Conséquence directe de la crise alimentaire mondiale et de la volatilité des cours, les projets d’achat ou de location de terres agricoles à grande échelle, parfois sur des centaines de milliers d’hectares, se multiplient.

Ils émanent notamment de pays du Golfe, gros importateurs de denrées, qui cherchent ainsi à garantir leurs approvisionnements auprès de pays en développement à la densité moindre, et à l’étendue et la richesse en eau supérieures. Les terres convoitées se situent en Ukraine, au Kazakhstan, au Pakistan, en Ouganda, en Ethiopie ou encore au Soudan.

"La quête de terres n’est pas un phénomène nouveau, mais on assiste à une accélération considérable", constate Paul Mathieu, expert en gestion des terres à l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, Nations unies). Si les industriels de l’agroalimentaire restent de traditionnels investisseurs, ils ont été rejoints ces dernières années par les producteurs de biocarburants, souvent Européens, qui s’intéressent de près aux terres africaines. Puis, avec l’envolée des prix des matières premières, des fonds d’investissement à la recherche d’opérations fructueuses ont jeté leur dévolu sur un secteur jusque-là peu rentable. Enfin, des fonds souverains entendent désormais jouer un rôle en matière de sécurité alimentaire.

La demande est telle que la FAO commence à tirer la sonnette d’alarme : Jacques Diouf, son directeur général, dit ainsi redouter "l’émergence d’un pacte néocolonial pour la fourniture de matières premières, sans valeur ajoutée pour les pays producteurs". Ses équipes réfléchissent aux outils de politique foncière à conseiller aux Etats concernés.
L’idée n’est pas de renoncer à une telle manne mais d’éviter les expropriations de petits producteurs et la spéculation. Sans oublier la déforestation, impact direct de la ruée sur le secteur. "L’augmentation du prix des terres agricoles accroît l’écart de profitabilité avec les valeurs forestières", s’alarme ainsi Alain Karsenty, chercheur au Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad), qui redoute une hausse du phénomène en Amazonie ou dans le bassin du fleuve Congo.

UN RISQUE OU UNE MANNE

Certains pays tentent de définir des règles. Si l’Etat avait laissé faire, "c’est l’ensemble des terres sénégalaises qui serait entre les mains des Américains ou des Européens", raconte Abdourahim Agne, ministre sénégalais de l’aménagement du territoire. Il estime que les propriétaires, Etat ou paysans, doivent le demeurer, tout en approvisionnant les usines d’acteurs étrangers.

"Si un investissement risque de détruire l’agriculture locale, il faut le refuser, mais s’il apporte de nouvelles technologies dont les producteurs bénéficient, sa venue peut être positive", explique pour sa part David King, le secrétaire général de la Fédération internationale des producteurs agricoles. "Les fonds souverains disposent de milliards, pourquoi ne les investiraient-ils pas dans l’agriculture ?" Car si certains pays en développement disposent de terres en abondance, ils manquent de silos, de routes, de chemins de fer. Ils sont donc eux-mêmes demandeurs de cette manne pour moderniser leur agriculture, comme le Kazakhstan, qui propose aux étrangers la concession de terres pour dix ans.

Le risque existe que ces intérêts soudains ne soient pas durables. Dans les pays de l’Est par exemple, "l’augmentation des prix agricoles a été un réveil, et la région est prometteuse. Mais il faut rester prudent sur l’impact d’un tel phénomène à long terme", estime Gilles Mettetal, le directeur "agribusiness" de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). C’est pourquoi la BERD, qui accompagne les investissements dans cette région, veille à privilégier les investisseurs issus du métier.

Source : Le monde du 22 septembre 2008, Laetitia Clavreul