Le 25 Mars 2008

Au delà de la dégradation de l’environnement de façon globale, une nouvelle préoccupation est apparue dans les années 80 avec le phénomène de « brevetage du vivant » entraînant dans son sillon la marchandisation de la nature.

En 1972 la Convention de l’UNESCO déclarait les ressources génétiques végétales comme faisant parties du « patrimoine commun de l’humanité ». Cependant, avec l’évolution du commerce international et des techniques de manipulation génétique, les grands laboratoires ont été en mesure de faire breveter leurs nouveaux gènes hybrides comme des inventions. Pour se prémunir contre les excès du brevetage, la Conférence de Rio en 1992 a conféré le statut de « patrimoine local » aux ressources génétiques de la nature, ce qui permet de réaffirmer la « souveraineté biologique des Etats » sur les trésors que renferme son environnement. Hélas, ces règles internationales ont rapidement montré leurs limites dans un contexte d’accélération de la globalisation et la dérégulation internationale a favorisé l’expansion du brevetage du vivant.

 

Les Droits de Propriété Intellectuelle sur le Vivant.

 

Pour bien comprendre la notion de brevetage du vivant, il faut d’abord se pencher sur la définition du brevet. Un brevet classique permet à l’auteur d’une invention ou d’un procédé d’en avoir l’exclusivité d’exploitation commerciale, pour une période comprise généralement autour de vingt ans. Le produit ou le procédé doit être nouveau, non évident pour une personne qualifiée et utile ou susceptible d’applications industrielles.Cependant le détenteur du brevet est légalement obligé de rendre publiques toutes les informations nécessaires à l’utilisation du procédé ou de l’invention, pour respecter la notion de concurrence du marché.
Si une entreprise ou une personne veulent utiliser une invention brevetée, elles doivent obtenir une licence d’exploitation de l’inventeur et devront payer des redevances (royalties). Dans certains cas, l’inventeur, lorsque ce n’est pas déjà une firme, choisit d’accorder une licence exclusive à une seule entreprise, lui conférant ainsi une position monopolistique sur le marché.
Breveter le vivant consiste donc à faire reconnaître par l’Office des Brevets (européen ou américain) qu’un composant du « vivant » appartient à une personne ou une entreprise. Ainsi, à l’instar des brevets déposés sur des inventions de type industriel, des entreprises ont réussi par extension à breveter un gène qu’elles ont décodé ou modifié, le principe actif d’une plante qu’elles ont pu isoler et caractériser.
Les entreprises de biotechnologie utilisent couramment l’échange de licences pour se donner mutuellement accès aux technologies qu’elles ont mises au point. C’est ainsi que Monsanto et Aventis CropScience se sont entendues pour partager leurs technologies de transgénèse du coton. Monsanto a également échangé des licences avec DuPont pour des variétés de maïs et de soja transgéniques.

De plus, les conditions d’obtention d’un brevet varient selon les législations. L’une des plus souples est la législation nord-américaine. En Europe, une directive gère ce problème : la directive 98/44 qui n’est pas encore transposée dans les législations nationales car elle soulève beaucoup de questions. Par exemple, la condition pour breveter un gène est définie par la nécessité d’avoir isolé le gène, d’avoir introduit une modification dans ce gène par génie génétique, de démontrer que cette modification est profitable pour une utilisation industrielle de ce gène modifié.

Cependant le brevetage est surtout régi par l’Organisation Mondial du Commerce (OMC) avec les Accords des Droits sur la Propriété Intellectuelle (ADPIC). En résumé, les accords ADPIC imposent la généralisation de la pratique du brevet dans des domaines où elle était rare ou absente avant 1994. C’est ainsi que l’ADPIC oblige chaque pays à adopter une loi imposant le »protection des droits de propriété intellectuelle... et donc protection des variétés animales et végétales jusqu’au niveau des micro-organismes et leurs dérivés. Deux types de législation sont possibles : le brevet (vivement encouragé) et les systèmes sui generis. Ces accords sont défavorables au Pays du Sud qui tombent dans une nouvelle dépendance vis-à-vis des innovations des Pays du Nord du fait du déséquilibre technique. De plus, dans le cas des OGM, les ADPIC remettent en cause la pratique du ressemage de sa récolte, une pratique agricole traditionnelle dans la plupart des pays du Sud. Enfin, au nom des ADPIC des agriculteurs sont poursuivis dans le monde entier pour avoir violer les « droits de propriété intellectuelle » sur les plantes OGM déposés par de firmes comme Monsanto et c’est là l’une des faces les plus inquiétante du brevetage du vivant. Donc finalement, tout cela a pour conséquence de d’accroître les tensions et les pressions sur les paysans du Sud, qui sont déjà défavorisés par des échanges internationaux inéquitables.

Les Pays du Sud victimes du « biopiratage ».

Ces considérations sur les tensions Nord/Sud nous font passer à un autre débat inhérent à celui du brevetage du vivant, celui de la « bioprospection » ou « biopiratage » selon le camp où l’on se place. En effet, une autre application du brevetage, et sans doute la plus controversée, consiste à faire breveter le principe actif d’une plante et le faire reconnaître comme une « innovation » alors même que cette substance est parfois connue depuis des millénaires. Des firmes comme Monsanto effectuent des recherches sur les pratiques médicales traditionnelles en Chine, en Amazonie et autres, pour identifier les plantes entrant dans la pharmacopée des peuples indigènes. Ensuite les chercheurs analysent la plante utilisée et en isolent le principe actif (i.e. la molécule de la plante qui agit effectivement dans ces pratiques médicales) et Monsanto, ou consorts, finit par breveter cette molécule et les séquences ADN qui codent pour elle. La conséquence du brevetage du vivant est que le produit breveté appartient au détenteur du brevet et que toute personne tiers désirant utiliser ce produit commercialement doit rémunérer financièrement le propriétaire. Ces pratiques sont dénoncées par ceux qui visent à défendre les cultures et savoirs traditionnels ayant mis en évidence les propriétés de ces plantes comme du "biopiratage" industriel. Ainsi, un brevet a été déposé aux Etats-Unis sur la quinoa, une plante originaire des Andes et à forte teneur protéique : il est devenu impossible aux paysans boliviens de l’exporter vers les Etats-Unis sans avoir à verser de royalties ( retrouvez plus d’informations sur le site de l’INRA) Finalement, après des pressions internationales, le brevet est tombé car on a considéré que le produit n’était pas nouveau sur le territoire américain.

C’est là toute l’ambiguïté du débat sur le brevetage du vivant, avec d’un coté une nécessité de protéger les inventions du génie biomoléculaire afin de soutenir la recherche et de l’autre des abus de « piratage » du patrimoine mondial de l’humanité par les entreprises multinationales. Les citoyens doivent donc se mobiliser pour réclamer à leur gouvernement un système d’échange Nord/Sud équitable et protégeant le patrimoine commun de notre planète. Il faut donc une remise en cause du système actuel de droit de propriété intellectuelle sur le vivant afin d’assurer une égalité d’accès aux ressources naturelles pour les générations futures et éviter la servitude alimentaire promise par Monsanto.