En estimant que les nouvelles techniques de modification génétique dénommées NBT ne sont pas des OGM, Julien Denormandie contredit à la fois le droit européen, le Conseil d’Etat et les engagements du gouvernement en 2018, alerte, dans une tribune dans Le Monde, un collectif de responsables associatifs et écologiques.

Depuis quelques semaines, la question des nouveaux organismes génétiquement modifiés (OGM) – new breeding techniques (NBT), en français « nouvelles techniques de sélection » – a refait surface dans le débat public. Nous nous adressons au premier ministre, Jean Castex, et à la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili : nous espérons qu’ils vont, à leur tour, s’exprimer pour rappeler que ces organismes sont des OGM et doivent respecter la réglementation actuelle, comme le demande la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

En près de vingt ans, les nouvelles techniques de modification génétique ont fait leur apparition dans les laboratoires et tentent désormais de s’imposer sur les marchés européens. Ces nouvelles techniques, bien que travesties sous un nouveau nom, les new breeding techniques, procèdent à des modifications génétiques et sont à ce titre des OGM.

La Cour de justice de l’Union européenne ne s’y est pas trompée en juillet 2018 en jugeant que les nouveaux OGM devaient être soumis aux règles qui encadrent les OGM et ne pouvaient pas bénéficier d’une exemption de l’application de ces règles [l’arrêt de la CJUE vise les nouvelles techniques de mutagenèse, apparues ou principalement développées après 2001, et permettant d’altérer le génome d’une espèce vivante sans insertion d’ADN étranger, et notamment de développer des variétés de semences résistantes à des herbicides sélectifs].

 

Un risque

Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire [mai 2017-août 2018], ainsi que Stéphane Travert, alors ministre de l’agriculture et de l’alimentation [juin 2017-octobre 2018], Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, et Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, avaient à l’époque salué cette clarification. Les autorités disposaient enfin d’un cadre harmonisé à l’échelle européenne pour protéger les consommateurs et l’environnement.

Ces nouveaux OGM représentent en effet un risque pour la santé et l’environnement. En cultivant et en disséminant dans la nature des plantes génétiquement modifiées dont on ne peut anticiper les effets, nous menaçons la biodiversité et la pérennité de notre agriculture. Il est urgent de réglementer et d’encadrer strictement ces jeux d’apprentis sorciers !

Plus de deux ans après la décision de la CJUE, le gouvernement français n’a toujours pas publié le décret et les arrêtés devant définir le statut de ces nouveaux OGM au niveau national, ainsi que le lui enjoignait le Conseil d’Etat dans son arrêt du 7 février 2020. Aujourd’hui, la France est donc dans l’illégalité au regard du droit européen et du droit français !

Plus grave, le 7 janvier 2021, profitant de cette absence d’action du gouvernement pour respecter cette décision juridique, le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, s’est officiellement prononcé en faveur des nouveaux OGM. « Il faut être très pédagogue sur le sujet, a-t-il déclaré dans un entretien avec l’agence Agrapresse. Les NBT, ce ne sont pas des OGM. Ce sont des technologies qui permettent d’accélérer la sélection végétale. » « Il faut, a-t-il poursuivi, que les NBT aient une réglementation conforme à ce qu’elles sont, et pas à ce à quoi on voudrait les associer. Aujourd’hui, le cadre juridique européen n’est plus compatible avec le cadre scientifique. Nous attendons un rapport de la Commission européenne pour harmoniser les deux cadres. »

 

Un déni de la réalité

Le ministre de l’agriculture s’aligne ainsi sur les discours du lobby agro-industriel qui milite pour déréglementer l’usage des NBT. Cette déclaration, déniant la réalité scientifique et juridique, est irresponsable et dangereuse. Nous sommes très inquiets de cette prise de parole et ne pouvons pas laisser un ministre en fonctions colporter de fausses informations.

C’est le droit des consommateurs et des consommatrices de savoir ce qui se trouve dans leur assiette et de choisir de consommer, ou non, des OGM, comme c’est le droit des agriculteurs et agricultrices, notamment en agriculture biologique, d’être protégés par un cadre réglementaire clair. Or, seule une réglementation de ces nouvelles techniques dans le cadre relatif aux OGM le permettra, en rendant obligatoires une évaluation préalable, une traçabilité et un étiquetage.

Nous comptons sur Jean Castex et sur Barbara Pompili pour dissiper le flou que M. Denormandie essaie de créer autour du statut des nouveaux OGM : les plantes issues de ces techniques n’ont rien de naturel et correspondent bien à la définition européenne des OGM. Nous attendons du gouvernement un engagement clair à mettre rapidement en application les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil d’Etat.

 

Les signataires :

- Tom Baquerre, coprésident de Combat Monsanto

- Clotilde Bato, déléguée générale de l’association SOL Alternatives agroécologiques et solidaires

- Jacques Caplat, secrétaire général d’Agir pour l’environnement

- Elisabeth Carbone, secrétaire générale du Mouvement interrégional des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Miramap)

- André Cicolella, président de Réseau Environnement Santé

- Khaled Gaiji, président des Amis de la Terre France

- Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne

- Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch France

- Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France

- Patrick Lespagnol, président du Mouvement de l’agriculture bio-dynamique (MABD)

- Jacques Loyat, membre d’Attac France

- Tanguy Martin, administrateur d’Ingénieurs sans frontières Agrista

- Antoine Menou, coprésident du Réseau semences paysannes (RSP)

- Tania Pacheff, présidente de Cantine sans plastique France

- Christian Pons, président de l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF)

- Guillaume Riou, président de la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB)

- Jean-Christophe Robert, cofondateur de Filière paysanne

- Arnaud Schwartz, président de France nature environnement (FNE)

- François Veillerette, porte-parole de Générations futures

- Françoise Vernet, présidente de Terre & Humanisme.