Le Paraguay est aujourd’hui le sixième producteur mondial de soja, le quatrième exportateur mondial et se place au premier rang mondial de la production de soja par habitants avec une moyenne de 727kg par an.

De 1996 à 2006, les cultures consacrées au soja sont passées de moins d’un million d’hectares à deux millions d’hectares, soit une progression de 10% par an. Le plus surprenant de ces statistiques est que la culture du soja transgénique n’avait pas encore été autorisée légalement en 2007 au Paraguay alors qu’elle représentait la moitié des surfaces cultivées.
L’expansion rapide du soja RR au Paraguay est due principalement à une coopération entre l’AAPRESID, l’association argentine des grands sojeros (producteurs de soja) réputé proche de Monsanto, avec leurs homologues paraguayens de la CAPECO. Les argentins ont fourni à leur voisin les techniques de culture du soja RR ainsi que des semences illégalement exportées et distribuées au marché noir sur le territoire paraguayen. Le gouvernement paraguayen a finalement du céder devant le fait accompli et a autorisé les cultures illégales afin de pouvoir tracer le soja transgénique, notamment dans un soucis d’identification pour assurer les exportations vers l’Union Européenne, où les OGM restent interdites.

Malheureusement la culture illégale du soja RR n’est pas le seul apanage du Paraguay puisque le Brésil a été touché par le même phénomène de contrebande des semences de Monsanto. Le Brésil, qui n’avait pas autorisé le soja RR, représentait un marché juteux pour Monsanto car le pays est le second producteur mondial de soja. En 1998, alors que la culture du soja RR se répand au Brésil, un recours suspend la mise sur le marché des OGM au motif de l’absence d’ « étude préalable sur l’impact environnemental et sur le risque pour la santé des consommateurs, viole le principe de précaution de la Convention sur la biodiversité », signée en 1992 à Rio de Janeiro. Cependant la culture du soja RR continue de se répandre en l’absence de politique volontaire pour en endiguer la contamination.

Comme au Paraguay, le Brésil s’inquiète de la décision de la Commission Européenne qui a adopté deux règlements, le 22 septembre 2003, sur la traçabilité et l’étiquetage des OGM pour les produits alimentaires destinés à la consommation humaine et animale. Cette décision menace directement les exportations du Brésil, incapable de faire la distinction entre le soja conventionnel et le soja transgénique, puisque ce dernier n’existe pas officiellement. Trois jours plus tard, Lula le Président brésilien signe un décret autorisant — provisoirement — la vente du soja RR pour la récolte 2003, puis la plantation et la commercialisation pour la saison 2004 [1]. Le marché ouvre alors grand ses portes à Monsanto, qui avait déjà anticipé la légalisation des OGM depuis plusieurs années.

En effet, en 2001, Monsanto a ouvert au Brésil sa plus grande usine de production de Roundup en dehors des Etats-Unis, ce qui correspond à un investissement de 500 millions de dollars. Le but de cet investissement était d’adapter sa capacité de production du Roundup aux futurs besoins qu’allait engendrer le passage à la culture de plantes Roundup Ready. La stratégie de Monsanto va encore plus loin, et révèle la planification de l’introduction des OGM au Brésil, puisque dès 1997 la firme a commencé à racheter des compagnies de semences brésiliennes. En 2007, Monsanto était le premier fournisseur de semences de maïs au Brésil et le second pour le soja. Une fois l’autorisation du soja transgénique validée par le Congrès brésilien, Monsanto se tourne alors vers les producteurs pour leur réclamer les fameux « droits de propriétés intellectuelles » au cœur de son système économique. Le montant des royalties était fixé à dix dollars la tonne la première année, puis à vingt dollars pour la récolte 2004. Quand on sait qu’en 2003, 30 % du soja brésilien était transgénique, ce qui représentait environ 16 millions de tonnes récoltées, le calcul est simple : pour cette seule première année, les « droits de propriété intellectuelle » ont rapporté 160 millions de dollars à la firme de Saint-Louis.
Le Paraguay suit l’exemple brésilien, et le 22 octobre 2004, le ministère de l’agriculture publie une circulaire autorisant la vente de quatre variétés de soja transgénique appartenant à Monsanto, qui commence alors à empocher ses « droit de propriété intellectuelle » sur les cultures paraguayennes.

