Acte 1 : ETATS-UNIS – Autorisation des OGM : le ministère de l’agriculture au-dessus des décisions de justice

Une des conditions de la démocratie, telle qu’on la connaît en France mais aussi aux États-Unis, est la séparation des pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Ce n’est rien moins que cette séparation qui est en train d’être mise à mal par les Parlementaires étasuniens.

Lors de son passage devant la Chambre des Représentants (députés), il a été adjoint à la loi (H.R. 933) qui définit les lignes budgétaires pour les ministères et agences aux États-Unis, la section 735 qui stipule que « dans le cas où une décision [d’autorisation d’une culture] est ou a été invalidée ou annulée, le ministère de l’Agriculture doit, nonobstant toute autre disposition de droit, sur simple demande d’un agriculteur, d’un exploitant agricole, ou d’un producteur, immédiatement accorder une autorisation temporaire ». Autrement dit, si la Justice, comme ce fut le cas avec la luzerne GM, suspend l’autorisation accordée par le ministère de l’Agriculture, celui-ci pourra, si un agriculteur lui demande, contourner cette décision de Justice et accorder une autorisation temporaire de mise en culture de la luzerne GM. Le Sénat a voté la loi HR933 sans remettre en cause cet ajout. La loi, appelée par ses détracteurs « Monsanto Protection Act », est donc adoptée par le Congrès. La seule solution reste désormais un véto présidentiel.

Vent debout

Quand l’ajout pro-OGM, bien caché, a été découvert, le sang d’un certain nombre de militants et de député-e-s n’a fait qu’un tour. Ainsi, le Sénateur du Montana, Jon Tester, soutenu par certains autres Parlementaires, a proposé un amendement (n°74) qui visait à la simple suppression de l’ajout litigieux.

Dans son communiqué de presse, Jon Tester précisait : « Ses partisans l’appellent la disposition "assurance de l’agriculteur" , mais celle-ci n’assure en réalité que le manque de responsabilité des entreprises. [...] Le Congrès étasunien est en train de dire au ministère de l’Agriculture : même si un tribunal vous dit que vous n’avez pas suivi la bonne procédure et vous demande de recommencer, vous DEVEZ ignorer l’injonction du tribunal et permettre quoiqu’il arrive de planter ces cultures« . Non seulement cela nie l’idée de la Constitution de la séparation des pouvoirs, mais cela permet aussi aux cultures génétiquement modifiées de s’installer dans tout le pays - même si un juge décide que cela viole la loi. C’est un dangereux précédent. Cela paralysera l’USDA en mettant ce ministère au cœur d’une bataille entre le Congrès et les tribunaux ».

Par ailleurs, une campagne citoyenne a été organisée pour demander aux autres parlementaires de soutenir l’amendement de Tester, mais cela n’a pas suffit. En effet, le débat au Sénat est désormais clos. Et l’ajout en débat toujours présent. La loi a donc été adoptée par le Congrès.

par Christophe Noisette , mars 2013 INFOGM

Act 2 : OGM - Pas de veto de Barack Obama contre le « Monsanto protection act »

Après le vote par le Congrès de la loi cadre H.R. 933 sur les dépenses du gouvernement étatsunien (en anglais : Consolidated and Further Continuing Appropriations Act, 2013), cette loi controversée vient d’être signée par le Président Obama, signifiant son adoption finale et définitive.

Cette loi de 78 pages porte donc sur les dépenses du gouvernement - dont les dépenses liées à l’agriculture. Concrètement, elle a été adoptée pour dégager un budget provisoire pour l’année en cours, le temps de continuer les négociations entre les démocrates et les républicains sur le budget général.

Mais dans cette loi, a été introduite, de façon insidieuse, la section 735 qui permet au ministère de l’Agriculture de ne pas prendre en considération des décisions de justice. De façon insidieuse, car de nombreux congressistes n’avaient pas remarqué ce cheval de Troie de l’industrie biotechnologique. Et pernicieuse, car il était en effet difficile pour Obama de ne pas signer cette loi dont l’objectif était de ne pas bloquer le fonctionnement du gouvernement. Imposer son veto aurait relancé certains débats et blocages sur des questions plus générales. La stratégie des entreprises de biotech était donc très efficace. Introduire cinq lignes problématiques dans un ensemble cohérent, qui a demandé des mois de débat pour arriver finalement à un consensus, a payé.

Précisons aussi qu’à plusieurs reprises des tribunaux avaient suspendu des autorisations accordées à des plantes génétiquement modifiées (PGM) par le ministère de l’Agriculture, comme la betterave GM et laluzerne GM. Cette clause ne vise donc pas un problème hypothétique.

Le travail des lobbies

A sa décharge, le sénateur Blunt précise plusieurs points : d’une part, il s’agit d’une loi temporaire valable jusqu’à l’adoption finale du budget (le texte parle du 30 septembre 2013) et d’autre part, cette loi ne permet d’outrepasser une décision de justice que pour un an seulement. Autrement dit, si un agriculteur cultive une plante GM légalement adoptée, et qu’en cours de saison, cette dernière vient à être interdite par une Cour de justice, alors l’agriculteur pourra malgré le jugement, récolter et vendre sa production. « Cette loi ne donne qu’une protection d’un an », souligne le Sénateur. Mais pour les opposants aux OGM et à cette loi provisoire, un an c’est suffisant pour endommager sérieusement l’environnement...

A noter que le Sénateur Blunt a reçu de la part de l’entreprise Monsanto plus de 64 000 dollars US pour ses campagnes électorales entre 2009 et 2012. En tout, depuis le début de sa carrière, en 1989, ce Sénateur a reçu 83 250 dollars US de Monsanto, mais aussi de la part de groupes de lobby proches des industries de biotech. Selon le Center for Responsive Politics, il a reçu depuis 1989 près de 1,5 Millions de dollars US de la part d’entreprises liées à l’agrobusiness et 1,6 millions de dollars US de la part d’agences de lobby ou de conseillers juridiques. A titre indicatif, Monsanto, au cours de la dernière élection, a financé 55 députés et 24 sénateurs (principalement républicains, mais pas uniquement), pour un montant total de 316 000 US$.

Pour les opposants à cette loi de protection des intérêts de Monsanto, l’introduction de cette clause dans une loi à durée limitée a pour but de créer un précédent qui permettra, plus tard, de justifier son transfert dans d’autres lois. Il s’agit en quelque sorte d’un exercice de lobby, pour tester la porosité du Congrès. Exercice réussi...

Le 4 avril 2013, Inf’OGM par C. Noisette