a. Des études toxicologiques manquant de rigueur scientifique.

La réglementation de la FDA sur les OGM laisse aux firmes de la biotechnologie le soin de réaliser les études de toxicologie sur les produits qu’elles veulent commercialiser.

Ces études doivent être soumises au comité scientifique de la FDA, qui après relecture, donne son avis sur la sécurité alimentaire des plantes génétiquement modifiées. Cependant, comme indiqué plus avant, ce processus n’est pas obligatoire de sorte que l’entreprise peut ne pas si soumettre si elle considère que son produit est sur au nom du principe d’équivalence en substance. On ne sera dès lors pas surpris que peu d’entreprises aient procédé aux tests.
En 2003, les professeurs Ian Pryme et Rolf Lembcke [1], décident de retravailler plusieurs études toxicologiques fournies à la FDA, dont une étude de Monsanto publiée en 1996 sur l’éventuelle toxicité du soja Roundup Ready [2]. Cette étude de Monsanto n’a pas été reproduite par la FDA qui a validé le principe sur la base des informations fournies par la firme. Cependant, les deux chercheurs vont mettre à jour toute une série d’imprécisions scientifiques concernant tant le protocole expérimental que l’analyse des résultats. D’après leurs conclusions, l’étude de Monsanto manquerait de fiabilité scientifique. Il convient de noter que les chercheurs n’ont pas pu étudier les données brutes de l’étude de Monsanto car la société, arguant du secret commercial, ne leur en a pas donné l’accès.
Les résultats de l’étude de Pryme et Lembcke restent néanmoins troublants. Les analyses toxicologiques de Monsanto se seraient ainsi limitées à des observations oculaires des effets sur des cobayes nourris aux OGM. Ils seraient par ailleurs passés outre l’examen des intestins ainsi que des estomacs des cobayes, ce qui constitue une négligence grave dans un examen de toxicologie. Finalement, l’étude réalisé par Monsanto manque de rigueur scientifique. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les conclusions de cette dernière : « les études toxicologiques fournissent une certaine assurance qu’aucun changement majeur ne s’est produit avec le soja modifié génétiquement ».
Plusieurs questions restent donc en suspens :
• Quand est il donc des changements mineurs ?
• Est-ce qu’une « certaine assurance » est un gage de sécurité alimentaire suffisant pour la commercialisation d’un produit ?
Or, il s’avère que c’est sur la base de cette étude qu’a été justifiée l’introduction des OGM dans la chaîne alimentaire.

b. Des experts proches de Monsanto dans les comités scientifiques des organisations nationales et internationales.

Les OGM sont un sujet complexe demandant un minimum de savoir scientifique afin de se faire une idée précise des avantages et des inconvénients qu’ils représentent. Cet aspect scientifique a parfois découragé certains décideurs politiques laissant ainsi aux experts scientifiques le soin de se prononcer pour eux. Monsanto, pleinement éclairé sur ce point, a déployé une stratégie de noyautage des comités scientifiques internationaux par des chercheurs favorables aux nouvelles biotechnologies.

Dans un rapport confidentiel de Monsanto remis à GeneWatch, une ONG anglaise, il est clairement exprimé que cette stratégie d’influence de la sphère scientifique est délibérée et calculée. Monsanto a crée une cellule des « affaires réglementaires et des enjeux scientifiques » (regulatory affairs and Scientific Outreach ») chargée de suivre les évolutions du débat scientifique dans le monde. On peut par exemple lire dans ce rapport que la direction de Monsanto félicite sa « cellule » pour : « son efficacité à assurer que des experts scientifiques clés reconnus au niveau international aient été nommés pour la consultation organisée par la FAO et l’OMS à Genève le mois dernier. Le rapport final a été très favorable à la biotechnologie végétale, en donnant son soutien y compris au rôle crucial de l’équivalence en substance dans les évaluations de la sécurité alimentaire. […] Une réunion s’est tenue avec le professeur David Khayat, un spécialiste du cancer de renommée internationale pour qu’il collabore à un article qui démontre l’absence de liens entre les aliments transgéniques et le cancer. […] Les représentants de Monsanto ont obtenu que l’examen de deux propositions d’étiquetage soit repoussé par le comité du Codex [alimentarius]. »

Des scientifiques européens et français sont également impliqués dans des relations avec la « cellule » responsable du contrôle de l’information scientifique. Parmi eux, figurent l’Espagnol Domingo Chamorro, les Français Gérard Pascal (INRA), Claudine Junien (INSERM) ou le prix Nobel Jean Daucet. Tous ont participé au « Forum des biotechnologies », un forum d’information destinés aux journalistes. [3]

