Le Mexique, le centre historique de la culture du maїs depuis plus de 8000 ans, est sous la pression de Monsanto et des grands semenciers qui cherchent à introduire par tous les moyens leurs plantes génétiquement modifiées, au risque de contaminer une réserve unique de biodiversité et de bouleverser l’organisation rurale et sociale du pays. Mais la résistance s’organise grâce à la campagne « « Sin maíz no hay país ».

 

La souveraineté alimentaire.


Le débat sur la crise alimentaire a permis de relancer certains concepts géopolitiques qui viennent contrarier les plans des firmes internationales et mettent les paysans de nouveaux au centre de la problématique de l’alimentation mondiale.

Des chercheurs, commeKathleen Mc Afee, professeur de relations internationales à l’Université d’Etat de San Francisco, viennent appuyer les petits paysans du Sud pour demander aux Etats-Unis l’arrêt de l’exportation massive de maїs subventionné car cela entraîne une chute des cours dans les pays pauvres et provoque un exode rural sapant les fondations des communautés agricoles.

Dans quatre études de Mc Afee réalisées pour le North American Free Trade Agreement (NAFTA), la chercheuse démontre comment la nation berceau du maїs est devenue, en quelques années, le second importateur de maїs américain, et comment cela a accéléré l’exode rural des fermiers, pour plus de la moitié des Indiens, qui terminent sur les routes de l’immigration ou des bidonvilles de Mexico. Elle prend aussi le temps de la réflexion pour examiner l’impact socioculturel de la contamination par les semences transgéniques américaines des milliers de variétés de maїs « criollo » (local), de toutes les couleurs et adaptées à tous les microclimats du Mexique.

Aujourd’hui des paysans du Mexique s’appropient ces concepts, certains ne possédant parfois qu’une poignée d’hectares, revendiquent leur territoire et leur culture, ils se disent les mieux placés pour soutenir leur famille et leur communauté, mais pas avec des exportations à bas prix ou des plantes transgéniques, mais simplement en poursuivant leur travail de sélection des meilleures plantes et en encourageant leur gouvernement à investir dans les infrastructures rurales. Ils appellent cela la « souveraineté alimentaire ».

Cette opposition franche des mexicains s’explique non seulement pour une question de protection de la biodiversité de la flore mexicaine, mais s’inscrit aussi dans une logique culturelle de protection de l’alimentation des populations mexicaines dont le maїs est l’aliment principal. L’introduction du maїs transgénique est donc aussi largement vue là-bas comme une main mise des firmes biotech sur l’ « aliment roi » de l’ancien royaume maya, il n’est donc pas surprenant de voir les leaders paysans maniés si aisément des concepts diplomatiques comme la « souveraineté alimentaire », ou pour ainsi le droit des peuples à disposer librement de leur nourriture, car le débat tourne à la défense nationale contre l’invasion OGM. 

 

La pression commerciale américaine fait monter la tension dans les campagnes mexicaines.

 

En 1998, le gouvernement mexicain avait banni la culture de maїs génétiquement modifié, puis a officiellement reconduit le moratoire en 2004 en introduisant des clauses sur les essais expérimentaux – mais aucun permis de test n’a jamais été délivré. Cependant, ce printemps, certains fermiers ont ouvertement déclaré avoir acheté des semences transgéniques aux Etats-Unis et les avoir illégalement planté dans l’Etat de Chihuahua dans le Nord du pays.

En Octobre dernier, Armando Villareal, un leader paysan de Chihuahua, a été abattu à la sortie d’une réunion d’agriculteurs à Nuevo Casas Grandes. Villareal dénonçait depuis un temps les plantations illégales de maїs transgéniques dans les municipalités à majorité Mennonite de Cuauhtemoc et de Naniquipa.

Les communautés Mennonite de Chihuahua sont venues du Canada dans les années 20, après une dispute contre l’Etat Canadien sur l’éducation, et l’Etat mexicain, sous la présidence de Alvaro Obregon, les a accueilli en leur offrant des terres. Aujourd’hui les Mennonites cultivent avec succès plus de 60 000 hectares dans le nord-est du pays mais ils ne sont pas intégrés à la population mexicaine et des questions d’irrigations, dans une région semi désertique, continuent de nourrir des tensions entre les deux communautés.

