« En tant que scientifique qui travaille activement dans ce domaine, je considère qu’il n’est pas juste de prendre les citoyens britanniques pour des cobayes. » Diffusés le 10 août 1998 dans le magazine World in action de la BBC, ces quelques mots relatifs aux OGM ont bouleversé la carrière d’Arpad Pusztai, un biochimiste de renommée internationale qui travailla pendant trente ans (de 1968 à 1998) au Rowett Research Institute d’Aberdeen (Écosse).

1. L’étude sur les pommes de terres transgéniques.

L’affaire commence en 1995, lorsque l’Institut Rowett pour lequel travaille Pusztai depuis de nombreuses années, reçoit un financement de 2 millions d’euros du ministère écossais de l’Agriculture afin d’évaluer l’impact des OGM sur la santé humaine. La place de directeur du programme de recherche est offerte à Pusztai, qui sera en charge de superviser une équipe de trente chercheurs. A l’époque, aucune étude scientifique n’avait encore été publiée sur le sujet.

En accord avec le ministère, l’Institut Rowett décide de travailler sur des pommes de terre transgéniques, en leur insérant le gène qui fabrique la lectine du perce-neige (GNA). « Les études préliminaires avaient montré que les pommes de terre repoussaient effectivement les attaques des pucerons, explique Arpad Pusztai. Par ailleurs, nous savions qu’à l’état naturel la GNA n’était pas dangereuse pour des rats, même quand ils en absorbaient une dose huit cents fois supérieure à celle produite par les OGM. Il nous restait donc à évaluer les effets éventuels des pommes de terre transgéniques sur les rats. » A l’époque le chercheur était favorable aux manipulations génétiques. [1]

L’analyse de la composition chimique de la pomme de terre transgénique révèle bon nombre d’informations. Tout d’abord, les chercheurs découvrent qu’elle n’est pas similaire à celle des pommes de terres conventionnelles. De plus ils se rendent compte que les pommes de terres transgéniques ne sont pas similaires entre elles non plus, parce que d’une lignée à l’autre, la quantité de lectine exprimée pouvait varier de 20%. Ces premières conclusions remettent partiellement en cause la précision et la stabilité des manipulations génétiques. Le scientifique émet une série d’hypothèse :

- Cette imprécision viendrait de l’utilisation des canons à gènes qui introduisent le gène sélectionné de façon aléatoire au sein du génome de la plante modifiée, ce qui expliquerait en retour la variabilité de l’expression de la protéine, en l’occurrence la lectine.

- Cette imprecision viendrait de l’implication du « promoteur 35s », issue du gène du virus de la mosaïque du chou-fleur, destiné à promouvoir l’expression de la protéine.

En tout état de cause, le principe d’équivalence en substance subit une sévère entorse.

Dans un deuxième temps, l’équipe de chercheurs poursuit son étude auprès de rats nourris avec la pomme de terre transgénique.
Le protocole prévoit de suivre quatre groupes de rats depuis le sevrage jusqu’à cent dix jours : « Rapporté à l’homme, précise Arpad Pusztai, cela revient à suivre un enfant depuis l’âge d’un an à neuf ou dix ans, c’est-à-dire dans la période où son organisme est en pleine croissance. »

L’analyse des tissus de leurs cobayes apporte de précieux enseignements. En effet comme l’explique le Pr Pusztai : « les rats des groupes expérimentaux présentaient des cerveaux, des foies et des testicules moins développés que ceux du groupe contrôle, ainsi que des tissus atrophiés, notamment dans le pancréas et l’intestin. Par ailleurs, nous avons constaté une prolifération des cellules dans l’estomac et cela est inquiétant, parce que cela peut faciliter le développement de cancers causés par des produits chimiques. Enfin, le système immunitaire de l’estomac était en surchauffe, ce qui indiquait que les organismes des rats traitaient ces pommes de terre comme des corps étrangers. Nous étions convaincus que c’était le processus de manipulation génétique qui était à l’origine de ces dysfonctionnements et pas le gène de la lectine dont nous avions testé l’innocuité à l’état naturel. Apparemment, contrairement à ce qu’affirmait la FDA, la technique d’insertion n’était pas une technologie neutre, puisqu’elle produisait, à elle seule, des effets inexpliqués. » [2]