Pour comprendre comment les gouvernements ont du céder face à l’imposition illégale des OGM par les grands propriétaires, il faut se tourner du cote de l’histoire de la propriété foncière en Amérique du Sud. En effet la répartition des terres remonte à l’époque de la colonisation par les Espagnols qui s’attribuèrent de grands espaces agricoles connus sous le nom d’hacienda ou de fazenda en portugais. L’absence de réforme agraire et de répartition des terres n’a fait que reproduire au fil des années cette politique de concentration des terres entre les mains de quelques milliers de grands propriétaires fonciers devenus des caciques puissants de par leur richesse et leur assise territoriale. Par exemple au Paraguay 2% de la population détient 70% des terres et on trouve encore des domaines agricoles de 80.000 hectares alors que les paysans indépendants ont tout au plus des parcelles de quelques hectares à cultiver. Les dictatures qui se sont succédées au XXeme siècle dans toute l’Amérique Latine ont souvent été appuyées par ces propriétaires fonciers opposés à la redistribution équitable des terres. Les services de police, au service des propriétaires, usaient de méthodes violentes pour réprimer les leaders de syndicats agricoles et pour faire taire toute revendication de redistribution.
Aujourd’hui au Paraguay on estime que 60000 producteurs se partagent les cultures transgéniques, mais seulement 24% sont paraguayens, les restes étant des étrangers d’origine brésilienne, allemande mais aussi japonaise ou bien encore des « investisseurs internationaux, qui placent leur argent dans le nouvel or vert » pour reprendre l’expression du vice-ministre de l’Agriculture, Roberto Franco.

Pour prendre toute la mesure du clivage entre les petits paysans traditionnels et sojeros, il convient de rapporter les propos de Jorge Galeano, le président du Mouvement agraire populaire (MAS) : « La technique des sojeros est toujours la même : d’abord, ils prennent contact avec les familles, en leur offrant de la nourriture et des jouets pour l’anniversaire des enfants. Puis ils reviennent et leur proposent de louer leurs lopins de terre en signant un contrat de trois ans. Les familles restent vivre sur place, en gardant un petit espace pour leurs cultures vivrières. Mais, très vite, elles sont affectées par les épandages de Roundup, alors les sojeros leur proposent d’acheter carrément leurs terres. Comme ces terres n’ont généralement pas de titre de propriété, car elles sont destinées à la réforme agraire qui n’a jamais eu lieu, les producteurs achètent des fonctionnaires bien placés à Asunción et deviennent ainsi les propriétaires légaux des terrains ainsi “libérés”, comme ils disent. Arrivent alors les bulldozers qui détruisent tout l’habitat naturel de ces territoires très fertiles et, l’année d’après, c’est la monoculture qui s’installe. C’est pourquoi je dis que c’est une nouvelle conquête, car l’expansion du soja est basée sur l’élimination pure et simple de communautés humaines et de modes de vie. » [2]
Toute tentative de rébellion de la part de ces communautés se solde par une violente répression de la part de la police mais aussi de milices privées aux services des sojeros.

Depuis 2002, le gouvernement uruguayen a choisi de criminaliser le mouvement anti-soja, des centaines de paysans ont été incarcérés, et une dizaine assassinés. En février 2004, un camion rempli de manifestants anti-soja a été mitraillé, faisant deux morts et une dizaine de blesses grave. Persuadés de leur impunité, certains sojeros renouent avec les techniques éprouvées pendant la dictature de Stroessner, en faisant éliminer les leaders paysans. C’est ainsi que le 19 septembre 2005, deux policiers ont tenté d’abattre Benito Gavilán, un leader syndical, à Mbuyapey, en lui tirant une balle dans la tête, celui-ci survivra miraculeusement. Les paysans, soutenus par le syndicat du Mouvement Agraire Populaire, continuent de résister mais leur marge de manœuvre semble bien faible comparer au moyens en homme et en argent des sojeros.





[1Le décret a été reconduit en octobre 2004. Puis, en mars 2005, la chambre basse du Congrès brésilien a adopté une loi autorisant définitivement les cultures transgéniques.

[2Le monde selon Monsanto, MM Robin, Coédition La découverte/Arte Ed., p331-332