a. L’affaire Richard Burroughs, la FDA écarte le « lanceur d’alerte » de la rBGH.

Richard Burroughs est un vétérinaire, spécialiste des bovins, qui est recruté à la Food and Drug Agency (FDA) en 1979 et sera intégré au Centre de Médecine Vétérinaire (CVM) de la FDA. En 1985, ce scientifique se voit confier la mission d’étudier la demande de mise sur le marché d’une hormone de croissance bovine, la somatotropine (BST), fabriquée par manipulation génétique dans les laboratoires de Monsanto.

Il s’agit d’une première dans l’histoire de la FDA qui doit étudier l‘homologation de mise sur le marché du premier médicament transgénique. R. Burroughs se retrouve avec un dossier impressionnant de données fournies par Monsanto, qui prouve effectivement que la rBGH augmente les rendements en lait des vaches injectées, mais qui comporte a très peu de données sur les effets secondaires toxiques pour les bovins et notamment les perturbations du cycle naturel de l’animal.
L’expert de la FDA décide que les études réalisées par Monsanto doivent être refaites sur une période d’au moins trois cycles, ce qui repousse au minimum de trois ans la mise sur le marché. Lorsque les nouvelles études commandées par Burroughs arrivent, celui-ci est très sceptique sur la qualité du protocole scientifique appliqué par Monsanto.
Cependant, il lui a été confirmé que les injections de rBGH augmentent significativement le taux de mammite. Ces deux éléments sont suffisants pour qu’il avertisse sa hiérarchie. Dans une lettre du 4 mars 1988, RP Lehmann, directeur de la division médicaments du CVM, écrit à Terrence Harvey de Monsanto, pour lui signaler ce qui suit : « Nous avons examiné votre demande et la trouvons incomplète. Les tests sont insuffisants. […] Vous n’avez pas clairement identifié l’incidence clinique des mammites dans les troupeaux testés. […] Vous devriez clarifier quels traitements vous allez utiliser pour soigner les mammites. […] Nous vous rappelons que l’usage de la gentamicine et de la tétracycline n’est pas autorisé pour le traitement des mammites dans les troupeaux laitiers. […] Vous avez compromis l’utilité de vos données sur la reproduction en utilisant de la progestérone et des prostaglandines. Il n’est pas possible d’évaluer les effets de la somatotropine bovine sur la reproduction si simultanément des essais avec d’autres hormones reproductives masquent ou altèrent les effets du médicament. » [1] Notons ici que Terrence Harvey est un ancien directeur de la CVM qui a fini sa carrière à Monsanto comme directeur des affaires réglementaires.

A la suite de ce courrier, la hiérarchie de M. Burroughs lui retirera progressivement le dossier sur le rBGH et lui refusera l’accès aux nouvelles études fournies par Monsanto. Le 3 novembre 1989, il sera licencié de la FDA pour « incompétence ». Ne comprenant pas le motif de son licenciement, M. Burroughs poursuivra la FDA devant la justice pour licenciement abusif et gagnera dès la première instance, la FDA se voyant contrainte de le réintégrer. Cependant il sera muté à la section porcine de la CVM, un domaine dans lequel il ne possède pas les compétences nécessaires, ce qui l’amènera à démissionner pour ne pas commettre une faute grave.
Des avocats de Monsanto présents à son procès contre la FDA viendront le voir pour faire pression sur lui et le prévenir qu’il serait poursuivi en justice à son tour s’il communiquait des informations confidentielles sur la rBGH. [2]
Aujourd’hui, lorsque l’on demande à M. Burroughs s’il pense que la FDA a été trompée par Monsanto, il répond que “trompée” n’est pas le mot juste, car cela signifie que cela se serait passé à l’insu de la FDA. Non, l’agence a sciemment fermé les yeux sur des données dérangeantes, parce qu’elle voulait protéger les intérêts de la société, en favorisant au plus vite la mise sur le marché de l’hormone transgénique [3] »…

b. L’affaire Samuel Epstein et les données secrètes de Monsanto sur la rBGH.

