Il y a soixante ans, un contrat social a été passé entre la société et le monde paysan pour nourrir la population à bas prix, tout en fournissant des bras pour l’industrie et la reconstruction de l’après guerre. De paysan, ce monde est devenu agricole, puis agroalimentaire, par la mécanisation et l’énergie très bon marché.

Cette « révolution verte » n’a de verte que le nom, et doit tout à la chimie de synthèse.

Engrais et mécanisation ont déséquilibré cultures et « mauvaises herbes », devenues incontrôlables. Apparurent alors les désherbants, dont la toxicité ne fut étudiée qu’à court terme, sans tenir compte d’éventuels effets secondaires :

- risques pour les milieux et espèces commensales, parasites ou auxiliaires. Les insectes parasites se sont adaptés, comme les pucerons, et leurs destructeurs, comme les coccinelles, n’ont pas supporté et ont presque disparu. D’où la nécessité de détruire ces pucerons devenus nuisibles, ce qui a induit de nouveaux déséquilibres.

- risques pour la santé du consommateur, comme des utilisateurs directs de ces molécules. Ainsi l’atrazine, désherbant des maïs, fut présentée comme sans risque, voire buvable, en réunion de Développement Agricole, devant l’auteur de ces lignes... Polluant majeur des nappes, l’atrazine a été classé comme cancérigène par le Centre International de Recherche Contre le Cancer (CIRC), puis déclassé en « cancérigène probable ». Il est maintenant reconnu comme perturbateur endocrinien probable... A en perdre son latin, ou sa confiance en « la science », non ? L’atrazine est aujourd’hui remplacée par d’autres produits utilisés à des doses mille fois plus faibles : cinq à vingt grammes -épandus par du matériel de plein champ, dont la précision doit être diabolique- suffisent à désherber un hectare par an, au lieu de cinq kilos.
Si l’on sait maintenant que toutes ces molécules provoquent des effets directs sur la santé des agriculteurs, les études sur le cumul de doses et de produits sont inexistantes. Leurs actions se font sentir des dizaines d’années après le contact ou l’inhalation, ou parfois de façon quasi immédiate, ce qui permet alors de faire le lien entre produit, malaise ou maladie. Sait-on ce que deviennent ces molécules, une fois dégradées dans la nature ? Comment se recombinent-elles, en quels produits, toxiques ou non ? Des statistiques permettent de constater les dégâts sur les utilisateurs, mais pas sur les consommateurs, exposés, sauf exception, à des doses très faibles et trop diffuses, que l’on ne peut donc estimer facilement dans les échantillons de population qui sont à la base des études.

Le cas des désherbants

Pour être efficaces, les désherbants sont vendus sous forme de mélanges complexes. La loi, issue de la directive européenne 91/414, prescrit que chaque molécule ET chaque formulation soient étudiées de façon complète. Cette autorisation de mise sur le marché (AMM) doit être renouvelée tous les dix ans, et la formulation être « connue ».

Dans les désherbants, les molécules « actives » ont besoin de transpercer la protection cireuse des plantes, grâce à un agent mouillant. Comme l’aiguille permet l’injection du contenu de la seringue... Encore faut-il que cette aiguille ne perturbe pas l’organisme traité (propreté, toxicité...). Pour prendre un exemple connu, la molécule active du Round Up, ou glyphosate, est toujours accompagnée d’un mouillant, souvent un poly oxyéthilène amine (POEA), molécules qui détiennent trois AMM.

