Avec son épouse, Percy Schmeiser s’est consacré à la sélection de colza adaptées à la rudesse du climat de La Prairie. Confronté à la firme américaine “Monsanto”, il fut, un jour, amené à se défendre d’un péché qu’il n’avait pas commis. Il était, dimanche dernier, à Soignies.

Soignies recevait dimanche dernier dans la salle de l’Hôtel de ville, la visite de monsieur Percy Schmeiser, un fermier canadien devenu célèbre malgré lui [1] et qui porte allégrement ses 80 ans. Nous avions déjà entendu parler de cet exploitant agricole dont les ancêtres européens sont venus s’installer dans la province anglophone du Saskatchewan pratiquement au moment de l’intégration de cette même province dans la Confédération canadienne en 1905, il y a donc plus d’un siècle. Il fut également maire de sa commune et participa aussi aux travaux parlementaires de sa province.

Un interprète bénévole, monsieur Valentino, nous traduira son discours en français mais l’homme s’exprimera dans un anglais tellement clair que même l’ignare que je suis est parfois parvenu à saisir le sens de son propos. Il est vrai que depuis le début, j’ai été interpellé de très près par le problème dont il sera question dans sa causerie.

Cette province de la Prairie, située entre l’Alberta et le Manitoba et pas très éloignée de la montagne, est réputée pour être une des plus froides du pays. Elle ne bénéficie que d’environ 100 jours par an de temps propice à l’évolution des cultures, les hivers y étant particulièrement longs et rigoureux. La culture du maïs n’y est notamment pas envisageable.

Il s’est donc consacré durant trente ans avec son épouse et sa nombreuse famille, à la sélection de variétés de colza adaptées à la rudesse de ce climat. Il était peut-être loin de penser devoir un jour travailler à l’élaboration de certains articles de loi de son pays mais, confronté à un grave différend avec la puissante firme américaine "Monsanto" il fut un jour de 1998, amené à se défendre d’un péché qu’il n’avait pas commis.

Cette année-là, des contrôleurs de la firme sont arrivés chez lui en disant qu’il enfreignait la loi américaine sur les OGM dont la firme détenait les brevets, car ces mêmes contrôleurs avaient découvert de ces plantes dans son champ.

Ayant toujours utilisé des souches conventionnelles dans ses travaux de sélection, il ne s’expliquait pas cela. Or il se fait que son voisin de champ avait emblavé ses terres deux ans plus tôt avec une nouvelle variété génétiquement modifiée et brevetée par Monsanto. Là résidait la cause de ses ennuis car ses cultures se sont trouvées contaminées par les pollens OGM emportés par les vents mauvais de la plaine.
Il faut savoir que l’utilisateur de ces variétés modifiées est amené à signer un contrat très strict avec la firme productrice. Il se prive ainsi volontairement de tous ses droits.

Il eut beau affirmer n’avoir jamais utilisé ce genre de mutant, la firme le poursuivit en justice où il fut condamné et proprement menacé de ruine. Avec l’appui moral de son épouse, il ne lâcha jamais le morceau et au terme d’un long procès qui dura 7 ou 8 ans il fut enfin blanchi.
Cette aventure ne l’a pas laissé indemne, ni lui ni sa famille, car il leur fallut beaucoup de courage et d’obstination pour résister aux pressions exercées par la firme à son égard et arriver à ce que justice lui soit rendue.

Il s’était rendu compte de la puissance à laquelle il s’était heurté. Il travaille donc aujourd’hui à la mise en garde du monde agricole en nous expliquant qu’une fois les contrats signés avec cette firme, on est proprement réduits au silence. On doit passer sous les fourches caudines de ces candides sous peine de tout perdre, son emploi et ses terres.

Il nous explique plusieurs choses : la coexistence des deux systèmes de culture est impossible vu la sexualité sauvage et débridée de la crucifère en question envers toutes les plantes de la même famille.
Il pourrait en être de même par exemple avec les blés OGM vis-à-vis des graminées.

Le gène, une fois implanté dans la flore sauvage, peut se reproduire à l’infini et il devient impossible de s’en protéger autrement qu’en utilisant de nouveaux herbicides produits par la firme sans pour autant éviter de nuire gravement à la nature des choses.

Après avoir interpellé la "Recherche" de son pays, il peut affirmer, aujourd’hui, que ce gène mutant reste toujours présent jusqu’au bout de la chaîne alimentaire et vient coloniser les tissus vivants qui n’ont pas les moyens de se défendre de cette présence insolite. Plus grave encore, il en aurait été de même avec le gène "Terminator" interdit depuis et dont la firme s’était approprié à grands frais les brevets afin de rendre la récolte stérile et s’assurer ainsi la maîtrise de toute la chaîne de production au mépris des droits à la vie. Même l’humain pouvait être concerné par la présence de ce gène d’inhibition de facultés de reproduction.

Il s’agit donc, ni plus ni moins, d’une grave dérive du fonctionnement de la société des USA que l’on nous engage bizarrement à copier à tous niveaux aujourd’hui.

Les conséquences pour la santé de ceux qui consomment ces produits ne sont pas encore connues, car on manque de recul, mais il est certain qu’en présence de certaines bactéries et autres intrus normalement absents dans les produits conventionnels, le principe de précaution n’est pas respecté.

En ce qui me concerne, j’avais, dans les années 90, attendu avec une certaine impatience l’apparition de variétés de betteraves résistantes aux herbicides totaux produits par cette fameuse Monsanto afin de me débarrasser d’un gros problème de betteraves sauvages. Mon fils, qui depuis a repris l’exploitation, a pratiquement résolu le problème par la pratique du semis direct sans labour, sur couverture hivernale.

Après avoir entendu en mon temps pas mal de monde ici en Belgique et en Europe et écouté aujourd’hui l’aventure de cet honnête homme, j’en arrive à douter de plus en plus gravement de l’innocuité de ces fameux OGM.

On peut ne pas être d’accord avec ces conclusions mais une chose est certaine, cette manière de fonctionner avec des contrats de cette espèce, viole les droits fondamentaux du cultivateur qui consistent notamment à pouvoir produire ses propres semences et à travailler selon ses propres méthodes de culture.

Il s’agit là d’une escroquerie de grand chemin, tout simplement.

Merci aux organisateurs de cette rencontre et merci à monsieur Percy Schmeiser pour ce témoignage.

Source : Louis Poulain, La libre Belgique, 2 décembre 2009





[1"Percy Schmeiser, un rebelle contre les OGM", Hervé Kempf, "Le Monde", 17 octobre 2002,
"Le monde selon Monsanto" de Marie-Monique Robin, Ed. La Découverte et ARTE, 361 pp.