2. La polémique sur « les aliments Frankenstein ».

Le Pr Pusztai entend faire part de ses conclusions à ses supérieurs de l’Institut Rowett dont le directeur P. James, qui est l’un des douze sages du « Comité consultatif sur les processus et les aliments nouveaux » chargé d’évaluer au Royaume-Uni la sécurité des OGM avant leur mise sur le marché. Avec l’accord de sa direction, Arpad Pusztai décide d’en informer l’opinion publique par le biais d’une interview lors de l’émission World in Action de Granada Television, qui est une chaîne de télévision britannique commerciale du groupe ITV et diffusée le 10 août 1998. Cette interview fera basculer sa carrière.

Le 12 août 1998, A. Pusztai est convoqué par le Pr. James qui lui annonce la suspension de son contrat à l’Institut Rowett jusqu’à sa mise à la retraite. L’équipe de recherche est par ailleurs dissoute et ses documents confisqués. De plus, A. Pusztai est frappé d’un « gag order », une interdiction de communiquer avec la presse sous peine de poursuite, ce qui lui interdit de répondre à toute les attaques publiques dont il est la cible. Le Pr James accusera Pusztai d’avoir nourri les rats, non pas avec des pommes de terre contenant la lectine du perce-neige, mais avec une lectine appelé « con A » connue pour sa toxicité.

Un comité scientifique de soutient se met en place pour soutenir le Professeur Pusztai, qui après relecture de son étude confirmera la véracité de ses conclusions. En réponse, de nombreux scientifiques favorables aux biotechnologies, dont certains de la Royal Society, entament une nouvelle campagne de dénigrement des travaux de A. Pusztai. Dans un article paru le 1 Novembre 1999, Le Guardian révèle au public que la Royal Society a constitué une « cellule de dénigrement », dont le but est de « modeler l’opinion publique et scientifique sur une ligne pro-OGM et de contrer les scientifiques opposés ainsi que les groupes environnementaux » [3]. Un membre de la Royal Society, P. Lachmann, tentera de faire pression sur le directeur d’une revue scientifique pour empêcher la parution de la recherche du Pr. Pusztai et du Pr. Ewen.

Le Pr Ewen commente à propos de l’attitude de la Royal Society qu’elle a « soutenu dès le début le développement des OGM, et nombreux sont ses membres, comme le professeur Lachmann, qui travaillent comme consultants pour les firmes de biotechnologies. » [4]

Enfin le Pr. Ewen déclare que selon lui « la décision d’arrêter leur travail a été prise au plus haut niveau », par Tony Blair en personne qui aurait appelé à deux reprises le directeur de l’Institut Rowett, car les « Américains trouvaient que notre étude portait préjudice à leur industrie de la biotechnologie, et tout particulièrement à Monsanto… » De fait, cette information a été confirmée par un ancien administrateur de l’Institut Rowett, le professeur Robert Orskov, qui a rapporté en 2003 au Daily Mail que « Monsanto avait téléphoné à Bill Clinton, puis Clinton à Blair, et Blair à James … » [5]





[1Le monde selon Monsanto, Marie-Monique Robin, coédition La découverte/Arte ed., 2008, p215-216

[2Interview du Pr Pusztai par MM. Robin, Le Monde selon Monsanto, coédition La découverte/Arte editions, 2008, p217

[3Laurie FLYNN et Michael Sean GILLARD, « Pro-GM food scientist “threatened editor” », The Guardian, 1er novembre 1999.

[4D’après le Guardian, le professeur Lachmann était consultant pour des sociétés comme Geron Biomed, Adprotech et SmithKline Beecham

[5Andrew ROWELL, « The sinister sacking of the world’s leading GM expert – and the trail that leads to Tony Blair and the White House », The Daily Mail, 7 juillet 2003