Implicitement reconnue par l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments, voir l’avis du 26 mars 2009), la présence conjointe du glyphosate et de POEA est pourtant absente des dossiers déposés par la firme demandeuse auprès de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), qui instruit les dossiers (voir la lettre du ministre de l’agriculture datée du 14 octobre 2009). Alors que toutes les analyses confirment la présence d’agents mouillants. Ce ne sont pas toujours des POEA : il peut s’agir de Poly Oxy Propylène Amine, qui ne détiennent apparemment aucune AMM..., voire d’autres molécules, inconnues dans la liste des adjuvants détenant une AMM.
Par ailleurs, lors d’une Commission de toxicologie, dite ComTox, les experts présents ont à vérifier des centaines de dossiers, en quelques heures, ce qui est surhumain. A moins qu’il ne s’agisse d’une simple acceptation de « modification mineure de composition », ainsi que cela fut évoqué devant nous lors d’une rencontre à la DGAL... Mais peut on penser que de passer d’une molécule avec des radicaux à deux carbones ait le même effet qu’avec des radicaux à trois carbones ? Un peu comme si du butane se comportait comme du propane, de l’éthanol comme du méthanol.

La loi est clairement contournée... Même si la publication de ces données n’est pas faite au public, l’administration devrait, pour le moins, exiger que les dossiers soient complets.

Et qu’en est-il de l’action de ces agents mouillants sur les sols et notamment la matière humique, énorme piège de carbone ? Sa dégradation a-t-elle été surveillée par les services publics comme l’Inra ? Les radicaux mycéliens ont-ils la même mortalité lors d’une application de Round Up (donc des agents mouillants) que les cellules du cordon placentaire (voir l’étude de Gilles-Eric Séralini, décembre 2008) ? Alors que certains pensent que la dégradation des sols participe au réchauffement climatique (voir Daniel NAHON, « l’épuisement de la Terre, l’enjeu du 21e siècle »), les tonnages de carbone ainsi émis sont colossaux.

Depuis le Grenelle de l’Environnement, des indices de fréquence de traitement (IFT) ont été mis en place grâce aux travaux de l’Inra. Pourquoi les traitements par enrobage ne sont-ils pas compris dans le calcul de ces IFT ? Ne masquerait-on pas ainsi une utilisation massive de ces produits plus toxiques que tous les autres ?

Questions aux services de l’Etat

Pourquoi n’ont-ils pas étudié toutes les conséquences de leurs préconisations chimiques sur la santé, la qualité des aliments, la préservation des ressources en eau et la survie qualitative des sols agricoles ?

Pourquoi n’ont-ils jamais donné aux experts agréés les moyens de répondre à des questions simples sur le devenir des produits dans les sols, les conduisant par exemple à récuser une mission d’évaluation des risques de rémanence d’un produit pulvérisé dans les sols d’une parcelle labellisée en agrobio ?

Pourquoi acceptent-ils que les firmes présentent les dossiers de toxicité dans des termes simplifiés et non prévus par la loi ? Sinon pour autoriser ainsi des dizaines de mélanges non étudiés, comme ceux à base de glyphosate en mélange avec d’autres molécules (au hasard : sel isopropylamine ET glyphosate, ou glyphosate acide, oxadiazon ET diflufénicanil).
Pourquoi les firmes ne transmettent-elles que des études réalisées il y a quelques décennies ? Cela leur permet-il d’économiser sur le coût des études complètes, pour la ré-actualisation des données sur la « formulation nouvelle » ?

Pourquoi l’administration ne renouvelle-telle pas les AMM au moins tous les dix ans ?

Pourquoi l’administration n’ouvre-t-elle pas exhaustivement les dossiers, et pourquoi rend-elle des « avis » qui ne sont souvent que des « copiés collés » des avis antérieurs (avis AFSSA du round up express du 16 04 07, avis Round up Energy et 680 du 16 04 07...) ?

Pourquoi l’administration rend-elle des avis, en reconnaissant sciemment que le « pétitionnaire n’a pas fait les études sur le public concerné » (avis AFSSA Round up express du 16 04 2007) ?

Pourquoi l’administration, quand elle réceptionne les dossiers de demande d’autorisations, ne demande-t-elle pas que la totalité des études fournies par les firmes soient publiques, voire publiées dans des revues soumises à des comités d’évaluation scientifique (relecture par les pairs) ? Doit-on comprendre que les « secrets industriels » sont plus importants pour l’Administration que notre santé ?

