Dans une déclaration présentée au Ministère de la Protection de l’Environnement (EPA), les scientifiques écrivent que « aucune recherche vraiment indépendante ne peut être légalement menée sur de nombreuses questions critiques ». L’EPA recherche des commentaires scientifiques provenant de la recherche publique pour des conférences sur les plantes biotechnologiques, qui doivent se tenir la semaine prochaine.

Cette déclaration viendra certainement soutenir les groupes critiques vis-à-vis des plantes génétiquement modifiées, comme les groupes écologistes, qui se plaignent depuis longtemps déjà, que les plantes n’ont pas été étudiées de façon complète et suffisante et pourraient avoir des effets inattendus sur la santé et l’environnement.

Les chercheurs, 26 scientifiques spécialisés dans l’étude des insectes du maïs, ont retiré leur nom car ils craignaient que les compagnies ne les excluent de leurs recherches. Cependant, plusieurs d’entre acceptèrent, lors d’interviews, que leur nom soit cité.

Pour les scientifiques, il est problématique que les agriculteurs et les autres acheteurs de semences génétiquement modifiées aient à signer un accord visant à garantir que, lors de la culture, les droits des compagnies sur les brevets ainsi que les règlements environnementaux sont bien respectés. Cet accord interdit aussi l’utilisation des plantes à des fins de recherches.

Ainsi, alors que des chercheurs universitaires peuvent acheter librement des pesticides ou des semences conventionnelles pour leurs recherches, ils ne peuvent le faire avec des semences modifiées génétiquement. Il leur faut obtenir la permission des compagnies semencières. Et parfois, la permission leur est refusée ou bien les compagnies insistent pour examiner toutes les conclusions avant qu’elles ne puissent être publiées.

Pour les scientifiques, ces accords sont depuis longtemps un problème, mais ils le font savoir publiquement car la frustration s’est accumulée.

Pour Ken Ostlie, entomologiste à l’Université du Minnesota et lui-même signataire de la déclaration, « Si une compagnie peut contrôler les recherches qui paraissent dans le domaine public, elle peut réduire les aspects négatifs potentiels qui peuvent survenir dans toute étude ».

Il est frappant de constater que les scientifiques qui ont exprimé cette protestation - et qui proviennent en grande partie d’universités financées par les états avec de grands programmes agricoles - affirment ne pas être opposés à la technologie. Au contraire, pour eux, en étranglant la recherche, l’industrie les empêche de fournir aux agriculteurs des informations sur les meilleurs moyens de faire pousser les plantes. De plus, ajoutent-ils, les données fournies aux organismes de contrôle gouvernementaux sont « excessivement restreintes ».

Pour Elson J. Shields, professeur d’entomologie à l’Université de Cornell, les firmes « peuvent potentiellement pratiquer le blanchissage des données et des informations soumises au Ministère de la Protection de l’Environnement (EPA) ».

William S. Niebur, le vice-président en charge de la recherche sur les cultures pour DuPont - qui possède la grande compagnie semencière Pioneer Hi-Bred - défend la politique de sa firme. Pour lui, étant donné que les plantes génétiquement modifiées sont soumises à la réglementation du gouvernement, les compagnies doivent contrôler avec soin la façon dont elles sont cultivées. « Nous devons protéger nos relations avec les agences gouvernementales en ayant des mesures de contrôle très strictes de cette technologie ». Mais il rajoutait qu’il serait heureux de pouvoir parler de leurs problèmes avec les scientifiques.

Monsanto et Syngenta, deux autres firmes de semences GM, déclarèrent jeudi, qu’elles soutenaient la recherche universitaire. Mais elles affirmèrent comme Pioneer, que leurs contrats avec les acheteurs de semences avaient pour but de protéger leur droit de propriété intellectuelle et de respecter les obligations réglementaires. Pourtant, Dale Emery, porte parole du ministère de la Protection de l’Environnement, déclarait jeudi que le gouvernement n’exigeait que la gestion de la résistance aux insectes de la plante et que toute autre restriction contractuelle était mise en place par les compagnies. L’accord de Syngenta avec le cultivateur interdit non seulement la recherche en général, mais spécifie qu’un acheteur de semences ne peut comparer le produit de Syngenta avec aucune autre semence rivale.