Ironiquement, Villareal ne s’opposait pas à la culture de maїs génétiquement modifié au Chihuahua mais il dénonçait les importations illégales de semences transgéniques depuis l’Etat du Kansas. Neuf mois après son assassinat, l’affaire n’a toujours pas été résolue et ses meurtriers courent toujours dans la nature.

 

Monsanto et les firmes biotech poussent pour l’introduction du maїs GM au Nord du Mexique.

 

Monsanto a refusé de commenter l’exportation et l’introduction illégale de son maїs Bt et Roundup Ready sur les terres de Chihuahua, cependant ce fait est loin d’être anecdotique puisque dans de nombreux pays l’introduction des OGM s’est faite de manière clandestine comme au Brésil ou au Paraguay. La répétition des mêmes méthodes d’introduction illégale des OGM, contre la volonté souveraine des Etats et des peuples, semble relever beaucoup plus d’une stratégie commerciale agressive que d’une simple coïncidence. Ces entreprises multinationales méprisent les représentants publics et les citoyens des Etats, ils ne s’attardent pas sur des notions comme la liberté ou le libre choix de son alimentation, pas plus qu’ils ne s’intéressent aux questions de santé publique. Leurs méthodes sont simples, lorsque les représentants de l’Etat ne peuvent être convaincus par aucun moyen, ils contournent l’Etat via des intermédiaires locaux et passent dans la clandestinité au mépris de tous les règlements internationaux.

Une de leur méthode favorite consiste aussi à établir une association vitrine, une sorte de cheval de Troie local, qui leur servira de devanture pour la plupart de leur mission de propagande mais aussi de fusible juridique pour les manœuvres les plus douteuses. Au Mexique cette association s’appelle Agrobio, une association mexicaine fondée par Monsanto, Bayer et Dow Chemicals, dont le Président est un certain José Luis Solleiro, un chercheur de l’Université National de Mexico. D’après M. Solleiro « les critiques contre le maїs transgénique maintiennent le Mexique à la traîne. » Il ajoute que le Gouvernement est en train de considérer la possibilité d’autoriser la culture du maїs GM dans le Nord du Mexique, où selon lui « il n’y a pas de maїs natif et peu d’opposition à la nouvelle technologie transgénique » (ou alors peu de candidat au martyr…). Solleiro n’est d’ailleurs pas embarrassé lorsqu’il s’agit de commenter les cultures illégales des Mennonites dans le Nord du Mexique « cela fait déjà quatre ans et rien n’est arrivé » puis il ajoute « je pense que nous méritons de pouvoir faire des expériences sérieuses sur les effets du maїs transgénique. »

Bien entendu l’autorisation d’expérimentation en champs ouverts constitue l’une des dernières étapes avant le lancement à grande échelle de la nouvelle plante génétiquement modifiée. Ces essais permettent de rechercher une meilleure adaptation de la plante à son environnement local, c’est-à-dire que les firmes avant de lancer une nouvelle semence prennent toujours soin de croiser des variétés locales avec leur plante GM afin d’obtenir une plante résistante aux conditions climatiques du pays ciblé, par exemple le Coton Bt de Monsanto des Etats-Unis n’est pas le même que celui cultivé au Burkina Faso ou en Inde. Malheureusement ces essais en plein champ, ainsi que l’adaptation de la cassette génétique sur des plantes locales, sont souvent les premiers déclencheurs de la contamination des plantes natives.

Les réserves de maїs natifs déjà contaminées par les OGM.

En 2001 déjà, deux chercheurs de l’Université de Berkeley en Californie, avaient rapporté que de l’ADN modifié, probablement venant de maїs GM étasunien, avait été découvert dans le génome de variétés locales dans les montagnes de Oaxaca, le berceau mondial du maїs.

En 2004, en pleine controverse sur la contamination des réserves mexicaines, la Commission pour la Coopération Environnementale de la NAFTA enfonce le clou en publiantun rapport recommandant de suspendre l’exportation vers Mexique de graines de maїs américain et de limiter le commerce à la farine de maїs garantissant l’impossibilité de contamination. Malheureusement les Etats-Unis ont protesté et le Gouvernement Mexicain n’a jamais pris de mesure dans ce sens.