En voulez vous quelques preuves ?

pourquoi l’administration ne voit pas les manipulations flagrantes dans les conclusions de certaines « études » ?

Ces conclusions mettent clairement en évidence que les résultats sont éliminés par la firme quand les réponses NE SONT PAS proportionnelles aux doses ? (études 5.6.1/ de 01 à 04) ?

Ou que les effets des adjuvants sont bien réels mais niés, comme dans cette étude sur chiens 5.8.2/03 ? De même lorsque les effets sont clairement différents entre mâles et femelles (étude sur rats 5.8.2/04) ?

Pourquoi l’administration ne tient-elle jamais compte des données réelles de la dispersion des produits et de leurs résidus dans l’environnement et l’alimentation, mais seulement de données « calculées », et délivre-t-elle son avis sur ces estimations virtuelles prédictives ? Les estimations, légitimes il y a quarante ans, sont prises en défaut par la situation des nappes et cours d’eau, la percolation des molécules. L’Institut français de l’environnement (Ifen) montre bien la non-pertinence des tests fournis par les firmes, de nombreux captages d’eau potable devant être fermés, de nombreuses analyses dépassent les LMR (limite maximale de résidus) dans les produits alimentaires. Quels seront les effets « cocktails » sur notre santé ?
Pourquoi l’administration ne tient elle pas compte de données annexes et pourtant essentielles, comme par exemple cette étude de l’Afsset qui a constaté que les gants et autres tenues de protection étaient inefficaces dans de nombreux cas ?

Comment développer l’agrobiologie ?

Qu’en sera-t-il des dispositions du Grenelle de l’Environnement qui prévoit 6% d’agrobiologie en 2012, et 20% en 2020 ? Comment pourrait-on multiplier par dix la surface agrobiologique, alors que, par « l’inaction » de l’administration, par le manque de décision politique sous la pression de lobbies, nous stagnons aux alentours de 2% depuis environ 10 ans, et qu’en 2012, nous serons à peine à 3% ? Alors que le budget 2011 prévoit de ramener le crédit d’impôt agrobiologique de 4 000 euros à 2 000 euros ?

Comment peut-on croire que la diminution de l’usage des phytosanitaires, programmée à hauteur de 50%, va se mettre en place, alors qu’aucun calendrier n’est défini ? Que signifie d’ailleurs une baisse de 50% alors que une dose d’imidaclopride, la molécule du Gaucho, a une toxicité environ 7200 fois plus élevée que le même poids de DDT, pourtant interdit ?

Comment les administrations vont-elles pouvoir enfin favoriser les agriculteurs respectueux des milieux et de leurs consommateurs, alors que la FNSEA a lancé un appel pour faire arrêter ces mesures agri-environnementales (MAE), et a élu à sa tête un céréalier, actionnaire de Sofiproteol, organisme qui s’intitule lui même « partenaire durable de l’agro-industrie française ». Ce syndicat affirme que ces MAE seraient un frein à la productivité, et demande que les normes environnementales, dans le cadre des bonnes conditions agro-écologiques (BCAE), soient encore assouplies, malgré leur faible niveau actuel.

Pourquoi, malgré les affichages du Grenelle de l’environnement, aussi peu de résultats dans le nombre de conversions vers l’agriculture biologique (CAB) ? Pourquoi cette tiédeur de la modulation des aides de la PAC ? Une forte modulation pourrait permettre de financer ces CAB, justement, ou de nouvelles MAE, pour impulser efficacement une vraie conversion de notre agriculture, pour la sevrer de la chimie qui nous intoxique, nous et notre environnement.

