a. Des défaillances dans le système d’homologation des pesticides aux Etats-Unis et en Europe ?

Les pesticides, baptisés « produits phytosanitaires », recouvrent trois catégories : les fongicides (pour lutter contre les champignons), les insecticides (pour venir à bout des parasites) et les herbicides (pour éliminer les concurrentes herbacées des cultures). Ces produits chimiques servant tous à l’éradication d’organismes vivant, ils sont nécessairement toxiques et doivent par conséquent être soumis à une autorisation de mise sur le marché vérifiant le degré de toxicité pour l’homme et son environnement.

La France est le troisième utilisateur mondial de pesticides (après les États-Unis et le Japon), avec 100 000 tonnes vendues chaque année, dont 40 % d’herbicides, 30 % de fongicides et 30 % d’insecticides. On estime que 550 matières actives et 2 700 formulations commerciales sont actuellement homologuées et utilisées sur le territoire français. Cette homologation est soumise à toute une batterie de tests visant à prouver l’efficacité et l’innocuité du pesticide pour l’homme, les animaux et l’environnement. Pour chaque pesticide est établi une « dossier toxicologique », produit à partir de diverses études réaliser sur des rats afin de déterminer des données comme la dose létale, ou encore étudier sur le long terme les effets d’une exposition répétée au pesticide. Enfin, des tests doivent vérifier si le produit présente un « potentiel oncogénique » (cancérigène), « tératogène » (capable de provoquer des malformations congénitales) ou « mutagène » (capable de modifier de manière permanente et transmissible l’ADN des sujets exposés), trois caractéristiques toxiques que l’on retrouve dans l’herbicide 2,4,5-T, aussi connu sous le nom d’Agent Orange.
Ces tests semblent assurer une certaine garantie quant à la sécurité des pesticides qui obtiennent l’homologation, mais le bât blesse lorsque l’on apprend que toutes ces études toxicologiques sont menées non pas dans des laboratoires étatiques, mais par dans les laboratoires des firmes demandeuses de l’homologation, ce qui peut avoir des conséquences sur l’impartialité des résultats…
Le système d’homologation de l’EPA, a été partiellement discrédité à la fin des années 80 à la suite de plusieurs affaires d’études frauduleuses fournies par des laboratoires indépendants, notamment concernant des processus d’homologation de pesticides, dont le Roundup. Cependant les processus d’homologation européens des pesticides sont largement semblables à celui de l’EPA, notamment celui de la France. En effet tous ces Etats laissent au soin des producteurs de mener les études toxicologiques sur leur pesticide pour en soumettre les résultats aux autorités et obtenir l’homologation de leur produit. Lesdites données sont ensuite examinées par des experts de la commission d’homologation qui donnent leur avis sur le produit, bien souvent les études ne sont pas reprises et les « experts » se contentent de résumés , une faiblesse du système qui ouvre des possibilités de fraude.

De plus dans le cas du Roundup, une défaillance du système est à pointer car les tests de toxicologie du produit, réalisés par Monsanto, ont porté uniquement sur le principe actif de l’herbicide c’est-à-dire le glyphosate et non pas sur l’ensemble de la composition chimique du produit. Or chaque pesticide est constitué d’une « matière active » — dans le cas du Roundup, il s’agit du glyphosate — et de nombreux adjuvants, encore appelés « substances inertes », comme les solvants, dispersants, émulateurs et surfactants, dont le but est d’améliorer les propriétés physicochimiques et l’efficacité biologique des matières actives, et qui n’ont pas d’activité pesticide propre. C’est ainsi que les différents produits de la gamme Roundup sont constitués de 14,5 % à 75 % de sels de glyphosate, le reste de la formulation comptant une douzaine d’adjuvants principaux dont la composition est souvent gardée secrète. Le rôle de ces adjuvants est de permettre la pénétration du glyphosate dans la plante, comme le polyoxyéthylène (POEA), un détergent qui favorise la propagation des gouttelettes pulvérisées sur les feuilles . Le Roundup n’est donc pas seulement du glyphosate mais une composition chimique plus complexe, dont l’étude toxicologique n’a pas été réalisée et l’innocuité avérée. De fait une série d’études scientifiques récentes tendent à penser que le Roundup pourrait être un agent cancérigène pour l’Homme [1].

b. L’homologation du Roundup aux Etats-Unis, fraudes scientifiques et portes tournantes, les méthodes éprouvées de Monsanto.

