La faim, toujours. Et à des niveaux jamais atteints : sous l’effet de la crise économique, la barre du milliard de personnes souffrant de sous-alimentation a été franchie en 2009.

Une situation à laquelle le Sommet mondial sur la sécurité alimentaire, organisé à Rome du lundi 16 au mercredi 18 novembre sous l’égide de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), tentera – une nouvelle fois – d’apporter des éléments de réponse.

Le Belge Olivier de Schutter, rapporteur des Nations unies pour le droit à l’alimentation depuis 2008, s’alarme de la situation.

La situation s’est-elle améliorée depuis les "émeutes de la faim" de 2008 ?

Non. Toutes les conditions pour une nouvelle crise alimentaire dans un ou deux ans sont réunies. La question n’est pas de savoir si elle aura lieu, mais quand.

Les causes structurelles de la crise alimentaire de 2008 – une brutale hausse des prix liée à des facteurs conjoncturels puis accélérée par la spéculation – restent en place. Il suffit d’une étincelle pour que la hausse des prix redémarre. On n’a pas tiré les leçons de la crise passée.

Pourquoi en est-on encore là ?

Depuis juin 2008, les prix agricoles ont fortement baissé sur les marchés internationaux. Mais sur les marchés locaux des pays en développement, ils restent bien plus élevés qu’il y a deux ou trois ans.
Voici l’enjeu actuel : va-t-on continuer à miser sur un petit nombre de grands producteurs ou renforcer les petits fermiers, dont dépendent la majorité des populations des pays en développement ?

Avant même les émeutes de 2008, 900 millions de personnes souffraient de la faim, à cause des politiques menées ces dernières décennies : l’intervention des Etats dans la régulation des prix a été réduite, les producteurs les plus importants ont été aidés à développer des filières d’exportation et les petits fermiers s’en sont retrouvés marginalisés, ce qui a conduit à un exode rural massif.

Sentez-vous une évolution des élites ?

Dans les discours, on parle davantage de la petite agriculture familiale, mais on persiste dans des politiques d’encouragement des exportations. Le discours dominant est qu’il faut produire davantage, mais le vrai problème est qu’un milliard de personnes n’ont pas assez d’argent pour acheter la nourriture disponible.

Quand la FAO projette, pour nourrir 9 milliards de personnes en 2050, une obligation d’augmenter la production agricole de 70 % et de passer de 270 millions de tonnes de viande à 470 millions, elle élude la question de savoir s’il est raisonnable d’encourager la perpétuation d’un mode de consommation aux impacts très négatifs.
Si tout le monde imitait le régime alimentaire des Etats-Unis, il faudrait six planètes.

Comment la question du climat affectera-t-elle l’agriculture ?

L’agriculture est déjà victime du changement climatique, avec une sécheresse qui a réduit de 20 % les récoltes cet été en Inde, avec une sécheresse récurrente en Amérique centrale…

Les projections pour 2020 sont très inquiétantes. En même temps, l’agriculture est coresponsable de cette situation : 33 % des émissions de gaz à effet de serre lui sont attribuables.

Amener l’agriculture à mieux respecter l’environnement suppose de passer à des modes de production agroécologiques.

Peut-on faire un lien entre libéralisation et environnement ?

Un récent rapport de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) conclut que commerce et environnement peuvent être complémentaires : le commerce favoriserait le transfert de technologies propres ; et avec le changement climatique, de plus en plus de régions vont se trouver en situation de déficit alimentaire et devront acheter plus à d’autres pour se nourrir.

Ce qui manque, c’est une analyse de l’impact environnemental de l’agriculture d’exportation. Lorsqu’on produit pour l’exportation, on a recours à de larges plantations de monoculture, ce qui appauvrit les sols, provoque l’érosion, requiert beaucoup d’engrais et de pesticides.
Un autre aspect sur lequel ce rapport est très insuffisant est l’analyse des distances parcourues par les produits alimentaires des lieux où ils sont produits vers les lieux où ils sont consommés.

Aujourd’hui, dans le monde, chaque produit alimentaire parcourt de 1 500 à 2 000 km. Or les circuits courts sont moins voraces en énergie et en carburant que les circuits longs.

Il faut privilégier les cultures vivrières pour répondre aux besoins locaux, et déconcentrer la production alimentaire afin qu’elle soit la plus proche possible des lieux où elle est consommée.

Etes-vous favorable aux plantations pour compenser les émissions de gaz carbonique ?

Parmi les nombreuses raisons qui poussent à la spéculation sur la terre, il y a de grands projets de plantations qui sont liés à l’appât que représente le marché des droits à polluer.

Je pense que c’est une solution trop commode, parce qu’elle nous dispense de réfléchir aux moyens de réduire notre consommation d’énergie.

Source : Olivier de Schutter, rapporteur des Nations unies, propos recueillis par Hervé Kempf et Clément Lacombe, Le Monde, le 16 novembre 2009