Le monde selon Monsanto : le blog

Après un an et demi, plus de 500 posts et environ 340 000 visites, Marie-Monique Robin, bloggeuse acharnée, revient sur le phénomène du film-livre « Le Monde selon Monsanto » et fait avec nous le bilan d’une enquête plusieurs fois récompensée, qui a fait le tour du monde.

- Votre premier post s’intitulait « C’est parti ! » (18 février 2008). C’était deux jours après la présentation de votre documentaire à la presse. Vous vous étonniez alors de la vitesse à laquelle se répandait l’information et vous vous posiez la question « Est-ce le début d’un raz de marée ? ». Quel est votre sentiment aujourd’hui ?

Je pense que C’EST un raz de marée. C’est à cette occasion que j’ai entendu pour la première fois le mot "buzz". J’ai vu comment l’information sur ce documentaire-livre s’est répandue sur la Toile de manière incroyable.

D’abord en France et en français et puis, au fur et à mesure que le film et le livre sortaient, un peu partout dans le monde. Maintenant vous pouvez taper sur Google "El mundo segun Monsanto", "The world according to Monsanto". Il y a vraiment eu un phénomène sur la Toile autour de cette enquête. On est obligé de le reconnaître.


- Quel rôle ce "buzz" peut-il jouer dans la lutte contre les OGM ?

Quand je vais surfer un peu pour voir ce qu’il se dit sur mon blog, parce que ça fait partie du phénomène, je vois que j’en suis à plus de 340 000 visites. Ce que je constate c’est que partout où je suis allée – j’ai fait des projections dans le monde entier (en Amérique du Sud, en Europe...) – ce film et ce livre ont provoqué une prise de conscience de la part du public et, au-delà, des hommes politiques. Par exemple, en Argentine, j’ai rencontré la secrétaire d’État à la santé. Au Pérou, un ministre a assisté à une projection du film. J’ai présenté « Le Monde selon Monsanto » devant le Congrès du Brésil et récemment devant celui du Québec. Le film a aussi été présenté à l’Assemblée nationale et au Sénat en France. Internet est devenu un outil d’information, ça fait parti du « package ». C’est intéressant de voir la synergie entre le film et le livre, et assez frappant de constater qu’il y a des gens qui connaissent le film par cœur et qui achètent quand même le livre pour en savoir plus. Je peux en témoigner parce que je le vois partout. Je présente le film dans des salles qui sont combles. Au Canada où je ne connaissais personne, il y avait plus de 500 personnes à la projection.


- Selon vous, votre blog fait partie de ce « package » ?

Oui c’est sûr, il y a une synergie entre tous ces médias. D’ailleurs, pour moi c’est beaucoup de travail en permanence. Ça fait un an et demi que cette enquête est sortie et j’ai beaucoup de mal à en sortir moi-même et à passer à autre chose. Je viens de commencer une nouvelle enquête pour ARTE qui sera aussi un film-livre. J’y consacre du temps, mais je n’arrive pas à arrêter d’un seul coup en disant « bon, ça y est c’est fini, je passe à autre chose ». Il y a plein de commentaires qui m’interpellent, c’est beaucoup de boulot. Je trouve ça à la fois formidable, parce que ça crée une interaction, et gratifiant. J’ai beaucoup travaillé pour faire cette enquête et je reçois beaucoup de questions, de commentaires de gens qui ont envie de s’exprimer, encore une année après. Mais c’est très contraignant, on a l’impression de n’être jamais tranquille.

- Vous avez invité les internautes à vous prévenir de toute campagne de diffamation qui pourrait avoir lieu sur la Toile.

J’avais lancé un appel il y a très longtemps parce qu’on s’attendait, vu les méthodes de Monsanto, à ce que ça vienne de la Toile. La compagnie a recours au marketing viral. Dans le film, je donne l’exemple d’une campagne lancée par de faux scientifiques qui étaient en fait des salariés d’une agence de communication ou directement de Monsanto, pour discréditer un chercheur.

Venez sur mon blog, c’est assez ridicule, il y a quatre ou cinq pseudos qui reviennent sans arrêt. Je peux écrire n’importe quoi, ils vont systématiquement monter au créneau avec des arguments très souvent violents. Ce sont toujours les mêmes, à se demander s’il ne s’agit pas d’une seule personne, parce qu’on les retrouve sur toute une série de sites et de forums. Je me souviens avoir été frappée le 31 décembre, en plein réveillon, à 23h45, quand tout le monde faisait la fête : l’un d’entre eux était encore en train d’écrire sur mon blog. Ce sont soit des retraités, soit des gens qui sont payés pour ça. J’opte pour la deuxième option. Mais si ceux qui défendent les OGM de Monsanto sont de ce niveau là, c’est assez pathétique.


- Est-ce qu’au contraire d’autres commentaires ont nourri votre travail en le faisant avancer ?

Pas vraiment pour vous dire la vérité. Ce n’est d’ailleurs pas inintéressant de le constater. Je le remarque régulièrement quand je fais des projections par exemple. J’attends et je me dis qu’un jour il y a bien quelqu’un qui va se lever et réagir... C’est arrivé une fois, à Toulouse.

