En Europe, les autorisations de mise sur le marché d’OGM reposent sur un dispositif centralisé et sont délivrées au niveau communautaire. Une proposition de modification de la Directive OGM (D. 2001/18/CE) pourrait changer la donne.


Dans un texte rendu public le 13 juillet 2010 [1] , la Commission a en effet proposé que les États membres puissent désormais invoquer, à l’appui de mesures de restriction ou d’interdiction des cultures d’OGM sur leur territoire, des motifs « autres que ceux qui ont trait à l’évaluation des incidences négatives sur la santé et l’environnement susceptibles de résulter de la dissémination volontaire ou de la mise sur le marché d’OGM ».

Droit de l’environnement s’est entretenu sur le sujet avec Christine Noiville, Présidente du Comité économique, éthique et social (CEES) du Haut conseil des biotechnologies.

Droit de l’environnement : Que pensez-vous de la modification de la directive OGM proposée par la Commission européenne ?

Christine Noiville : On ne peut en comprendre les enjeux qu’à la lumière des oppositions formulées et des multiples clauses de sauvegarde adoptées par les États membres ces dernières années à l’égard des autorisations communautaires de mise en culture de plantes génétiquement modifiées. De telles oppositions s’expliquent par une contestation de l’évaluation menée par l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA), souvent estimée insuffisante, mais aussi, on le sait, par des motifs d’ordre éthique, social, économique ou agri-environnemental.

Or ces considérations n’ont actuellement guère de place dans le dispositif juridique communautaire, lequel enferme la marge de manœuvre des États dans d’étroites limites (fondée sur des preuves scientifiques nouvelles ou supplémentaires de risque pour l’environnement ou la santé). On touche là à la vaste question de l’articulation entre des impératifs contradictoires, harmonisation et libre-échange d’un côté, souveraineté et différentiation nationale ou locale, de l’autre. Dans un monde où la décision publique s’intègre dans une architecture juridique multi-niveaux, la liberté laissée aux États d’effectuer des choix politiques autonomes est réduite.

Confrontée à cette réalité et empêtrée dans la gestion d’une quantité croissante de clauses de sauvegarde, la Commission, tout en gardant la main sur les importations et autres mises sur le marché d’OGM en Europe, propose donc d’octroyer une plus grande marge de manœuvre aux États en ce qui concerne la question sensible des cultures d’OGM sur leur territoire. Que l’on s’en réjouisse ou le déplore (le texte préfigurant un début de nationalisation en période de re-discussion de la PAC...), la direction empruntée par la Commission constitue une voie de règlement presque obligée et de ce fait raisonnable.

Cette possibilité ne constitue-t-elle pas un risque pour les États de se faire condamner pour restrictions commerciales ?

Oui, mais ce n’est pas la seule réserve que suscite la proposition et qui exige une certaine vigilance de la part des États.

D’une part, il faut éviter que, sous prétexte de nationalisation des autorisations de mise en culture, la proposition de la Commission ne conduise à un abandon des deux exigences unanimement formulées le 4 décembre 2008 par le Conseil des ministres de l’Environnement de l’UE : parfaire l’évaluation des impacts environnementaux et sanitaires des OGM (ou plutôt appliquer à la lettre les strictes dispositions de la directive 2001/18 à cet égard) et reconnaître aux impacts socio-économiques des OGM une place à part entière dans le processus d’évaluation et de décision (car le spectre de l’évaluation actuelle, on le sait, ne permet pas de prendre en compte toutes les questions en jeu). C’est là un impératif premier.

D’autre part, le texte proposé par la Commission revêt une fragilité intrinsèque que les États ont d’emblée pressentie. Si l’objectif consiste réellement à leur permettre d’interdire la culture de certains OGM, voire de tout OGM, alors deux conditions sont requises, faute de quoi cette proposition se présentera au mieux comme une coquille vide, au pire comme une bombe à retardement. D’abord, elle doit permettre d’invoquer des raisons scientifiques autres que celles prises en compte par l’AESA et que cette dernière tend aujourd’hui à ne pas estimer nécessaires : comme le soutient à juste raison Corinne Lepage dans son rapport [2] , il faut introduire explicitement dans le texte la possibilité d’interdire les OGM pour des raisons environnementales ou agri-environnementales nationales ou locales, autres que celles étudiées par cette agence [3] . Ensuite et plus fondamentalement, il convient d’expliciter les considérations éthiques et socio-économiques que les Etats peuvent invoquer et ce en s’exposant le moins possible au risque d’un contentieux communautaire ou à l’OMC, ce qu’est loin de garantir le texte, comme l’a récemment confirmé le service juridique du Conseil de l’Union européenne [4] . Si chaque décision nationale est à l’avenir grevée d’un soupçon d’instrumentalisation de l’éthique, du social ou de l’environnemental à des fins protectionnistes, alors le pas en avant proposé par la Commission conduira rapidement deux pas en arrière.

Existe-t-il des alternatives ?

Il faut travailler à la reformulation de la proposition de la Commission, comme s’y est attelée Corinne Lepage à la demande du Parlement européen, en précisant sa rédaction et en traitant la question à la lumière du principe de subsidiarité. Parallèlement à la mise en œuvre des recommandations formulées par le Conseil de l’environnement en 2008, cette étape constitue un prérequis désormais indispensable à la reprise sereine d’une politique de mise sur le marché réfléchie d’OGM en Europe.

Propos recueillis par Julie Bègue et Cécile Constantin
Christine Noiville Présidente du CEES du Haut conseil des biotechnologies

Source : Droit de l’environnement, n°187, février 2011





[1Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2001/18/CE et proposant l’ajout d’un article 26 ter. V. COM (2010) 375 final.

[2Projet de rapport de Corinne Lepage sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2001/18/CE en ce qui concerne la possibilité pour les États membres de restreindre ou d’interdire la culture d’OGM sur leur territoire.

[3En énonçant que les Etats peuvent prendre des mesures sur des fondements autres que ceux liés à l’évaluation des impacts pour l’environnement ou la santé, la proposition de la Commission tend à empêcher les Etats d’avancer des arguments environnementaux ou sanitaires qui, aujourd’hui, ne sont pourtant pas ou sont peu pris en compte par l’AESA (notamment l’impact sur la biodiversité ou certains effets à long terme).

[4Avis du service juridique du Conseil, le 5.11.2010, 2010/0208 (COD), 15696/10.