Ghana, Malawi, Mozambique, Nigeria, Sénégal et Tanzanie) amendent leurs législations pour féliciter l’arrivée d’investisseurs privés et de semences certifiées (hybrides et OGM).

« Néocolonialisme »

« Les Etats du G8 et les entreprises arrivent sur le continent africain en mettant 9 milliards d’euros sur la table. C’est une pression énorme », déplore Jeanne-Maureen Jorand. La mobilisation de la société civile a poussé le Parlement européen à rédiger une résolution le 7 juin dans laquelle il « prie le G8 de ne pas soutenir les cultures d’OGM en Afrique ». « C’est un message politique très fort. Mais la résolution n’est pas contraignante, même pas pour la Commission européenne, qui a toutefois l’obligation d’y répondre », soutient Jean-Cyril Dagorn, d’Oxfam France.

Monsanto a aussitôt accusé l’UE de « néocolonialisme ». « Il est décevant de constater que la commission développement du Parlement européen continue d’ignorer le consensus scientifique sur la sûreté des OGM en faveur d’un alarmisme sans fondement et irrationnel de certaines ONG hostiles à l’utilisation de toute technologie moderne dans l’agriculture, se défend, sur le site « Nutra ingrédients », Brandon Mitchener, responsable des affaires publiques de Monsanto en Europe. Nous pensons que les nations africaines commencent à ignorer le bruit des ONG européennes et du néocolonialisme et décident pour elles-mêmes si la technologie OGM leur offre des bénéfices. » La plupart des Etats africains résistent pourtant à ce chant des sirènes, à l’image du Bénin. Le pays, qui a adopté deux moratoires successifs de cinq ans entre 2002 et 2013, fait désormais figure d’exemple dans la lutte contre les OGM en Afrique.

Source  : Estelle Pattée,Face aux OGM, l’Afrique fait encore de la résistance, Libération, 14 octobre 2016