La conclusion à laquelle j’étais arrivée, moi, après cette enquête très longue, c’est que les OGM de Monsanto sont des plantes pesticides : soit elles ont été manipulées pour absorber du Roundup, un herbicide commercialisé par Monsanto, soit pour produire un insecticide, appelé BT. Ce qui s’est passé depuis la sortie du film confirme totalement ce que je disais à l’époque. Il faut savoir qu’en Europe, il y a six pays qui ont banni les OGM de Monsanto de leurs champs (Allemagne, Autriche, France, Grèce, Hongrie, Luxembourg).

Aux États-Unis, les nouvelles sont très mauvaises pour Monsanto. J’en ai parlé plusieurs fois sur mon blog et c’est ce que je décrivais dans mon livre avec beaucoup de détails (et dans un autre documentaire pour ARTE, « Argentine, le soja de la faim »), il y a cinq États où les agriculteurs veulent tout simplement arrêter les cultures transgéniques résistantes au Roundup. Ils sont confrontés à une mauvaise herbe, l’amarante qui est devenue résistante au Roundup et dont ils n’arrivent pas à se débarrasser : des plantes hautes de deux mètres, contenant 15 000 à 20 000 graines et qui prolifèrent.
En Géorgie, il y a carrément 5 000 hectares de cultures qui ont été abandonnés. Les paysans veulent revenir à des semences conventionnelles et arrêter les OGM sauf qu’il n’y a pas de semences disponibles, Monsanto ayant racheté la plupart des compagnies semencières.
En Afrique du Sud, c’est une catastrophe : aucune récolte avec le maïs transgénique de Monsanto – ce que ne nie d’ailleurs pas la compagnie.
En Argentine – j’y étais récemment – c’est un vrai désastre sanitaire. Le gouvernement vient d’en prendre conscience et il y a des actions judiciaires en cours. Tout ce qui se passe actuellement avec les OGM est un désastre. Je précise bien, les OGM qui existent réellement dans les champs, pas ceux dont on nous parle et qui un jour serviront à quelque chose.


- Vous parliez aussi sur votre blog d’une réglementation mise en place par Barack Obama aux États-Unis…

Il a effectivement annoncé qu’il allait demander la révision de la manière dont les OGM sont mis sur le marché. C’est très intéressant parce que cette manière complètement arbitraire de mettre les OGM sur le marché sans étude préalable est un des gros points de mon enquête. Les États-Unis sont en train de le reconnaître. Barack Obama a nommé un secrétaire de l’Agriculture (Tom Vilsack, ancien gouverneur de l’Iowa) très proche de Monsanto. Le sous-secrétaire à l’Agriculture en revanche est une femme, Kathleen Merrigan, qui depuis trente ans s’engage pour une agriculture biologique et écologiquement durable. Elle a notamment créé un fond pour aider les agriculteurs à se convertir à la culture bio. Donc, il y a, du côté des États-Unis en tout cas, une différence avec l’époque où j’enquêtais. Le fait que Madame Obama ait décidé de créer un jardin bio à la Maison Blanche est un signe très fort de la part du couple présidentiel.


- Comment a été reçu votre film aux Etats-Unis ?

Pour l’instant, il est sorti en DVD, il va être diffusé à la télévision et le livre sort en octobre. Il y a eu une avant-première à Washington où il y avait 500 personnes, ils ont dû refuser du monde. C’est une ville importante parce que c’est là qu’il y a tous les organismes de réglementation et la Maison Blanche. Je suis invitée à l’automne pour la sortie du livre coordonnée avec des projections du film, j’ai beaucoup de mal à gérer mon agenda parce que c’est l’époque où je dois commencer à tourner mon prochain film…


- Vous pouvez me parler un peu de votre nouvelle enquête ?

J’en ai un peu parlé déjà sur mon blog. Monsanto est le symbole de l’agriculture industrielle et, d’une manière générale, de la société installée après la Deuxième Guerre mondiale pendant laquelle 100 000 molécules chimiques (selon la Commission européenne) ont été « libérées », je dirais plutôt larguées. Selon l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis, 10 % d’entre elles (chiffre reconnu par la Communauté européenne) n’ont pas été testées et polluent notamment l’air. Parmi ces molécules, on trouve celles de Monsanto mais pas seulement. En travaillant sur ces questions, au fur et à mesure que je faisais des projections un peu partout dans le monde, on m’interpellait en me disant : « Est-ce qu’il n’y a pas un lien entre toutes ces molécules chimiques, ces pesticides et l’explosion de "l’épidémie" (terme utilisé par l’Organisation mondiale de la santé) de cancers, de maladies neurodégeneratives comme la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer mais aussi de diabète, de maladies auto-immunes ou de troubles de la reproduction » ? C’est ça mon prochain projet. ARTE a décidé de reproduire ce système qui est de joindre un livre, un film et un blog en occupant l’espace média sur toutes ses formes. Le film et le livre doivent sortir ensemble en septembre 2010.

Source : Arte, propos recueillis par Justine Gourichon
Edité le : 29-06-09
Dernière mise à jour le : 30-12-09