Dans un rapport publié en 2007 par Mc Afee, la chercheuse demande aux autorités d’élargir le débat sur les risques de l’introduction des OGM au delà de ce qu’elle appelle « le champ de la techno-science ». Selon elle, les experts devraient élargir l’étude à l’impact des OGM sur toutes les variétés de maїs local mais aussi sur l’écologie, les croyances, le style de vie des paysans et leurs habitudes alimentaires car beaucoup d’entre eux continuent de cultiver la terre à la manière de leurs ancêtres en préservant les espèces locales génération après génération.

D’après Daniela Soleri, une ethno-écologue de l’Université de Californie à Santa Barbara qui étudie la culture, au sens large, du maїs au Mexique, « il y a eu un échec à maintenir des critères scientifiques impartiaux des deux cotés » et elle ajoute que le système américain, dans son interprétation de la situation, exclue des variantes tels que les fermiers et leur savoir traditionnel, ce qui fausse les résultats et provoque les crispations décrites.

 

Campagne Sin maíz no hay país, une résistance aux OGM bien organisée.

 

La résistance s’organise rapidement au Mexique pour défendre la souveraineté alimentaire du pays ainsi que sa biodiversité unique, le 25 Juin 2007 était lancée publiquement la campagne nationale : « Sin maíz no hay país, sin fríjol tampoco, pon a México en tu boca. » ( Sans maїs ni haricot, il n’y a pas de Mexico). Cette opération regroupe quelques 300 organisations de la société civile du monde rural et indigène (Via Campesina), écologiste (Greenpeace), des Droit de l’Homme, ou encore de défense des consommateurs… Cette initiative vise à sortir le maїs et les haricots des Accords commerciaux de l’ALENA mais aussi à interdire la culture de maїs transgénique au Mexique

Selon Martín Velázquez, porte-parole de la campagne Sin maíz no hay país, la souveraineté alimentaire implique la défense du mode de vie paysan et de l’environnement, ainsi que la préservation du patrimoine territorial. Elle touche le droit des paysans, des peuples autochtones et des consommateurs d’exiger et de définir des politiques alimentaires, et non de se les faire dicter.

Dans l’Etat du Chihuahua le ton monte entre la Communauté Mennonite cultivant des OGM et les représentants locaux de la campagne « Sin maíz no hay país », dont Victor Quintana aussi affilié à Via Campesina, qui menacent de faucher les champs de culture illégale sur les terres mennonites. Les membres de la campagne civile estime que « cette expérience » conduirait à la « production de dizaine de millions de grains dont chacun représente une menace directe pour le maїs local. » Le ministère de l’agriculture mexicain voit cette « expérience » comme la possibilité d’évaluer les distances de dispersions du pollen par le vent et ainsi déterminer des distances de sécurité pour éviter la contamination génétique des espèces locales.

La dispersion du pollen par le vent est déjà considérée responsable pour la contamination du maїs dans l’Etat voisin du Sinaloa, une région frontalière avec les Etats-Unis, où Greenpeace a conduit des tests en 2007 montrant des traces de maїs transgénique dans 96% des échantillons prélevés dans neuf municipalités. Le Sinaloa est le premier Etat producteur de maїs du Mexique. Aleira Lara, la coordinatrice de la campagne OGM de Greenpeace Mexique, considère que le confinement des cultures OGM à certaines régions est « illusoire et cosmétique ». L’année dernière Greenpeace a relevé 39 cas de contamination génétique par le vent dans quelques 23 pays.

Le Mexique est donc aujourd’hui au cœur de la tourmente OGM et la victime des pressions exercées par Monsanto et les firmes de biotechnologie mettant en œuvre toutes les méthodes déjà éprouvées dans le reste de l’Amérique Latine. La Société Civile mexicaine, à travers la campagne « Sin maíz no hay país », a démontré sa capacité de rassemblement et de protestation afin de défendre la « souveraineté alimentaire » et la culture du pays. Cependant, cela sera-t-il suffisant pour empêcher les politiciens du pays, dont la réputation vénale n’est plus à faire, d’ouvrir les vannes de l’invasion OGM ? Le Combat continue.

Sources journalistiques :

Killing Farmers with Killer Seed de John Ross pour Counter Punch, juin 2008
The DNA of Corn : Mexican Peasants vs. Techno-science pour la Fondation Miller-Mc Cune, juin 2008
La souveraineté alimentaire au Mexique : Sin maíz no hay país pour Alternatives, juillet 2008