Samuel Epstein est un chercheur scientifique renommé pour ses publications et ses livres, notamment sur le cancer, mais c’est aussi un homme d’engagement dont l’une des théories est que la recrudescence des cancers serait liée à la pollution environnementale. En 1994, le professeur Epstein a créé la Coalition pour la prévention du cancer. Il a reçu en 1998 le Right Livehood Award (le « prix Nobel alternatif ») et, en 2000, le Project Censored Award (le « prix Pulitzer alternatif ») ; ainsi que, en 2005, la Albert Schweitzer Golden Grand Medal pour sa « contribution internationale à la prévention du cancer ». Il est aujourd’hui professeur émérite en médecine environnementale de l’université de l’Illinois.
S. Epstein commence à s’intéresser à l’hormone de croissance à partir de 1989 à la suite de la lecture d’articles scientifiques sur le sujet. Il est d’abord surpris de découvrir au travers des études publiées que l’administration de l’hormone provoque des effets secondaire sur l’augmentation des mammites et la fertilité des bovins, ainsi que des changements dans la qualité nutritionnelle du lait. En poussant plus loin ses recherches sur la rBGH, S. Epstein découvre que le lait et la viande issus des élevages expérimentaux de Monsanto sont intégrés à la chaîne alimentaire, alors même que l’hormone n’a toujours pas été avalisée par la FDA. Le 19 juillet 1989, il écrit à l’administrateur de la FDA pour lui faire part de sa découverte et, en lanceur d’alerte avisé, rédige un article qui sera publié dans le Los Angeles Times [4]. Le 11 août, le directeur de la CVM, G.B. Guest, se fend d’un droit de réponse dans le journal dans lequel il déclare : « les essais approfondis de la BST autorisent l’agence à affirmer que la viande et le lait provenant de vaches traitées avec la rBGH ne sont pas nocifs pour la santé humaine. »
Affirmations dépourvues de fondements scientifiques puisque les données fournies par Monsanto étaient toujours en cours d’analyse et que des voix discordantes au sein de la FDA, comme celle de M. Burroughs, soulevaient de nombreuses questions sur l’impact sanitaire de la rBGH.

L’affaire rebondit fin octobre 1989, lorsque S. Epstein reçoit, de la part d’un informateur anonyme de la FDA, les données confidentielles de l’étude toxicologique de Monsanto sur la rBGH. S. Epstein rentre alors en contact avec Pete Hardin, le directeur de Milkweed, une revue spécialisée sur la production laitière, afin d’écrire un article révélant le contenu des études confidentielles de Monsanto. Pour la première fois, des données sur les effets secondaires de la rBGH sont transmises au public. Une des principales conclusions de l’analyse des données de Monsanto est que les vaches sous rBGH ont du être traitées beaucoup plus souvent avec des antibiotiques, notamment à cause de l’augmentation de mammites. De plus, certains des antibiotiques [5] utilisés par Monsanto ne sont pas autorisés par la FDA dans les troupeaux laitiers.
Ces révélations conduisent à l’ouverture d’une enquête du General Account Office (GAO), le bureau d’investigation du Congrès américain afin de déterminer si « Monsanto et la FDA ont supprimé et manipulé les données résultant de tests vétérinaires pour faire approuver l’usage commercial de la rBGH ». Les enquêteurs du GAO écrivent le 2 mars 1993 à Donna Shala, la secrétaire à la santé afin de lui faire part de leurs conclusions : « L’autorisation de la rBGH ne devrait pas intervenir avant que les risques liés aux antibiotiques soient sérieusement évalués. Les recommandations que nous avons faites à ce sujet à la FDA n’ont toujours pas été suivies d’effet. » Ces recommandations resteront lettre morte aucune investigation scientifique ne sera menée sur l’impact sanitaire des antibiotiques. Finalement le 5 novembre 1993, la FDA donne son feu vert à la mise sur le marché de Posilac, le nom commercial de la rBGH. La seule restriction imposée par le GAO sera d’imposer que la notice d’emploi indique les vingt-deux effets secondaires que peut entraîner le produit sur les vaches.





[1Le monde selon Monsanto, MM. Robin, coedition La decouverte/Arte Ed., 2008, p116

[2Le monde selon Monsanto, MM. Robin, coedition La decouverte/Arte Ed., 2008, p116

[3Le monde selon Monsanto, p116.

[4The Los Angeles Times, 1er août 1989. Dans le même temps, Samuel Epstein rédigera un article scientifique : « Potential public health hazards of biosynthetic milk hormones », International Journal of Health Services, vol. 20, n° 1, 1990, p. 73-84.

[5Sont cités les antibiotiques suivants : Banamine, Di-trim, Gentamycin, Ivomec, Piperallin, Rompun et Vetislud