Alerte à la biosécurité du maïs au Mexique : une étude moléculaire menée par des chercheurs mexicains, américains et néerlandais démontre la présence de gènes provenant d’organismes génétiquement modifiés (OGM) parmi les variétés de maïs traditionnels cultivées dans des régions reculées de l’Etat d’Oaxaca, dans le sud du pays. Et cela bien que le gouvernement mexicain ait maintenu jusqu’alors un moratoire sur l’utilisation de semences transgéniques.
L’Europe veut mieux encadrer les cultures transgéniques.

Lors du Conseil européen du 4 décembre, les ministres de l’environnement ont retenu cinq actions pour encadrer les OGM. Elles visent à renforcer l’évaluation des impacts environnementaux et sociaux économiques de ces cultures, à améliorer l’expertise associant les Etats membres à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA). Elles aboutiront à fixer des seuils de présence fortuite d’OGM, pour garantir "un libre choix réel entre semences OGM, conventionnelles et biologiques". Elles permettent la définition de zones sensibles ou de culture biologique exemptes d’OGM. La France envisagerait une séparation de 50 mètres pour isoler les parcelles OGM.

Les résultats de cette étude incitent les experts à demander des mesures de protection bien plus restrictives, le type d’agriculture "à l’ancienne" pratiqué au Mexique - où la pollinisation du maïs est faite par le vent, et où les paysans ont l’habitude d’échanger leurs semences - paraissant aggraver le risque d’une contamination rapide par les OGM.

Un article qui en détaille les conclusions doit être publié dans le prochain numéro de la revue Molecular Ecology. Il a été rédigé par Elena Alvarez-Buylla, de l’Institut d’écologie de l’Université nationale autonome du Mexique, l’UNAM, avec la collaboration d’une dizaine d’autres scientifiques.

Leur travail pourrait relancer la polémique déclenchée en 2001 par un article très controversé de la revue Nature, dont les auteurs, les biologistes David Quist et Ignacio Chapela, de l’Université de Berkeley en Californie, révélaient que les maïs criollos (traditionnels) de la région d’Oaxaca, l’un des berceaux de cette céréale, étaient contaminés par les gènes Roundup Ready (RR) et Bt, propriétés de la firme américaine Monsanto.

Dans son ouvrage Le Monde selon Monsanto (La Découverte/Arte Editions, 2008), Marie-Monique Robin a raconté le "lynchage médiatique" dont M. Chapela a alors été victime, à l’instigation de l’entreprise dominante sur le marché des OGM. Nature avait fini par publier un désaveu, estimant que l’article des deux biologistes était insuffisamment étayé.

Sept ans plus tard, le travail dirigé par Mme Alvarez-Buylla confirme pourtant largement leurs conclusions, souligne un compte rendu publié dans Nature du 13 novembre. Les chercheurs ont découvert des transgènes dans trois des vingt-trois champs de la sierra nord de l’Oaxaca, où des échantillons avaient été prélevés en 2001, puis à deux endroits, lors de nouveaux prélèvements en 2004.
L’Américaine Allison Snow, de l’Université de Californie, auteur en 2005 d’une étude préliminaire qui semblait infirmer les découvertes d’Ignacio Chapela et David Quist (et avait été aussitôt exploitée par les partisans des OGM), publie dans le même numéro de Molecular Ecology une note complémentaire élogieuse, où elle juge que l’analyse moléculaire conduite par l’équipe de l’UNAM est "très bonne", et met en évidence "des signes positifs de transgènes".
Cette reconnaissance n’allait pas de soi. "Cela fait deux ans que nous bataillons pour publier les résultats de notre étude, déclare Mme Alvarez-Buylla. Jamais je n’avais rencontré autant de difficultés au cours de ma carrière ! On a essayé de freiner la diffusion de ces données scientifiques." Le biologiste José Sarukhan, chercheur à l’UNAM et membre de l’Académie nationale des sciences des Etats-Unis, avait ainsi recommandé l’article pour la revue de cette institution. Celle-ci l’a rejeté au mois de mars, au motif qu’il risquait de provoquer "l’attention excessive des médias, pour des raisons politiques ou liées au thème de l’environnement"...

Comment, malgré le moratoire, des transgènes d’OGM ont-ils émigré au fin fond des montagnes d’Oaxaca, mais aussi dans l’Etat de Sinaloa, le plus gros producteur de maïs de consommation humaine, dans le Nord, ou à Milpa Alta, un district à la périphérie de Mexico ? On les trouve dans 1 % des terrains analysés, ce qui est beaucoup dans le contexte mexicain, où 75 % du maïs planté viennent de grains sélectionnés par les paysans sur leur propre récolte.
La première hypothèse est que certains agriculteurs importent illégalement des semences transgéniques. De forts soupçons pèsent aussi sur la firme Pioneer, grande pourvoyeuse de semences de maïs hybrides, achetées par le Mexique aux Etats-Unis et distribuées aux petits agriculteurs à travers les programmes d’aide gouvernementaux.
Or des données préliminaires indiquent qu’un tiers des semences Pioneer est contaminé par des OGM, dont Monsanto a réussi à empêcher tout étiquetage distinctif à la vente.

Les auteurs de l’étude appellent à renforcer les "mesures de biosécurité" pour préserver les espèces natives du maïs, surtout au Mexique, son "centre d’origine". Il faudrait, disent-ils, se doter de laboratoires véritablement indépendants, et adapter les critères d’analyse moléculaire à la réalité mexicaine, au lieu de se fier "aux méthodes utilisées dans des pays tels que les Etats-Unis, qui ont un système agricole très différent du nôtre".
Mais leur plus grande inquiétude, aujourd’hui, concerne les projets des trusts pharmaceutiques, qui veulent rentabiliser la biomasse du maïs, et l’utiliser comme un bioréacteur afin d’exprimer, par exemple, des vaccins ou des anticoagulants. "Au vu des incidents qui se sont déjà produits aux Etats-Unis, où ils ont du mal à séparer ces bioréacteurs des OGM, on peut craindre que le maïs ne se transforme en poubelle de l’industrie pharmaceutique, au détriment de sa vocation alimentaire, s’alarme Mme Alvarez-Buylla. Que ferons-nous quand des anticoagulants arriveront dans la tortilla des Mexicains ?"

Source : Joëlle Stolz pour le Monde.fr, le 11 décembre 2008.