Le 25 mars 2008

L’ agriculture achète de plus en plus d’intrants à l’industrie, dont des semences pour une part importante mais variable selon les cultures. Quels changements apporterait l’introduction de plantes transgéniques ?

Les semences d’OGM seront très probablement plus chères pour pouvoir rémunérer la longue phase de Recherche/Développement et tous les investissements effectués par les firmes avant leur commercialisation. En cas de plante rendue résistante à un insecte, à un agent pathogène, l’agriculteur achètera sans doute moins de produits de traitement contre cet agent, ou bien s’il n’existait pas de traitement, il aura un rendement meilleur ; toutefois sa marge sera-t-elle augmentée de beaucoup compte tenu du prix plus élevé de la semence ? Il est probable que sa marge sera accrue (sinon il ne serait pas incité à utiliser la semence transgénique), mais sans doute faiblement. La conduite technique de la culture pourrait être parfois plus facile, du moins dans certaines situations, cependant cela est à voir au cas par cas et sur une période assez longue.

En utilisant une semence transgénique, l’agriculteur sera davantage lié à l’agro-industrie. Ainsi avec une plante rendue résistante à un herbicide, il devra nécessairement utiliser ce type de désherbant et sans doute la marque vendue par la firme qui a participé à la mise au point de la semence transgénique résistante ; il devra alors souvent utiliser un "package technologique" et suivre rigoureusement les prescriptions (plus rigoureusement qu’avec des plantes non transgéniques) s’il veut éviter des difficultés.

Si l’agriculteur cultive une plante transgénique à composition modifiée (par exemple du colza enrichi en tel ou tel acide gras), ce sera probablement sous contrat avec une firme qui lui fournira la semence, les produits de traitement, un cahier des charges à respecter pour la culture, et enfin qui achètera sa production. Si diverses formes de contrat ont existé de longue date dans une grande partie du secteur agricole, contrairement à l’image d’Epinal de l’agriculteur seul maître chez lui, on peut noter qu’elles ont rarement été à l’avantage des travailleurs de la terre eux-mêmes. En sera-t-il différemment aujourd’hui où les agriculteurs ont obtenu davantage de pouvoir de représentation et de défense de leurs intérêts de par leurs syndicats ? L’agriculture risque en tout cas d’être de moins en moins "paysanne" et davantage industrielle, alors que pourtant le génie génétique offre la possibilité d’une agriculture valorisant mieux les processus du vivant et reposant moins sur les produits chimiques.

L’apport de la biologie moléculaire à la connaissance du fonctionnement du vivant est considérable. Ce type d’approche pourrait devenir largement dominant dans la recherche agronomique, d’autant plus que beaucoup d’attentes sont placées en elle. Elle risque alors d’absorber la majeure partie des ressources et des investissements, ce qui détournerait d’autres types de démarches pourtant également nécessaires : d’une part la connaissance des organismes entiers, du fonctionnement des écosystèmes et la prise en compte de la globalité, d’autre part la recherche d’autres voies d’amélioration de la production (par exemple les méthodes de production intégrée où, pour contrôler les ravageurs sans nuire à l’environnement, on met en ¦uvre l’ensemble des éléments en jeu : sélection variétale, rotations, mode de conduite des cultures, lutte biologique ou intégrée, etc.). Une démarche scientifique basée essentiellement sur la biologie moléculaire pourrait conduire à des innovations peu adaptées aux milieux socio-économiques où elles doivent s’insérer, en particulier si une technologie présentée comme miraculeuse amène à négliger d’autres facteurs essentiels de la production agricole et alimentaire notamment dans les pays en développement.

Le génie génétique représente de gros enjeux économiques et financiers, et cela d’autant plus que les biotechnologies se développent dans un climat de compétition exacerbée. Compétition entre les firmes qui ont investi dans ce secteur, compétition entre pays agro-exportateurs sur les marchés mondiaux, compétition dans chaque pays entre producteurs agricoles, et enfin compétition au niveau de la commercialisation finale des produits entre firmes agro-alimentaires d’aval ainsi qu’entre grands distributeurs pour accroître leurs parts de marché. Ce contexte de compétition exacerbée détermine très fortement l’orientation des biotechnologies et du génie génétique et par là ses impacts potentiels. Or il peut être un facteur de risque en induisant une course en avant sans réflexion suffisante, même si les firmes &endash; particulièrement soucieuses de leur image de marque &endash; prennent et annoncent diverses précautions pour l’améliorer, ou du moins ne pas subir de dommage en ce domaine ! Les alliances, acquisitions et fusions en cours dans l’agribusiness pourraient aboutir à une très forte concentration du secteur en une poignée de complexes agro-industriels géants intégrant sous diverses formes la recherche, la production, la distribution et le marketing.

Un facteur supplémentaire d’emprise du secteur industriel sur l’agriculture pourrait être le développement des brevets. Compte tenu des coûts de R&D. du génie génétique, les firmes ont réclamé que les produits obtenus puissent être protégés par brevet, comme pour les autres inventions de l’industrie, sans s’en tenir aux simples droits d’obtention végétale. Les entreprises les plus importantes risquent ainsi de s’approprier une part du matériel génétique, ce qui pourrait freiner la création de nouvelles variétés par d’autres firmes.

Outre cette évaluation de l’impact de la diffusion du génie génétique en agriculture, il serait également utile d’analyser à l’aide d’un scénario prospectif les inconvénients ou avantages éventuels qu’entraînerait son refus dans certains pays : quelles seraient les conséquences d’une non commercialisation des OGM dans l’agriculture de l’Union Européenne alors qu’ils se diffuseraient dans d’autres parties du monde ?

Cet article est une reprise du site de l’INRA
extrait du dossier "agriculture et OGM"
Un article de Sylvie Bonny
Unité d’Économie et Sociologie Rurales
INRA Grignon-Massy-Paris-Versailles