Aux début des années 1980, les Industrial Bio-Test Labs (IBT) de Northbrook, dont l’un des dirigeants était le docteur Paul Wright, toxicologue chez Monsanto recruté pour superviser une étude sur les effets sanitaires du PCB, subit un procès retentissant pour manipulation d’études.
Or IBT, était l’un des principaux laboratoires chargés de la réalisation des tests sur les pesticides pour le compte en vue de leur homologation. En fouillant dans les archives du laboratoire, les agents de l’EPA ont découvert que des dizaines d’études présentaient de « sérieuses déficiences et incorrections », pour reprendre le langage prudent de la maison. Ils ont notamment constaté une « falsification routinière des données », destinée à cacher un « nombre infini de morts chez les rats et souris » testés .
Parmi, les études biaisées se trouvaient trente tests conduits sur le glyphosate [2].

« Il est difficile de ne pas douter de l’intégrité scientifique de l’étude, notait ainsi en 1978 un toxicologue de l’EPA, notamment quand les chercheurs d’IBT expliquent qu’ils ont conduit un examen histologique des utérus prélevés sur des… lapins mâles [3].

Le résultat de toutes ces manipulations est que l’EPA a déclaré sains des pesticides dont la non toxicité n’a jamais été prouvée avec certitude et qui pourraient mettre en danger la santé des utilisateurs et des consommateurs.
Toutes ces inquiétudes seront balayées d’un revers de la main par Linda Fisher, la Directrice adjointe de la Division des pesticides et des substances toxiques, qui déclare à la presse à propos de cette affaire : « Nous ne pensons pas qu’il y ait un problème environnemental ou sanitaire. Bien que ce ne soit que des allégations, nous allons prendre dès maintenant des mesures préventives. »

Après le scandale, l’EPA avait exigé que les tests incriminés soient « répétés », mais comme le soulignait en 1998 Caroline Cox dans le Journal of Pesticide Reform, cette « fraude jette une ombre sur tout le processus d’homologation des pesticides » [4]

Linda Fisher effectuera un travail si efficace qu’en 1995, après dix ans de service pour l’EPA, elle se verra offrir un poste au sein de Monsanto. Grâce au jeu des « portes tournantes », Mme Fisher est désormais à la tête du bureau de Monsanto à Washington, en charge du lobbying auprès des décideurs politiques.
En 2001, Monsanto décide de la rendre à l’EPA, où elle occupera le siège d’Administrateur en Chef (« deputy administrator »), la plaçant en seconde position dans la hiérarchie de l’agence. Depuis 2004, Linda Fisher est vice-présidente de la compagnie chimique Dupont. Mme Fisher représente un parfait exemple de carrière basée sur les « chaises musicales » : une même personne occupe à tour de rôle le poste de régulateur public d’une activité industrielle et des postes dans le secteur privé concerné par ladite régulation. La loi américaine ne reconnait aucun conflit d’intérêt dans ce genre de comportement, largement institutionnalisé dans le pays.





[1Anneclaire J. DE ROOS et alii, « Integrative assessment of multiple pesticides as risk factors for non-Hodgkin’s lymphoma among men », Occupational Environmental Medecine, vol. 60, n° 9, 2005.
.Anneclaire J. DE ROOS et alii, « Cancer incidence among glyphosate-exposed pesticide applicators in the agricultural health study », Environmental Health Perspectives, vol. 113, 2005, p. 49-54.
Julie MARC, Odile MULNER-LORILLON et Robert BELLE, « Glyphosate-based pesticides affect cell cycle regulation », Biology of the Cell, vol. 96, 2004, p. 245-249.
Julie MARC, Effets toxiques d’herbicides à base de glyphosate sur la régulation du cycle cellulaire et le développement précoce en utilisant l’embryon d’oursin, université de biologie de Rennes, 10 septembre 2004.

[2EPA, Office of Pesticides and Toxic Substances, Summary of the IBT Review Program, Washington, juillet 1983.

[3EPA, Data Validation. Memo from K. Locke, Toxicology Branch, to R. Taylor, Registration Branch, Washington, 9 août 1978

[4Caroline COX, « Glyphosate Factsheet », Journal of Pesticide Reform, vol. 108, n° 3, automne 1998, <www.mindfully.org/Pesticide/Roundup...> .