Ces alliances stratégiques avec des scientifiques de renommées internationales permettent à la firme de Saint Louis d’imposer certaines de ses idées sous couvert de sérieux scientifique. Par exemple, le principe d’équivalence en substance, qui n’a toujours pas été démontre par des études scientifiques fiables et impartiales, a largement été repris par des organismes comme l’Organisation Mondiale de la santé (OMS) ou la Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), deux organismes onusiens. Ainsi dans le rapport final d’une consultation organisée conjointement par la FAO et l’OMS du 30 septembre au 4 octobre 1996, on trouve une référence au principe d’équivalence en substance rédigée avec la plus grande rigueur scientifique du monde : « Quand l’équivalence en substance est établie pour un organisme ou un produit alimentaire, l’aliment est considéré comme aussi sûr que son homologue conventionnel et aucune autre évaluation n’est nécessaire. […] Quand l’équivalence en substance n’est pas établie, cela ne signifie pas obligatoirement que le produit alimentaire n’est pas sûr et il n’est pas forcément nécessaire d’exiger des tests sanitaires poussés… ». Or, , un certain Roy Fuchs de « Monsanto Company » faisait parti du panel d’experts présents à cette consultation, ainsi tourne le petit monde de Monsanto…

c. Des scientifiques sous pression. L’affaire Pusztai et les pommes de terres transgéniques empoisonnées.

« En tant que scientifique qui travaille activement dans ce domaine, je considère qu’il n’est pas juste de prendre les citoyens britanniques pour des cobayes. » Diffusés le 10 août 1998 dans le magazine World in action de la BBC, ces quelques mots relatifs aux OGM ont bouleversé la carrière d’Arpad Pusztai, un biochimiste de renommée internationale qui travailla pendant trente ans (de 1968 à 1998) au Rowett Research Institute d’Aberdeen (Écosse).

i. L’étude sur les pommes de terres transgéniques.

L’affaire commence en 1995, lorsque l’Institut Rowett pour lequel travaille Pusztai depuis de nombreuses années, reçoit un financement de 2 millions d’euros du ministère écossais de l’Agriculture afin d’évaluer l’impact des OGM sur la santé humaine. La place de directeur du programme de recherche est offerte à Pusztai, qui sera en charge de superviser une équipe de trente chercheurs. A l’époque, aucune étude scientifique n’avait encore été publiée sur le sujet.
En accord avec le ministère, l’Institut Rowett décide de travailler sur des pommes de terre transgéniques, en leur insérant le gène qui fabrique la lectine du perce-neige (GNA). « Les études préliminaires avaient montré que les pommes de terre repoussaient effectivement les attaques des pucerons, explique Arpad Pusztai. Par ailleurs, nous savions qu’à l’état naturel la GNA n’était pas dangereuse pour des rats, même quand ils en absorbaient une dose huit cents fois supérieure à celle produite par les OGM. Il nous restait donc à évaluer les effets éventuels des pommes de terre transgéniques sur les rats. » A l’époque le chercheur était favorable aux manipulations génétiques. [4]
L’analyse de la composition chimique de la pomme de terre transgénique révèle bon nombre d’informations. Tout d’abord, les chercheurs découvrent qu’elle n’est pas similaire à celle des pommes de terres conventionnelles. De plus ils se rendent compte que les pommes de terres transgéniques ne sont pas similaires entre elles non plus, parce que d’une lignée à l’autre, la quantité de lectine exprimée pouvait varier de 20%. Ces premières conclusions remettent partiellement en cause la précision et la stabilité des manipulations génétiques. Le scientifique émet une série d’hypothèse :

- Cette imprécision viendrait de l’utilisation des canons à gènes qui introduisent le gène sélectionné de façon aléatoire au sein du génome de la plante modifiée, ce qui expliquerait en retour la variabilité de l’expression de la protéine, en l’occurrence la lectine.

- Cette imprecision viendrait de l’implication du « promoteur 35s », issue du gène du virus de la mosaïque du chou-fleur, destiné à promouvoir l’expression de la protéine.
En tout état de cause, le principe d’équivalence en substance subit une sévère entorse.

Dans un deuxième temps, l’équipe de chercheurs poursuit son étude auprès de rats nourris avec la pomme de terre transgénique.
Le protocole prévoit de suivre quatre groupes de rats depuis le sevrage jusqu’à cent dix jours : « Rapporté à l’homme, précise Arpad Pusztai, cela revient à suivre un enfant depuis l’âge d’un an à neuf ou dix ans, c’est-à-dire dans la période où son organisme est en pleine croissance. »
L’analyse des tissus de leurs cobayes apporte de précieux enseignements. En effet comme l’explique le Pr Pusztai : « les rats des groupes expérimentaux présentaient des cerveaux, des foies et des testicules moins développés que ceux du groupe contrôle, ainsi que des tissus atrophiés, notamment dans le pancréas et l’intestin. Par ailleurs, nous avons constaté une prolifération des cellules dans l’estomac et cela est inquiétant, parce que cela peut faciliter le développement de cancers causés par des produits chimiques. Enfin, le système immunitaire de l’estomac était en surchauffe, ce qui indiquait que les organismes des rats traitaient ces pommes de terre comme des corps étrangers. Nous étions convaincus que c’était le processus de manipulation génétique qui était à l’origine de ces dysfonctionnements et pas le gène de la lectine dont nous avions testé l’innocuité à l’état naturel. Apparemment, contrairement à ce qu’affirmait la FDA, la technique d’insertion n’était pas une technologie neutre, puisqu’elle produisait, à elle seule, des effets inexpliqués. » [5]

ii. La polémique sur « les aliments Frankenstein ».