Pourquoi la totalité de ces mesures favorisant l’environnement sont-elles toujours évaluées sur « le manque à gagner induit par des techniques non conventionnelles », sans jamais prendre en compte la préservation de la santé, des ressources en eau, de la biodiversité, toutes ces « menues choses » dont nos enfants auront besoin eux aussi ? Ces « services de la biodiversité », comme le rappelle Bernard Chevassus-Au-Louis, n’ont-ils pas été évalués à 30 000 milliards de dollars, soit 2 fois le Produit mondial Brut ?
Pourquoi ces mesures sont-elles accompagnées de dossiers lourds à gérer, de systèmes de contrôle ou de paiement très défavorisant comparativement à celui des primes PAC, mettant ainsi en jeu la survie économique de ces paysans respectueux de la santé des consommateurs ?

J’affirme aux services de l’Etat, et à tous ses grands commis : Je n’aimerais pas être à votre place, après tant de laxisme, ou d’aveuglement...
Car lorsque les maladies se déclareront de façon épidémique, qui aura la responsabilité morale, médicale et donc financière ?

Déjà les médecins s’alertent du nombre dramatiquement croissant de maladies liées à l’usage des phytosanitaires. Est-ce l’annonce de la vraie catastrophe sanitaire et sociétale où nous mène la chimie agricole ?

Puisque la Cour d’appel de Bordeaux a reconnu le titre de maladie professionnelle à un agriculteur de Charente, intoxiqué par l’herbicide « Lasso » de Monsanto, qui va payer l’augmentation des cotisations à l’avenir ? La Cour a déjà donné la réponse : ce sera l’assureur de complémentaire santé Aaexa (assurance accident des exploitants agricoles) qui l’indemnisera, comme l’avait déjà affirmé le tribunal des affaires sociales d’Angoulême. Ce sera donc à la charge des autres cotisants, pas des fabricants, ni des signataires des autorisations...

Dans l’attente de réponses à toutes ces questions...
Alors que certains lanceurs d’alerte ont été poursuivis (mais sans succès) pour avoir dénoncé les pollutions chimiques de l’alimentation comme celle des raisins de table, alors que les adjuvants dans les plastiques sont retirés un peu partout pour évaluation erratique de leurs effets... N’est-ce pas le moment de tous nous mobiliser, consommateurs, citoyens, acteurs de l’alimentation et de la santé, pour enfin être entendus ?

En ces temps de négociation pour la réforme de la Politique Agricole Commune en 2013, soutenons les actions, associations, syndicats, ONG pour notre santé et l’environnement de nos enfants...!!!

Ou alors faudra-t-il que des ministres soient traînés devant la Haute Cour de Justice pour fraude à la loi manifeste, comme le Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l’Aménagement du Territoire vient d’en effectuer une en réitérant une Autorisation Provisoire de Vente pour un produit, le Cruiser, que l’Allemagne a suspendu pour toxicité avérée sur les abeilles ?

Un précédent procès avait conduit à interdire le Régent pour l’enrobage des semences( molécule Fipronil) ; les leçons n’ont pas servi ...

Avec le soutien de :
• Sandrine Bélier, euro-députée Europe Ecologie - Les Verts
• Dominique Belpomme, professeur des universités, président d’Artac
• Lilian Ceballos, consultant en écologie, docteur en pharmacie
• Philippe Desbrosses, fondateur du réseau Intelligence Verte
• Bernard Frau, ancien Président de l’Ineris
• Frédéric Jacquemart, président du GIET
• Dominique Marion, Président de la Fédération National Agro-Biologique
• Jean-Yves Martin, médecin en milieu rural
• Pierre Menneton, chercheur INSERM, lanceur d’alerte
• Serge Orru, directeur général du WWF-France
• Christian Pacteau
• Christian Portal, collectif Acecomed, auteur de « Pour une médecine écologique »
• Pierre Rabhi, paysan, pionnier de l’agroécologie en France, membre des Colibris
• Jacques Testart, fondateur de la Fondation pour une Science Citoyenne
• Franz Vasseur, avocat au barreau de Paris

Source : Jacques Maret begin_of_the_skype_highlighting end_of_the_skype_highlighting begin_of_the_skype_highlighting end_of_the_skype_highlighting, Mediapart et jacquesmaret.net, 21 février 2011