Pendant la crise, les catastrophes alimentaires continuent. Si les émeutes liées à la faim dans le monde ne font plus l’ouverture des journaux, l’actualité littéraire se charge de lancer des cris d’alarme.

Plusieurs ouvrages récents partent de constats effrayants. « D’ici à 2050, les besoins alimentaires devraient doubler, observe Frédéric Lemaître dans « Demain, la faim ! ». Or, rien ne dit que l’agriculture sera capable de relever ce nouveau défi. » « Cela frise l’impossible alors que la planète va manquer d’eau, de terre et d’énergie », renchérit Bruno Parmentier dans « Nourrir l’humanité ».

Les enfants sont les premières victimes de cette situation, souligne Claire Brisset. Dans « Les Enfants et la loi de la jungle », elle rappelle qu’en 2007 « la malnutrition a tué plus de 6 millions d’enfants de moins de six ans ». « La situation s’est aggravée au cours de 2008 et les spécialistes s’attendent à une terrible année 2009 », poursuit-elle.

Bond des importations

La faute à qui ? En ligne de mire : les institutions internationales et les multinationales. Frédéric Lemaître critique cette « erreur fondamentale » de la Banque mondiale « qui a longtemps cru que l’agriculture était une activité vouée (...) à évoluer à l’occidentale. A s’industrialiser. » Dans « Géopolitique de l’alimentation », Gilles Fumey met à l’index les multinationales pourvoyeuses d’intrants qui ont été son « bras droit » « quand elle a appelé à développer l’agriculture intensive (...), poussant à la ruine des millions de petits paysans ».

Dans « Les Affameurs », Doan Bui s’attaque aussi « aux pieuvres de l’agrobusiness comme Monsanto ou Cargill, qui prospèrent en ces temps de crise ». L’Organisation mondiale du commerce (OMC), qu’elle qualifie de « grand Satan » pour les pays du Sud ou de « joli bordel » où « les plus forts continuent de faire la loi », en prend aussi pour son grade... Le commerce international (constitue-t-il) un outil pour mieux nourrir ou pour affamer ? s’interroge Bruno Parmentier. Sans prendre parti, il affirme néanmoins : « La simple loi du marché ne fonctionne pas. » Et cite l’exemple des poulets au Cameroun. « Le poulet congelé européen est vendu 1,37 euro/kilo contre 2,28 euros/kilo pour [celui] produit sur place. » De fait, entre 1996 et 2003, les importations ont bondi et la production nationale a chuté, « ce qui a supprimé près de 110.000 emplois par an », assure une ONG locale.

Plusieurs exemples concrets comme celui-là illustrent l’ouvrage de Doan Bui. Sous la forme d’un reportage, elle invite le lecteur à un voyage autour du monde. De Dakar et du marché de Sandaga où « tout est importé » au détriment de la production locale, à Bornéo où elle s’arrête sur « le scandale de l’huile de palme », en passant par les négociants et diplomates de Genève ou « les naufrageurs de la City », à Londres. Elle évoque aussi la Chine qui devient carnivore et « ses conséquences sur les marchés »... Attention à « la ficelle chinoise (qui s’avère) un peu grosse » ! prévient cependant Gilles Fumey. Si de nouveaux Chinois mangent davantage de viande, « des politiques publiques pourraient inciter à consommer autrement (...), notamment dans les pays riches, plaide-t-il. Curieusement, jamais n’est traitée la question de la suralimentation et du gaspillage dans les pays riches. »
L’agriculture, enjeu de premier plan

« La famine est politique, résume Claire Brisset. Elle est créée par la main de l’homme ; par la spéculation sur les matières premières, par des décisions aberrantes qui privilégient l’économie financière et négligent les moyens de nourrir les humains. »

Pour tous les auteurs, l’agriculture redevient un enjeu de premier plan. Au point que des pays vendent leurs terres à d’autres qui veulent assurer leur sécurité alimentaire... Et si, un jour, cela dégénérait en guerres ? « Mai 2045. L’Inde vient de déclarer la guerre à l’Indonésie », ose Frédéric Lemaître dans un scénario fiction. L’Inde avait acheté des terres à l’Indonésie en 2015. Mais cette dernière veut les reprendre... Les émeutes du printemps 2008 « ne sont qu’un avant-goût de ce qui nous attend », conclut-il, pessimiste.

Source : par MARIE-CHRISTINE CORBIER, les Echos, le 20 mars 2009