En un siècle, les trois quarts de la diversité des plantes cultivées se sont volatilisés. Sur les quelque dix mille plantes vivrières ayant nourri l’humanité, 150 sont encore cultivées et une douzaine procure 80 % de l’alimentation végétale mondiale.

A eux seuls, le riz, le blé, le maïs et la pomme de terre couvrent 60 % de ces besoins. Cette érosion de la diversité génétique, dans un monde toujours plus peuplé et menacé par le réchauffement climatique, constitue un risque alimentaire : peut-on se permettre de laisser disparaître des espèces résistantes à la sécheresse, ou des variétés rustiques, robustes vis-à-vis de maladies et d’insectes qui pourraient un jour anéantir les plantes vedettes des systèmes de monoculture ?

Pour tenter de sauvegarder cette biodiversité, le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture prévoit la mise en place d’un système de conservation et d’échange multilatéral des semences. Il vise un partage équitable des bénéfices tirés de l’exploitation de ces ressources végétales entre le Sud, où se trouve la biodiversité, et le Nord, où les semenciers peuvent en tirer profit. Mais le mécanisme de ce traité, adopté en 2001 sous l’égide de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), peine à se mettre en place.

La troisième session de l’organe directeur du Traité, qui s’est déroulée en juin à Tunis, a bien failli tourner court, en raison de divergences de vues entre pays du Nord et du Sud, mais a finalement permis quelques avancées. Les 121 Etats membres du Traité sont tombés d’accord sur la création d’un fonds visant à encourager la conservation "en champ" de semences dans les pays en développement et la recherche de variétés résistantes à la sécheresse et aux maladies.

Ce fonds devrait disposer de 116 millions de dollars (84 millions d’euros) d’ici à 2014. Il est destiné à "faire la soudure" avec les revenus attendus du mécanisme du Traité : celui-ci prévoit en effet que 1,1 % des ventes de semences issues du système d’échange multilatéral doivent revenir au fonds, qui redistribue ensuite les sommes à des projets de conservation des semences. Or il faut souvent plusieurs années avant que la sélection d’une semence débouche sur une variété commerciale. Le Traité était donc au point mort : les pays du Sud hésitaient à partager leur patrimoine génétique, en échange d’une rétribution hypothétique.

Pour Guy Kastler (Confédération paysanne), qui représentait, à Tunis, Via Campesina, un rassemblement international d’organisations paysannes, ce fonds "ne résout que provisoirement la question financière : le secrétariat reste soumis à la bonne volonté des Etats, qui maintiennent le Traité sous perfusion". La réunion de Tunis a cependant permis de retenir onze projets dans les pays du Sud, qui vont bénéficier chacun de 50 000 dollars (36 000 euros). "Ce sont des projets très intéressants, notamment celui du Pérou, note M. Kastler. Mais les sommes allouées bénéficient souvent aux universités qui les pilotent. Nous aurions préféré qu’elles aident directement les paysans."

A Tunis, plusieurs nouvelles collections de semences ont été associées au système multilatéral : l’Europe partagera 230 000 échantillons et le semencier français Promaïs va aussi mettre ses 2 500 variétés à l’échange. "La France est la première à proposer une collection privée au Traité", se félicite François Burgaud, du Groupement national interprofessionnel des semences (GNIS), qui faisait partie de la délégation française.

"La collection Promaïs est à l’origine une collection de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), un institut public. Et ces ressources étaient déjà accessibles", tempère M. Kastler, qui regrette que la délégation française ait fait place aux semenciers "mais pas aux paysans".

La position de la France vis-à-vis du Traité reste ambiguë. Elle n’a pas encore versé un centime dans le fonds ni ratifié les autorisations de transfert de matériel génétique prévues par le Traité. Elle ne reconnaît pas certains droits des paysans sur leurs semences de ferme et hésite encore sur le statut juridique à donner aux semences en général.

Le "Traité des graines" est pourtant stratégique pour la France : son industrie semencière - la deuxième du monde - n’est pas suffisamment solide dans les nouveaux rapports de force induits par la Convention sur la diversité biologique (1993), qui place les ressources biologiques sous la juridiction des Etats nationaux. Les pays à forte biodiversité, au Sud, peuvent désormais faire monter les enchères vis-à-vis des pays du Nord. Cela vaut pour les cosmétiques, les agrocarburants, la pharmacie et, bien sûr, l’agriculture.

Les Etats-Unis, qui sont rompus aux bras de fer bilatéraux, tout comme, côté Sud, les géants brésiliens et chinois, n’ont pas signé le "Traité des semences", pas plus que le Japon. Et le soja, la canne à sucre, l’huile de palme et l’arachide ont été exclus des plantes échangées au sein du Traité.

Les choses pourraient cependant évoluer. "L’administration américaine a fait un pas auprès du Sénat pour ratifier le Traité, indique Clive Stannard, conseiller spécial du secrétariat du Traité. Il est vrai que son industrie est demandeuse de plus de sûreté légale : elle ne veut pas se trouver accusée d’avoir volé des gènes." Or le Traité des semences doit en principe éviter de tels litiges : il prévoit un système de traçabilité des ressources, avec la FAO en arbitre. "Ce traité offre un modèle de tutelle sur un bien public international, tout en respectant les règles du marché, résume M. Stannard. On invente pièce par pièce quelque chose qui n’a jamais été fait."

Source : Le Monde.fr, par Hervé Morin, le 8 juillet 2009