Pesticides, OGM, agrobusiness, énergies renouvelables... La fièvre du lobbying monte sur tous les sujets concernant l’environnement, aux Etats-Unis comme en Europe.

Depuis l’adoption par l’Union européenne, en 2008, du paquet énergie-climat et à l’approche de la négociation de Copenhague en décembre, le réchauffement climatique et ses conséquences sur les industries concentrent une grande part de l’énergie des groupes de pression du monde entier.

Outre-Atlantique, leur activité autour des questions de développement durable a "pris de l’ampleur depuis quatre ou cinq ans", constate Dave Welhold, président de l’association des lobbyistes américains qui revendique 12 000 cabinets affiliés (sur un nombre total estimé à 15 000).

A Bruxelles, on parle de 10 000 lobbyistes, toutes thématiques confondues. Un chiffre invérifiable mais qui témoigne de leur poids et de leur importance ; 1657 "représentants d’intérêts", dont plus de 600 disposant de bureaux à Bruxelles, étaient inscrits à la date du 8 juillet au "registre" ouvert par la Commission européenne.

C’est ce qu’indique une étude réalisée par Anthenor Public Affairs, un cabinet français de lobbying. Ce recensement, facultatif, englobe l’ensemble des acteurs : entreprises, fédérations professionnelles et ONG. Si incomplet soit-il, il montre en tout cas la prépondérance de la thématique environnementale : chaque entreprise ou fédération professionnelle qui s’inscrit au registre doit cocher dans une liste qui comporte 36 "centres d’intérêt" listés par les autorités européennes. Celui de l’environnement se place dans les tout premiers rangs, à quasi égalité avec "entreprises" et "marché intérieur".

L’essor du lobbying environnemental tient pour l’essentiel à la montée en puissance dans l’opinion publique des préoccupations liées à la santé et à l’environnement. La contre-attaque a aussi su s’organiser, car un lobbyiste en cache forcément un autre : son adversaire. Particulièrement actifs, Greenpeace Europe et ses quinze salariés ont en ligne de mire les faits et gestes du chimiste allemand BASF et ceux du groupe nucléaire Areva ; le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique, créé par Corinne Lepage, tout juste élue première vice-présidente de la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire du Parlement européen, est en embuscade derrière Monsanto ; Friends of the Earth ne lâche pas les compagnies pétrolières.

Comme tous ces "confrères", le Bureau européen de l’environnement (BEE), qui représente 140 associations de défense de l’environnement, commente les décisions de la Commission et des conseils des ministres. Au Parlement de Strasbourg, les députés s’assoient aux premiers rangs, les lobbyistes derrière, écologistes compris. Et ce sont ces rangs-là qui sont les plus garnis.

CONFUSION DES INTÉRÊTS

Même si le combat reste inégal entre les deux parties - quand Greenpeace emploie 15 salariés, l’Association européenne de l’industrie chimique en déploie 140 -, les ONG sont devenues mieux organisées et donc plus audibles. La plupart récusent le mot lobby, préférant le terme plus noble de plaidoyer. "Si on admet que nos associations défendent la cause de l’intérêt général face aux intérêts particuliers, alors oui, j’accepte d’être un lobbyiste", dit Arnaud Gossement, porte-parole de France Nature Environnement qui assure la vice-présidence du BEE.

Les ONG ont en tout cas le sentiment d’avoir permis, sur des dossiers difficiles, d’inverser le vapeur. "Sur le tabac, le plomb, l’amiante, de nombreux acteurs se sont emparés de ces sujets et ont réussi à en atténuer les effets néfastes", souligne Serge Orru de WWF France. Jouer contre ne suffit pas, même les plus activistes s’emploient à faire des propositions. Greenpeace produit ainsi des expertises, comme celle sur les parcs éoliens en mer du Nord publiée en septembre 2008.

Dans ces batailles, dont certaines restent mémorables, à l’instar de celle qui a abouti en juin 2007 à l’adoption du règlement Reach sur les substances chimiques, Bruxelles est en passe de supplanter Washington dans la hiérarchie des lieux d’influence. "Les standards réglementaires et industriels qui s’y décident ont des répercussions directes sur le marché mondial", explique Jorgo Riss, directeur de l’unité européenne de Greenpeace. Le réchauffement climatique donne le "la". "Sur les réductions des émissions de CO2, il est évident que l’Union européenne est en avance. Nous travaillons beaucoup avec nos collègues américains afin de leur donner des arguments, pour qu’ils puissent faire pression sur le Congrès", raconte M. Orru.

Mais de l’avis de beaucoup, il reste à organiser ce "Far West" du lobbying à Bruxelles, à en finir avec le "n’importe quoi, n’importe où, n’importe comment" que dénonce Mme Lepage. Au point que cet objectif est devenu un objet de lobbying en soi. Réunis au sein d’Alter-EU (Alliance for Lobbying Transparency and Ethics Regulation), quelque 160 ONG mais aussi des syndicats, des entreprises et des universitaires réclament "un lobbying responsable".

Dans ce domaine, les Etats-Unis font figure de modèle. L’adoption, en 1995, du Lobby Disclosure Act a permis une certaine transparence (parfois contournée) qui contraste avec l’opacité qui règne sur le Vieux Continent. Ces règles juridiques intéressent fort les associations européennes de défense de l’environnement.

Alter-EU demande que le registre européen soit obligatoire et non plus optionnel et qu’une non-inscription fasse l’objet de sanctions financières. On en est loin. L’étude d’Anthenor Public Affairs montre que seulement 13 % des entreprises françaises du CAC 40 sont inscrites au registre. Alter-EU souhaiterait aussi que la déclaration des dépenses engagées soit plus contraignante : aucun critère n’étant exigé, près de la moitié des entreprises et des fédérations professionnelles basées en France et inscrites au registre, déclare moins de 50 000 euros !

Mais la transparence ne réglera pas tout. Les pratiques les plus graves en matière d’influence relèvent beaucoup de la confusion des intérêts - comme l’attestent la présence de plusieurs anciens d’Exxon dans l’entourage de l’ancien président américain George Bush ou le pantouflage de hauts fonctionnaires dans les plus importantes sphères du pouvoir politique. A Bruxelles comme à Washington.

Source : Par Brigitte Perucca, Le monde, le 21 juillet 2009