Réclamations et plaintes à l’encontre de multinationales et d’institutions internationales irrespectueuses des droits de l’Homme sont de plus en plus nombreuses, et la société civile souvent désarmée face à la puissance de ces organisations irrévérencieuses. C’est donc pour accompagner juridiquement les populations victimes de ces violations, que l’ONG française Sherpa travaille sans relâche aux quatre coins de la planète.

Créée en 2001 par William Bourdon, avocat au Barreau de Paris, Sherpa est devenue en sept ans un véritable réseau international de juristes qui dénonce et lutte contre les nouvelles formes d’impunité, nées de la mondialisation effrénée. Sherpa a notamment mené des enquêtes sur les agissements de Total en Birmanie, suite à diverses allégations de travail forcé portées par des travailleurs. Les investigations et l’expertise de l’ONG avaient alors permis, à l’issue de longues et difficiles tractations, l’indemnisation des travailleurs au terme d’une transaction amiable. Sherpa s’est également intéressée à d’autres multinationales comme Areva et Suez. Et le travail de l’ONG continue avec la dernière des affaires en date, celle qui a mené, pendant 4 semaines en avril dernier, deux de ses enquêteurs au cœur du continent sud-américain.

Enquête au cœur de l’empire Monsanto

Joseph Breham, juriste et chargé d’enseignement en droit international à l’université des sciences sociales de Toulouse, 29 ans, accompagné de Thomas Seiler, 23 ans, diplômé d’une école de commerce et spécialiste du sous-continent américain, ont été mandatés par Sherpa pour étudier les conséquences de la monoculture du soja transgénique Round’up Ready (RR), produit par Monsanto, dans certaines régions rurales du Paraguay et de l’Argentine. D’abord alertée par des ONG locales de cas suspects de décès de personnes et d’animaux ayant été exposés aux cultures de soja transgénique RR - c’est-à-dire résistant aux épandages de Round’Up -, une ONG internationale s’est adressée à Sherpa, lui demandant de faire la lumière sur cette affaire.

Ce qui semble poser problème, en marge de la consommation des produits cultivés, sont les épandages qui touchent les communautés vivant aux alentours des champs traités. À l’est du Paraguay, dans la région de San Pedro, Joseph et Thomas sont allés à la rencontre de la communauté Toro Piru qui vit au cœur d’une vaste étendue de plusieurs milliers d’hectares de soja transgénique. Chaque année, pour maximiser les rendements, ce ne sont pas moins de 1 500 tonnes de Round’Up qui sont pulvérisées sur les cultures avoisinantes.

Pour les membres de cette communauté, les épandages, trop souvent effectués en violation des dispositions légales (distance par rapport aux habitations non respectée, épandage malgré une vitesse de vent excessive, etc.), sont les premiers responsables des maux qui touchent certains enfants, et peut-être plus grave encore, de la mort de l’un des leurs l’an dernier, Monsieur Oscar.

Prêter allégeance aux multinationales.

Au Paraguay, 90% de la surface agricole cultivable est utilisée pour produire du soja transgénique. « Cette ultra spécialisation fait du Paraguay le 4ème producteur mondial (derrière le Brésil, l’argentine et les États-Unis) mais, à l’inverse des 3 premiers pays, le Paraguay dépend complètement du soja », explique Joseph. En février 2006, le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD) a publié, en collaboration avec d’autres acteurs du milieu, un rapport sur les conséquences sociales, économiques et politiques de la monoculture du soja en Amérique du Sud. Un chapitre de ce rapport explique précisément comment les gouvernements d’Amérique du Sud, tenus par la dette, sont obligés de prêter allégeance et de se mettre au service des multinationales, et particulièrement celles de l’agroalimentaire qui est un pôle d’exportation essentiel, abandonnant ainsi au secteur privé le loisir de ses excès productivistes.

Garantir au droit son expression équitable.

Pour l’heure, en bons connaisseurs de la situation locale, les deux enquêteurs de Sherpa s’intéressent tout particulièrement aux témoignages et aux preuves qui pourraient alimenter un recours devant une juridiction, lequel est demandé par les ONG locales qui se font l’écho des revendications des communautés touchées. Même en possession d’éléments à charge, encore faudrait-il, comme souvent dans des pays où la corruption est endémique, faire glisser la compétence territoriale de l’affaire vers une zone de droit et de respect des règles juridiques : un pays européen par exemple. C’est là que le travail de Sherpa se transforme en exercice d’expert et qu’il prend tout son sens : garantir au droit son expression équitable.

S’il doit garder une image particulièrement marquante du Paraguay, Joseph évoque celle de l’instituteur de la communauté amérindienne Guarani de La Victoria qui n’a pas été payé depuis deux ans et qui est, lui aussi, touché par une maladie dont l’origine reste mystérieuse. Ne pouvant se soigner, il risque de quitter sa communauté d’un moment à l’autre, et l’école ne devrait pas y survivre. En s’intéressant à cette affaire de décès suspects, Sherpa entend bien donner un nouvel espoir à ceux qui, comme cet instituteur, n’ont plus rien à espérer du gouvernement.

Source : Toogezer, un article de Virgile Charlot, le 8.09.2008