a. La ruée sur les gènes.

L’aventure de la biotechnologie débute en 1953 lorsque les chercheurs J. Watson et F. Crick décryptent la structure en double hélice de l’ADN qui leur vaudra le Prix Nobel de physiologie et de médecine en 1962 et marquera la naissance officielle de la biologie moléculaire.


Les travaux des Watson et Crick seront repris par E Tatum qui élabore une nouvelle théorie : « (1) Tous les processus biochimiques dans tous les organismes sont sous le contrôle génétique ; (2) Ces processus biochimiques sont réductibles à des enchaînements de réactions individuelles ; (3) Chaque réaction isolée est contrôlée par un simple gène. […] L’hypothèse sous-jacente, qui a été confirmée expérimentalement dans un grand nombre de cas, est que chaque gène contrôle la production, la fonction et la spécificité d’une enzyme particulière. » [1]

Cependant, avec l’évolution de la science, cette théorie sera partiellement remise en cause car il est demontre qu’un gène peut être à l’origine de plusieurs enzymes ou encore qu’il peut se produire une combinaison de différents enzymes pour former une protéine plus complexe. La machinerie moléculaire est finalement plus complexe que ne le suggéraient les premiers travaux de recherche en la matière.
Les recherches en biotechnologie se poursuivent et atteignent leur apogée dans les années 60 avec les premières tentatives de création de chimères [2] , les organismes génétiquement modifiés font leur toute première apparition.
Déjà A cette époque, Monsanto s’intéresse à ces nouvelles possibilités dans le domaine de la chimie, sans pour autant se lancer dans la recherche.

En 1972, P. Berg découvre la technique de la « recombinaison » de l’ADN : il s’agit d’un processus permettant de combiner deux morceaux d’ADN issus d’espèces différentes dans une molécule hybride... Cette découverte remet en cause la prétendue « barrière des espèces », théorie selon laquelle les modifications entre espèces différentes est impossible. Une nouvelle étape dans la recherche biotechnologique est dés lors franchie.

Suite aux avancées rapides en la matière, les instances scientifiques décident de se réunir : Le 25 février 1975, se tient le Congrès d’Asilomar , le premier congrès international sur la recombinaison des molécules d’ADN et ses implications. Les scientifiques entendent établir des principes et définir une nouvelle éthique afin de poser des gardes-fous à la jeune discipline de la biologie moléculaire par peur des « jeunes apprentis sorciers ». [3]

Dans le même temps, on assiste à une privatisation de la recherche au sein des laboratoires désireux de mettre au point des nouvelles molécules : c’est la naissance de la Silicon Valley en Californie et des start up de la biotechnologie.

Cette véritable « course aux gènes » provoque un rapprochement inédit entre la science et l’industrie, qui bouleversera profondément les pratiques de la recherche, ainsi que l’explique la sociologue Susan Wright : « Quand le génie génétique a été perçu comme une opportunité d’investissement, il s’est produit une adaptation des normes et des pratiques scientifiques au standard des entreprises, écrit-elle dans un livre référence sur l’histoire de la biotechnologie, paru en 1994. L’éveil du génie génétique coïncide avec l’émergence d’une nouvelle éthique, radicalement définie par le commerce. » [4]

b. Le Développement des méthodes de la manipulation génétique.

Le processus de manipulation génétique se divise en trois étapes :

- Dans un premier temps, il faut manipuler l’ADN afin d’isoler le « gène d’intérêt », une étape fondamentale dans la recherche qui est à l’origine de ce que nous appellerons le « brevetage du vivant » car chaque gène découvert sera déposé et protégé par un brevet d’utilisation.

- La seconde étape consiste à transférer ce « gène d’intérêt » dans les cellules végétales de la plante que l’on cherche à modifier, par exemple le mais ou le soja. Pour minimiser les risques de rejet, cette opération ne peut se réaliser qu’avec le concours d’un intermédiaire.
« La manipulation génétique ne pourrait se faire sans le recours à un intermédiaire, ou à une « mule », capable de transporter le gène sélectionné et de le faire entrer par la force dans la cellule cible. Voilà comment les chercheurs se rabattirent sur une bactérie qui prolifère dans le sol, appelée Agrobacterium tumefaciens, qui présente la faculté d’insérer certains de ses gènes dans les cellules végétales pour y provoquer des tumeurs. » [5]

En 1974, une équipe de chercheurs belges parvient à identifier le plasmide (un anneau d’ADN) qui constitue le vecteur, le cheval de Troie, grâce auquel le gène provoquant la tumeur se transfère de la bactérie à la plante. On s’emploie alors à isoler sur le plasmide le gène responsable des tumeurs pour le remplacer par le gène d’« intérêt », en y ajoutant un « promoteur », c’est-à-dire une séquence d’ADN qui permet de déclencher l’expression du gène. Il s’agit souvent d’un gène appelé « 35S », issu du virus de la « mosaïque du chou-fleur » et apparenté à celui de l’hépatite B.
En 1983, les représentants de trois laboratoires, dont celui de Monsanto, annoncent simultanément qu’ils sont parvenus à insérer une construction génétique, en l’occurrence un gène de résistance à un antibiotique, dans des cellules de pétunia ou de tabac. Il s’agit du deuxième grand pas vers la création d’Organisme Génétiquement Modifiés. Il s’agit dés lors pour Monsanto d’insérer un gène de résistance à son herbicide vedette le Round Up.
Cependant la méthode de l’introduction du gène sélectionné par une bactérie « cheval de Troie » sera partiellement mise de coté à cause d’un fort taux d’échec dû aux réactions immunitaires de la plante. Monsanto, désormais à la pointe de la recherche en biologie moléculaire, développera, en partenariat avec…, un « canon à gène » capable de bombarder des cellules embryonnaires afin de forcer la pénétration des constructions génétiques modifiant l’organisme récepteur.

- Enfin la troisième étape consiste à développer des cultures de tissus pour reproduire et faire pousser les cellules embryonnaires manipulées et ainsi obtenir une plante ou un organisme génétiquement modifié.
Ainsi en 1993, après dix ans de recherche, Monsanto dépose le brevet de son premier OGM résistant à l’herbicide Roundup : il s’agit du soja Roundup Ready (RR). Monsanto déploie alors sa stratégie des « revolving doors » ou "chaises tournantes" pour jouer de son réseau au sein des organismes étatiques et obtenir au plus vite l’homologation de mise sur le marché de sa découverte.





[1Edward L. TATUM, « A case history in biological research », Nobel Lecture, 11 décembre 1958 (cité par Hervé KEMPF, La guerre secrète des OGM, Seuil, Paris, 2003, p. 16

[2En genetique, le terme de chimere designe un organisme possedant deux ou plusieurs genotypes distincts

[3on pense notamment à P. Berg qui annonça son intention d’insérer un virus cancérigène, le SV40 issu du singe, dans une cellule d’Escherichia coli, une bactérie qui colonise l’estomac humain.

[4Susan WRIGHT, Molecular Politics. Developing American and British Regulatory Policy for Genetic Engineering, 1972-1982, University of Chicago Press, Chicago, 1994, p. 107 (cité par Hervé KEMPF, La Guerre secrète des OGM, op. cit., p. 49).

[5Le monde selon Monsanto, Marie-Monique Robin, coédition La découverte/Arte Ed., 2008, p165