En Angleterre, le gouvernement se dit prêt à revoir sa position sur les OGM à la lumière de la récente crise alimentaire – mais sauter dans les bras des compagnies chercheuses de profit n’est pas la solution.

Le secteur de l’industrie biotechnologique n’a jamais été timide pour lancer des campagnes folkloriques de promotion de ses produits. Rappelez vous la fin des années 90, lorsqu’ils nous vendaient du soja transgénique ou autres oléagineux et colza, en promettant qu’ils allaient nourrir la planète. Avec du recul, il est clair que cette première génération de plantes GM a plus permis l’intensification de l’usage d’agrochimiques et l’exacerbation de la main mise des corporations sur la chaîne alimentaire, plutôt que de nourrir les bébés affamés d’Afrique comme on aimait à nous faire croire. Les consommateurs, spécialement en Europe, se sont révoltés contre ces mensonges, et ont forcé les industriels à battre en retraite.

Cependant, les grandes compagnies comme Monsanto, Syngenta et BASF ne se laissent pas facilement mettre sur la touche pour longtemps. Maintenant leurs « responsables de com’ » (PR-men) ont découvert une nouvelle ligne de chantage affectif : sans les OGM nous ne serons pas capables de produire suffisamment de nourriture dans une ère de changement climatique. Les semences transgéniques seront capables de pousser dans des zones accablées par la sécheresse et la salinisation des sols, à ce qu’on nous assure, ce qui aidera à augmenter l’offre de produits alimentaires dans une période d’intensification de la crise climatique. Serait-il donc temps de marcher dans les pas du ministre anglais de l’environnement, Phil Woolas, et de réévaluer le potentiel des OGM ? Comme Woolas disait : « il y a une question grandissante sur le fait de savoir si les OGM pourront aider le monde en développement à sortir de la crise actuelle des prix alimentaires. C’est une question que nous, en tant que Nation, devons nous poser à nous même. » A-t-il raison ?

Cela serait surprenant. Pour commencer, la flambée actuelle des prix alimentaires n’a que peu à voir avec les questions d’approvisionnement et d’offre. Bien sur, les mauvaises récoltes ont affecté la quantité de nourriture disponible, et les récentes inondations du Midwest américain ne vont certainement pas améliorer la situation. Mais à l’instar du pétrole, c’est l’explosion de la demande qui est le principal facteur de l’envolée des prix jusqu’à des hauteurs stratosphériques. Lorsque des pays comme l’Inde ou la Chine deviennent de plus en plus riches et adoptent des modes alimentaires à l’occidental, avec une forte consommation de viande, alors nécessairement une plus grande part des semences est extraite du marché pour aller nourrir les nouveaux cheptels. Le problème a aussi été intensifié par la ruée sur les agrocarburants qui ont avalé de vastes quantités de maїs et de soja afin de produire l’essence dont ont tant besoin les Américains et les Européens pour assouvir leur addiction à l’automobile. En mettant tout cela de coté, il faut aussi prendre en compte la croissance de la population, qui ajoute plus de 80 millions de nouvelles bouches à nourrir chaque année.

Mais regardons d’un peu plus prêt ces compagnies qui se déclarent porteuses de la providence mais dont les motivations ne semblent pas des plus altruistes, ces compagnies que Woolas s’est empressé de rencontrer sous l’égide du Conseil Agricole pour les Biotechnologie (Agricultural Biotechnology Council). D’après les études réalisées par ETC Group du Canada, les grosses entreprises de biotechnologie auraient déjà enregistré, un peu partout dans le monde, plus de 532 brevets sur des gènes dit « climate-ready », c’est-à-dire adaptés au changement climatique (voir l’article du Monde). Il est peu probable que ces compagnies aient l’intention de donner gratuitement ces graines aux paysans les plus pauvres du monde : au lieu de cela, ils bouclent juridiquement tous les droits de propriétés intellectuelles sur les semences transgéniques et obligent les cultivateurs à payer des frais d’exploitation. Les pratiques traditionnelles de conserver et d’échanger les graines ne sont bien sur plus autorisées. Cette concentration du capital de la chaîne alimentaire ne réduira pas la faim dans le monde, au contraire elle pourrait bien l’intensifier.

Il ne s’agit pas de caricaturer ces entreprises comme l’incarnation du mal, elles ne font que leur travail, à savoir maximiser leurs profits, et à l’inverse leurs directeurs seraient rapidement punis par les actionnaires en cas de perte. Il est donc totalement logique qu’elles protègent leurs découvertes par une série de brevets sur leurs semences transgéniques. En revanche, ce n’est pas admissible qu’elles viennent clamer haut et fort que leurs produits vont nourrir le monde ou bien même qu’elles autorisent leurs publicitaires à monter des spots mettant en scène des populations affamées, cela relève purement et simplement de la tromperie.

Il y a aussi des considérations éthiques plus profondes autour de la question des OGM qui n’ont pas été abordées et qui ne sauraient l’être par la science, car elles ne relèvent pas de la sphère du scientifique. Une de ces questions est de savoir s’il est éthiquement justifiable de mélanger le matériel génétique d’organismes totalement différents, comme des virus et des plants de pommes de terre. Les pro-OGM arguent sans cesse qu’il ne s’agit que d’une nouvelle étape des techniques traditionnelles de croisement, mais c’est clairement faux. Mélanger l’ADN de deux espèces différentes est une chose sans précédant qui va amener de nouveaux risques mais aussi de nouvelles réflexions plus profondes sur l’Homme jouant à Dieu (sur le sujet voir cet article de Libération). Il semblerait que la technologie bouge dans la mauvaise direction, en intensifiant l’impact humain et technologique sur la nature, alors que l’on devrait se tourner vers une approche beaucoup plus holistique et écologique de notre rapport à l’environnement.

Les OGM amènent une toute nouvelle catégorie de risques sanitaires et environnementaux. Les pollutions traditionnelles, comme les dioxines ou les déchets radioactifs, étaient « diluées », voir absorbée, par l’environnement. Au contraire les pollutions génétiques sont autoreproductrices car elles sont contenues dans des organismes vivants, une fois disséminées elles ne peuvent plus être contenues ni même contrôlées comme les « supers mauvaises herbes » de plus en plus envahissantes. Il ne s’agit pas de vous épouvanter avec des histoires d’horreur, il y a un répertoire international plein de ces histoires où des gènes modifiés ont commencé à infester des champs de plantes dites « biologiques » ou supposées sans OGM. 

Peut-être s’agit il de faire comme Woolas le suggère, et de ravaler nos considérations éthiques et écologiques dans cette période où l’augmentation de la température globale et la diminution des stocks de pétrole ont déjà imposées de sérieuses contraintes à l’agriculture. Peut-être faudra-t-il reconsidérer notre opposition si demain les OGM permettent aux Soudanais ou aux Ethiopiens de ne plus voir leurs enfants mourir de faim car une fois de plus l’eau fait défaut, c’est du bon sens intellectuel. En revanche, s’il s’agit d’accepter les OGM pour que les consommateurs riches puissent faire le plein d’agrofuel de leur 4x4 « bio », il en est hors de question. Il ne s’agit plus d’une approche technique ou scientifique, mais bien d’une volonté économique et sociale de fixer les règles du jeu. Cela demande de nous poser des questions complexes, et de ne pas nous laisser intimider par les manipulations émotionnelles dont font usage les corporations dans leur recherche du profit.

Source : traduction d’une tribune de Mark Lynas, GM won’t yield a harvest for the world dans The Guardian, 19 Juin 2008