OGM : La prudence jetée aux orties

Lors des demandes d’autorisation d’OGM, L’Agence Européenne de Sécurité Alimentaire (AESA) a pour rôle de conseiller la Commission Européenne sur les aspects scientifiques liés aux OGM. 

La crédibilité du panel de scientifiques, chargé de traiter les questions OGM, est fortement remise en cause par ce rapport qui dénonce les multiples conflits d’intérêts et les partis pris en contradictions avec le rôle de conseil de l’AESA. Plus grave encore, il apparaît clairement que l’AESA néglige le principe de précaution au profit d’intérêts économiques.

Le Panel OGM de l’Autorité Européenne pour la Sécurité Alimentaire (AESA) a bien mal démarré. En un an à peine, il a publié 12 avis scientifiques, pratiquement tous favorables à l’industrie des biotechnologies. Ces avis ont ensuite été utilisés par la Commission Européenne - elle-même l’objet de pressions croissantes de la part de l’industrie des biotechnologies et des Etats-Unis d’Amérique - pour imposer sur le marché, de nouveaux produits génétiquement modifiés (GM).

La Commission Européenne n’utilise pas l’AESA comme un moyen de favoriser le débat scientifique autour des OGM et des questions soulevées par les scientifiques en Europe. Au contraire, elle se sert de ses avis pour donner une fausse impression de consensus scientifique alors qu’en réalité, la situation est dominée par un intense débat qui est loin d’être clos, et par de nombreuses incertitudes. Même des membres de l’AESA se sont inquiétés de l’utilisation politique de leurs avis.

Les Amis de la Terre Europe / Friends of the Earth-Europe estiment que les membres de comités scientifiques influents ne devraient avoir aucun engagement qui puisse provoquer un soupçon de parti pris. Pourtant, on peut se demander si certains membres du Panel OGM de l’AESA respectent bien ces critères. L’un d’eux a des liens financiers directs avec l’industrie des biotechnologies et d’autres sont impliqués indirectement en participant activement à des conférences de première importance, organisées par l’industrie des biotechnologies. Huit membres du Panel OGM, y compris son président, participent déjà à l’évaluation des OGM à un niveau national et jouent donc ainsi un double rôle, ce qui signifie aussi qu’ils n’ont souvent pas le droit de voter lorsque des décisions sont prises par le Panel.

Plusieurs membres du Comité Scientifique, y compris son président, le professeur Kuiper, ont participé au projet ENTRANSFOOD, financé par l’Union Européenne. Le but de ce projet était de s’accorder sur des procédures d’évaluation et de gestion des risques et de communication afin de « faciliter l’introduction des OGM en Europe et d’amener ainsi l’industrie européenne dans une position compétitive ». Le professeur Kuiper, qui coordonna le projet ENTRANSFOOD, participait à un groupe de travail qui comprenait des représentants de Monsanto, Bayer Crop Science et Syngenta.

L’avis du Panel OGM sur les marqueurs de résistance aux antibiotiques ressemblait de façon remarquable à un document précédemment publié par le projet ENTRANSFOOD, certains passages étant repris mot à mot.

Les comités scientifiques de l’AESA peuvent aussi faire appel à une expertise extérieure. Bien qu’il soit légalement exigé de présenter officiellement les procédures qui président à cette sélection, elles n’ont pas été rendues disponibles pour le public. Est-ce un hasard ? Mais un des premiers experts appelés par le Panel OGM est un partisan bien connu du génie génétique et il a mené des recherches pour Monsanto et Bayer CropScience.

