[Un nouveau film, en salle depuis mercredi 2 décembre, dénonce le scandale de la puissance des lobbies agroalimentaires américains. Au rang des accusés, on retrouve à nouveau le leader mondial des semences et des OGM, Monsanto.] NDLR

On connaît les dérives des fast-food, dont certains films nous ont déjà dénoncé les coulisses et les effets néfastes. C’est en équipe avec le journaliste d’investigation Eric Schlosser, auteur d’un livre adapté au cinéma par Richard Linklater (Fast Food Nation) que Robert Kenner nous livre cette enquête sur les lobbies agroalimentaires américains.

Ce qui est mis à jour dans ce documentaire passionnant est l’influence de l’essor du fast-food sur toute l’industrie de l’alimentation. Une réalité, disent les auteurs, que l’on "nous cache délibérément".

C’est dans les années 1930 que les frères McDonald ont fait fortune en inventant un système leur permettant de réduire les coûts, moins payer des employés faciles à remplacer, et raccourcir les menus.

Révolutionnaire, le concept du restaurant à la chaîne est bâti sur la répétition du même geste à l’infini. Depuis, cette méthode est d’autant plus appliquée à grande échelle que McDonald’s (qui veut que ses hamburgers aient le même goût partout) est le plus gros acheteur de viande hachée et de pommes de terre des Etats-Unis. McDonald’s n’a pas changé la manière uniforme dont les citoyens calment leur faim, il a changé la façon dont on produit le steak.

Contrairement à ce que continuent d’afficher les étiquettes des produits vendus dans les supermarchés (images pastorales), il n’y a quasiment plus de fermes. Les tomates sont cueillies vertes et mûries à l’éthylène. Quatre leaders contrôlent le marché. Tyson est le magnat de la viande. Intensivement, dans l’obscurité et la fiente, il ne produit plus des poulets mais de la nourriture : les volailles sont artificiellement gavées de façon à générer plus de "blanc", elles s’effondrent parfois, incapables de supporter leur poids. "Si l’on peut élever un poulet en 49 jours, pourquoi attendre trois mois ?" dit un éleveur. Les élevages sont interdits de visite.

La diversité des marques est un leurre. Les produits viennent tous du même endroit. Et initiés dans l’Iowa, gigantesque champ de maïs. 30 % des cultures américaines sont des champs de maïs. Leurs producteurs sont subventionnés par l’Etat. 90 % des produits d’un supermarché contiennent du maïs ou du soja (ou les deux) : Ketchup, Coca, sauces de salades, piles, beurre de cacahuètes, confitures... Ingrédient providentiel, dopé aux engrais et pesticides, le maïs permet d’élaborer une nourriture qui ne rassit pas au réfrigérateur. Il engraisse bêtes et poissons. Les vaches ne sont pas faites pour manger du maïs mais de l’herbe ? Oui, mais le maïs est économique, et gonfle les chairs.

Pire : aux abattoirs, le purin se mêle à la viande. Un expert en nutrition des ruminants a trouvé une dangereuse bactérie dans les panses, l’E.Coli, qui provoque des empoisonnements alimentaires. Un enfant en est mort. Alerte ? Vous rêvez ! Il y a des intérêts en jeu. Les lobbies de la viande empêchent qu’un département puisse fermer une usine contaminée. La rentabilité prime. On a calculé que si, durant cinq jours, on remplaçait le maïs des troupeaux par de l’herbe, les bovins élimineraient 80 % de ces bactéries de leurs intestins. Dans les usines, les industries préfèrent traiter ces microbes, nettoyer les hamburgers, par l’ammoniaque.

Un Américain sur trois né après 2000 a toutes les chances d’être atteint de diabète. Ferments d’obésité, cultures de base du pays, blé, maïs et soja sont subventionnés. Quiconque ose semer des graines engrangées du surplus de l’année précédente plutôt que d’en acheter aux firmes "officielles" est poursuivi pour violation de brevet. La firme Monsanto, qui détient le monopole, paye 75 détectives privés pour traquer les rebelles. Cette firme a entretenu des liens étroits avec les administrations Clinton et Bush. Le gouvernement est contrôlé par les industries qu’il est censé réguler. Sous Bush, par exemple, le chef de cabinet du ministère de l’agriculture était aussi l’ancien responsable du lobby de l’industrie bovine à Washington. Témoignages, reportages, chiffres astronomiques : 32 000 porcs tués chaque jour dans les abattoirs de Smithfield, en Caroline du Nord, 70 % des produits alimentaires américains contiennent des ingrédients génétiquement modifiés.

Ces horreurs ne se passent-elles qu’aux Etats-Unis ? Est-on protégé en France de ces excès ? Souhaitons que ce film salubre relance chez nous les débats (suivis d’effets) sur les boues d’épandage, les fruits et légumes contaminés par des pesticides interdits par l’UE, pollution chimique des rivières induisant l’interdiction de la pêche...

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Bande-annonce fournie par Filmtrailer.com

Film documentaire américain de Robert Kenner. (1 h 34.)

Source : Jean-Luc Douin, lemonde.fr, 1er décembre 2009