Le Pr Pusztai entend faire part de ses conclusions à ses supérieurs de l’Institut Rowett dont le directeur P. James, qui est l’un des douze sages du « Comité consultatif sur les processus et les aliments nouveaux » chargé d’évaluer au Royaume-Uni la sécurité des OGM avant leur mise sur le marché. Avec l’accord de sa direction, Arpad Pusztai décide d’en informer l’opinion publique par le biais d’une interview réalisée par la BBC et diffusée le 10 août 1998. Cette interview fera basculer sa carrière.
Le 12 août 1998, A. Pusztai est convoqué par le Pr. James qui lui annonce la suspension de son contrat à l’Institut Rowett jusqu’à sa mise à la retraite. L’équipe de recherche est par ailleurs dissoute et ses documents confisqués. De plus, A. Pusztai est frappé d’un « gag order », une interdiction de communiquer avec la presse sous peine de poursuite, ce qui lui interdit de répondre à toute les attaques publiques dont il est la cible. Le Pr James accusera Pusztai d’avoir nourri les rats, non pas avec des pommes de terre contenant la lectine du perce-neige, mais avec une lectine appelé « con A » connue pour sa toxicité.
Un comité scientifique de soutient se met en place pour soutenir le Professeur Pusztai, qui après relecture de son étude confirmera la véracité de ses conclusions. En réponse, de nombreux scientifiques favorables aux biotechnologies, dont certains de la Royal Society, entament une nouvelle campagne de dénigrement des travaux de A. Pusztai. Dans un article paru le 1 Novembre 1999, Le Guardian révèle au public que la Royal Society a constitué une « cellule de dénigrement », dont le but est de « modeler l’opinion publique et scientifique sur une ligne pro-OGM et de contrer les scientifiques opposés ainsi que les groupes environnementaux » [6]. Un membre de la Royal Society, P. Lachmann, tentera de faire pression sur le directeur d’une revue scientifique pour empêcher la parution de la recherche du Pr. Pusztai et du Pr. Ewen.
Le Pr Ewen commente à propos de l’attitude de la Royal Society qu’elle a « soutenu dès le début le développement des OGM, et nombreux sont ses membres, comme le professeur Lachmann, qui travaillent comme consultants pour les firmes de biotechnologies. » [7]
Enfin le Pr. Ewen déclare que selon lui « la décision d’arrêter leur travail a été prise au plus haut niveau », par Tony Blair en personne qui aurait appelé à deux reprises le directeur de l’Institut Rowett, car les « Américains trouvaient que notre étude portait préjudice à leur industrie de la biotechnologie, et tout particulièrement à Monsanto… » De fait, cette information a été confirmée par un ancien administrateur de l’Institut Rowett, le professeur Robert Orskov, qui a rapporté en 2003 au Daily Mail que « Monsanto avait téléphoné à Bill Clinton, puis Clinton à Blair, et Blair à James … » [8]





[1Ian PRYME et Rolf LEMBCKE, « In vivo studies on possible health consequences of genetically modified food and feed-with particular regard to ingredients consisting of genetically modified plant materials », Nutrition and Health, vol. 17, 2003

[2Bruce Hammond, John Vicini, Gary Hartnell, Mark Naylor, Christopher Knight, Edwin Robinson, Roy Fuchs, Stephen Padgette, « The feeding value of soybeans fed to rats, chickens, catfish and dairy cattle is not altered by genetic incorporation of glyphosate tolerance », The Journal of Nutrition, avril 1996, vol. 126, n° 3,

[3Le monde selon Monsanto, Marie-Monique Robin, coédition La découverte/Arte ed., 2008, p203

[4Le monde selon Monsanto, Marie-Monique Robin, coédition La découverte/Arte ed., 2008, p215-216

[5Interview du Pr Pusztai par MM. Robin, Le Monde selon Monsanto, coédition La découverte/Arte editions, 2008, p217

[6Laurie FLYNN et Michael Sean GILLARD, « Pro-GM food scientist “threatened editor” », The Guardian, 1er novembre 1999.

[7D’après le Guardian, le professeur Lachmann était consultant pour des sociétés comme Geron Biomed, Adprotech et SmithKline Beecham

[8Andrew ROWELL, « The sinister sacking of the world’s leading GM expert – and the trail that leads to Tony Blair and the White House », The Daily Mail, 7 juillet 2003