En 2003, le Panel OGM s’est auto-mandaté pour étudier l’utilisation des gènes marqueurs de résistance aux antibiotiques dans les plantes GM. Alors que la Directive européenne 2001/18 précise bien qu’il devrait y avoir identification et arrêt de l’utilisation de ces gènes marqueurs qui « pourraient avoir des effets indésirables pour la santé humaine et l’environnement », le Comité Scientifique décida de fournir un avis « prenant aussi en considération le peu d’alternatives disponibles ». Le président du Comité Scientifique alla même jusqu’à déclarer dans un communiqué de presse que l’avis du Comité confirmait que les gènes marqueurs sont nécessaires « pour s’assurer de l’efficacité de la sélection des événements transgéniques dans les plantes ».

Les Amis de la Terre Europe / Friends of the Earth Europe estiment qu’un comité scientifique dont le but est de protéger les consommateurs n’a pas à prendre en compte les contraintes techniques de l’industrie, si la technologie actuelle n’est pas sûre. Ce n’est pas le rôle d’un tel comité, non plus, de s’inquiéter de savoir si les gènes marqueurs sont un instrument « efficace » pour l’industrie des biotechnologies. L’avis d’un tel comité doit uniquement se concentrer sur la question de savoir si ces gènes marqueurs peuvent avoir des effets négatifs sur l’environnement et la santé humaine.

Dans le cas du gène ampR qui est présent dans le maïs Bt 176 de Syngenta, le Panel OGM a classé celui-ci comme appartenant au groupe des gènes marqueurs « qui ne devraient pas être présents dans les plantes destinées à être mises sur le marché ». Pourtant, le Comité Scientifique n’a pas soutenu l’interdiction prononcée par l’Autriche contre cet OGM, mais a déclaré que ses conclusions ne doivent s’appliquer qu’aux futurs OGM contenant ce gène.

Lors de l’examen de la demande d’autorisation pour le maïs Mon 863 de Monsanto, des questions concernant un certain nombre de résultats inhabituels lors d’un test de nourriture chez des rats ont été soulevées par de nombreux Etats-membres. Un directeur de recherche de l’INRA déclara qu’il avait été frappé par le nombre d’anomalies affirmant que "il y a là trop d’éléments où des variations significatives sont observées. Je n’ai jamais rien vu de pareil dans d’autres dossiers ». Toutes ces inquiétudes furent balayées par le Comité.

Suite à des désaccords importants entre les Etats-membres à propos du maïs MON 863, la Commission Européenne demanda à l’AESA d’examiner un nouveau rapport d’évaluation présenté par les autorités allemandes. Le rapport recommandait que l’on procédât à des tests supplémentaires afin d’étudier spécifiquement la possibilité d’effets inattendus, consécutifs à la modification génétique du maïs. Pourtant, le Panel OGM ne voulut rien entendre, réitérant son affirmation qu’aucun effet inattendu ne s’était produit. Les éléments sur lesquels le Comité Scientifique s’est basé pour étayer son jugement ne sont pas connus.

De même dans le cas du colza GT73 de Monsanto, plusieurs Etats-membres ont soulevé des questions quant à la qualité des études effectuées et à propos des résultats d’une étude de nourrissage de rats, montrant une augmentation du poids du foie chez les rats nourris avec ce colza GT73. Ceci n’empêcha pas le Comité de donner un avis favorable. A l’opposé, le « Comité scientifique régulateur pour la sécurité alimentaire des animaux » du Royaume Uni déclara qu’ « il ne pourrait se prononcer qu’après réception de données de qualité satisfaisante ».

La note de la Commission Européenne sur l’utilisation du principe de précaution stipule que « les décideurs doivent être conscients du degré d’incertitude attaché aux résultats de l’évaluation de l’information scientifique disponible ». Le Comité Scientifique s’est bien gardé de souligner le degré d’incertitude qui entache ses avis. De la même façon, l’Article 14 de la loi européenne sur la sécurité alimentaire (EC/178/2002) exige l’évaluation des effets à long terme des OGM et des effets des générations suivantes. Aujourd’hui cependant, les effets à long terme dus à l’alimentation avec des OGM ou de leur culture ne sont absolument pas pris en compte.

Source :Les Amis de le Terre, 2004