Le Dr Ostlie de l’Université du Minnesota avait en 2007, la permission de trois compagnies pour comparer dans quelles mesures leurs variétés de maïs insecticides se comportaient bien contre le vers de la racine du maïs, dans cet état. Pourtant, en 2008 Syngenta retira sa permission et l’étude dut être arrêtée. Pour le Dr Ostlie « La compagnie a juste décidé qu’il n’était pas dans son intérêt de la laisser se poursuivre ».

Mark A. Boetel, professeur associé d’entomologie à l’université d’état du Dakota raconte qu’avant que les semences de betteraves sucrières GM soient vendues pour la première fois aux agriculteurs l’an dernier, il souhaitait tester comment la plante réagirait à un traitement insecticide. L’université n’a pas pu obtenir un accord sur la publication et les droits de propriété intellectuelle, avec les deux compagnies responsables, Monsanto et Syngenta.

De son côté, Chris DiFonzo, une entomologiste de l’Université d’état du Michigan évitait, lorsqu’elle menait des études sur les insectes, les champs avec des plantes transgéniques car sa présence mettrait l’agriculteur en situation de violation de l’accord du cultivateur.

Un panel scientifique consultatif de l’EPA prévoit de tenir deux réunions la semaine prochaine. Une réunion se penchera sur la demande de Pioneer Hi-Bred concernant une nouvelle méthode qui réduirait la part du champ d’un agriculteur devant être réservée comme refuge destiné à prévenir l’apparition de résistance chez les insectes à son maïs insecticide. La deuxième réunion abordera d’une façon plus générale les cultures GM insecticides.

Christian Krupke, professeur assistant à l’Université de Purdue, a déclaré qu’étant donné que des scientifiques externes n’ont pu étudier la stratégie de Pioneer, « il ne pense pas que les inconvénients potentiels ont été évalués de façon critique par autant de personnes que cela aurait été nécessaire ». Le Dr Krupke est le président du comité qui rédigea la déclaration, mais il n’a pas voulu dire s’il l’avait signée.

Le Dr Niebur de Pioneer, répondit en affirmant que sa compagnie avait collaboré lors de la préparation de ses données avec les Universités de l’Illinois de l’Iowa et du Nebraska, les états les plus touchés par ce ravageur particulier.

Pour le Dr Shields de l’université de Cornell, le financement de la recherche agricole est passé graduellement du secteur public, au secteur privé. De nombreux scientifiques universitaires sont devenus dépendants, du financement ou de la coopération technique, de la part des grandes compagnies semencières. Il explique : « Les gens ont peur d’être mis sur des listes noires. Si votre seule tâche est de travailler sur des insectes du maïs, que vous avez besoin des dernières variétés de maïs et que les compagnies décident de ne pas vous les donner, vous ne pouvez pas travailler ».

Source : Les Amis de la Terre, traduction de l’article du New York Times, Crop Scientists Say Biotechnology Seed Companies Are Thwarting Research, le 19 février 2009.

La déclaration des Scientifiques

La déclaration suivante a été déposée par 26 scientifiques de premier plan, spécialistes des insectes du maïs et qui travaillent dans des instituts de recherches publics, situés dans 16 états producteurs de maïs. Tous ces scientifiques ont participé activement dans les Projets Régionaux de Recherches NCCC-46 « Développement, Optimisation et mise au point de stratégies de gestion du vers de la racine du maïs et d’autres insectes souterrains, ravageurs du maïs » et/ou d’autres projets liés aux ravageurs du maïs. La déclaration peut s’appliquer à toutes les décisions du Ministère de la Protection de l’Environnement sur les PIP, (Protection Incorporées dans les Plantes) et pas seulement à ce panel scientifique consultatif.

Déclaration :

« Les accords de technologie / gestion exigés pour l’achat de semences modifiées génétiquement interdisent explicitement la recherche. Ces accords empêchent les scientifiques publics de poursuivre le rôle qui leur est imparti au nom du bien public, à moins que l’industrie n’approuve la recherche. Il résulte de cet accès limité qu’aucune recherche vraiment indépendante ne peut être légalement menée sur de nombreuses questions critiques concernant la technologie, ses performances, ses implications pour la gestion (des cultures), la gestion des résistances aux insectes et ses interactions avec la biologie des insectes. Il en résulte que les données en provenance du secteur public parvenant à un panel scientifique consultatif de l’EPA, sont excessivement restreintes. »

Voir aussi le rapport des Scientifiques : Public Submission : EPA-HQ-OPP-2008-0836-0043