Le Roundup et son principe actif, le glyphosate, sont de nouveau au centre d’une controverse. Dansun rapport édité par Earth Open Source (EOS), une petite organisation non gouvernementale (ONG) britannique,
une dizaine de chercheurs mettent en cause les autorités européennes pour leur peu d’empressement à réévaluer, à la lumière de nouvelles données, l’herbicide à large spectre le plus utilisé au monde. Le texte, qui circule sur Internet depuis juin, rassemble les indices selon lesquels le pesticide phare de Monsanto est potentiellement tératogène – c’est-à-dire responsable de malformations foetales.

Les auteurs du rapport citent
notamment une étude publiée, fin
2010, dans Chemical Research in
Toxicology, selon laquelle l’exposition
directe d’embryons de batraciens
(Xenopus laevis) à de très faibles doses d’herbicide à base de glyphosate
entraîne des malformations.
Menés par l’équipe de l’embryologue
Andres Carrasco, de
l’université de Buenos Aires, ces
travaux identifient en outre le
mécanisme biologique à la base
du phénomène:exposés au phytosanitaire,
les embryons de Xenopus
laevis synthétisent plus de
trétinoïne, dont l’effet tératogène
est notoire chez les vertébrés.

Monsanto réfute ces conclusions,
précisant qu’une exposition
directe, « irréaliste », permettrait
aussi de conclure à la tératogénicité
de la caféine… « Le glyphosate
n’a pas d’effets nocifs sur la reproduction
des animaux adultes et ne
cause pas de malformations chez
la descendance des animaux exposés
au glyphosate,même à très fortes
doses
 », ajoute Monsanto sur
son site Web.

Pourtant, le dernier rapport
d’évaluation du glyphosate par la
Commission européenne, daté de
2001,qui repose au moins en partie
sur les études toxicologiques commanditées
par l’agrochimiste lui même,
précise qu’à hautes doses
toxiques, le glyphosate provoque chez le rat « un plus faible nombre
de foetus viables et un poids foetal
réduit, un retard d’ossification, une
plus forte incidence d’anomalies du
squelette et/ou des viscères
 ».

Selon EOS, les observations
d’Andres Carrasco coïncident avec
des effets suspectés sur les populations
humaines les plus exposées
au Roundup
. C’est-à-dire dans les
régions où les cultures génétiquement modifiées
résistantes au glyphosate
(dites « Roundup Ready »)
se sont imposées et où l’herbicide
est donc le plus massivement
épandu. Un examen des registres
de la province argentine du Chaco
a montré,dans la localité de La Leonesa,
que l’incidence des malformations
néonatales, au cours de la
décennie 2001-2010, avait quadruplé

par rapport à la décennie
1990-2000. Selon M.Carrasco, la
commission ayant mené ce
décompte a recommandé aux
autorités de lancer une étude épidémiologique en bonne et due forme.

« Cette recommandation n’a
pas été suivie
 », dit le chercheur.
« Qu’il y ait un problème en Amérique
du Sud avec les produits phytosanitaires,
c’est probable, mais il
est très difficile d’affirmer qu’il est
lié au glyphosate en particulier
 »,
estime un toxicologue qui travaille
dans l’industrie et reproche
au rapport d’EOS des « amalgames
 »et « des comparaisons de chiffres
trompeuses
 ». « En outre, ajoute-
t-il, la pulvérisation aérienne est
la norme là-bas, alors qu’elle est globalement
interdite en Europe.
 »

Pour la Commission européenne,
les indices rassemblés par EOS
ne constituent pas un motif suffisant
pour changer le calendrier en
cours. La dernière évaluation du
Roundup remonte à 2002. La réévaluation
était prévue en 2012,
mais le retard accumulé par
Bruxelles va repousser ce nouvel
examen à 2015.

Ce retard n’est pas la principale
raison des protestations de l’ONG.
« De nouvelles règles d’évaluation
des pesticides, potentiellement
plus contraignantes, sont en train
d’être finalisées
, dit Claire Robinson,
qui a coordonné la rédaction
du rapport d’EOS. Mais la réévaluation qui sera rendue en 2015 reposera
encore sur l’ancienne réglementation,
pour laisser aux industriels
le temps de s’adapter.
 » Ce que la
Commission ne dément pas.

Les nouvelles règles – qui, de
source industrielle, doivent être
« finalisées à l’automne » – prévoient
un examen obligatoire de
la littérature scientifique, en plus
des études présentées par les
industriels. Les travaux publiés
dans les revues savantes par les
laboratoires publics devront donc
être systématiquement pris en
compte,même si « cela ne veut pas
dire qu’ils sont aujourd’hui systématiquement
ignorés, loin de là
 »,
tempère Thierry Mercier, de
l’Agence nationale de sécurité sanitaire,
de l’alimentation, de l’environnement
et du travail (Anses).

Pour EOS, la différence est pourtant
de taille. «  Sous les anciennes
règles, il est probable que le glyphosate obtiendra une nouvelle autorisation
,
dit Mme Robinson. Il faudra
alors vraisemblablement attendre
jusqu’en 2030 pour que ce produit
subisse une réévaluation sérieuse
,
conforme au nouveau règlement.
Alors que nous savons dès aujourd’hui
qu’il pose problème.
 »

Les études commanditées par
les industriels doivent répondre à
certains critères concernant les
espèces animales enrôlées dans
les tests, la nature et la durée de
l’exposition aux produits testés,
etc. Les laboratoires universitaires
–comme celui de M.Carrasco–disposent
d’une plus grande latitude.
Et les différences de conclusions
sont parfois considérables.

Un exemple cité par EOS est
celui du bisphénol A (BPA). Dans
une revue de la littérature scientifique
publiée en 2005 dans Environmental
Health Perspectives, Frederick
vom Saal (université du Missouri)
estimait que 94 des 115 études
académiques publiées sur le
sujet concluaient à un effet significatif
du BPA sur les organismes,
même à très faible dose. Dans le
même temps, aucune des dix-neuf
études sur le même thème
commanditées par les industriels
ne mettait en lumière de tels
effets. En France, le BPA a été interdit
en 2010 dans les biberons.

Dans le cas du glyphosate et de
son principal produit de dégradation,
l’acide aminométhylphosphonique
(AMPA), plusieurs études
publiées ces dernières années
mettent en lumière leur toxicité
pour certains organismes aquatiques.
«  Le glyphosate ou l’AMPA ne
sont pas des molécules très problématiques
en elles-mêmes, en tout
cas moins que d’autres,
 explique
Laure Mamy, chercheuse à l’Institut
national de la recherche agronomique
(INRA) et spécialiste du
devenir de ces composés dans l’environnement.
Le problème, c’est la
quantité. C’est la dose qui fait le poison.
 »
Or, si le glyphosate se dégrade
relativement rapidement, « l’AMPA
peut persister plusieurs mois
dans les sols
 ». En France, selon l’Institut
français de l’environnement
(IFEN), cette molécule est désormais
le contaminant le plus fréquemment retrouvé
dans les eaux
de surface.

Son succès est donc le principal
problème du Roundup. D’autant
que des résistances sont apparues
ces dernières années.
 Sur le continent
américain en particulier, où
les cultures génétiquement modifiées
associées ont permis un usage
massif du Roundup, des mauvaises
herbes commencent à être
de moins en moins sensibles – voire
complètement résistantes – à
l’herbicide phare de Monsanto.
« Or, lorsque ces résistances commencent
à survenir, on est parfois
tenté d’augmenter les quantités
épandues
 », dit Laure Mamy.

Source : Stéphane Foucart, Le Monde, le 9 août 2011, p 10.