Le 25 Mars 2008
D’apres un article recueilli sur le site de l’association Inf’OGM .

En 1996 et 1997, Monsanto a déposé trois demandes de brevet auprès de l’Institut National de Propriété Industrielle (INPI) brésilien : un premier sur des gènes chimériques [1], deux autres sur des séquences d’ADN améliorant l’efficacité de la transcription [2].

En principe, ces gènes ne sont pas brevetables en droit brésilien. Pourtant, contrairement à toute évidence, l’entreprise a avancé lors de l’instruction de sa demande que les gènes du premier brevet n’étaient pas des gènes, mais un élément d’un procédé non essentiellement biologique, ce qui permettrait sa brevetabilité selon la loi 9279. Le raisonnement, inspiré de la doctrine nord-américaine, était contraire à la législation brésilienne. La première demande a pourtant été acceptée le 6 août 1998, provoquant une semaine après, un recours par les entreprises concurrentes Zeneca et Nortox. Curieusement, le caractère administratif du procès a été écarté, passant au judiciaire [3] et cette situation dure depuis huit ans. Or, pendant le procès, Monsanto a pu maintenir ses droits de propriété industrielle. En d’autres termes, l’entreprise a réussi à maintenir depuis dix ans, soit presque la moitié de la durée d’un brevet, l’exclusivité commerciale sur une plante qui ne pouvait pas être brevetée au Brésil.

 

Les limites de l’ADPIC

 

Si l’ADPIC permet aux Etats de ne pas protéger par brevet certaines inventions dans le domaine du vivant, cette liberté n’est fonctionnelle que sur le territoire de ces Etats. Dès l’instant que les producteurs nationaux qui auraient profité de cette liberté veulent exporter dans des pays qui, eux, reconnaissent la brevetabilité de telles inventions, ils se retrouveront contrefacteurs. Ayant reproduit un soja GM, légalement au regard du droit brésilien, ils ne pourront exporter le grain hors du Brésil sans être reconnus contrefacteurs dans le pays d’importation.
Ainsi, en s’appuyant sur des brevets octroyés en Europe et aux Etats-Unis, les entreprises titulaires des brevets peuvent contrôler l’importation sur ces territoires de produits venus libres de droits dans le pays où ils ont été produits. Autrement dit, le choix du Brésil de ne pas admettre la brevetabilité des variétés et des gènes se heurte au droit de brevet reconnu dans d’autres pays, dès l’instant que les produits y sont exportés.

L’ADPIC permet que les pays garantissent aux titulaires des droits de propriété intellectuelle qu’ils octroient, le droit d’empêcher qu’un produit breveté entre sur leur territoire, s’il n’a pas fait l’objet d’une première mise sur le marché licite, c’est-à-dire avec le consentement du titulaire du droit. Tel est le principe “d’épuisement des droits”, dont le contenu est variable selon les Etats. Il y a épuisement des droits du titulaire du brevet quand le produit est commercialisé dans un pays où les royalties ont été payées. Le produit peut alors librement circuler. Si l’Etat importateur accepte le principe de l’épuisement des droits, le titulaire des droits de propriété intellectuelle, dans ce pays-là, ne pourra pas empêcher l’importation. Différents pays adoptent le principe, mais l’Europe ne l’accepte que dans l’espace communautaire, ne l’ayant pas reconnu dans l’espace international. Concrètement, l’entreprise titulaire des droits de brevet pourra agir contre ceux qui exportent leurs récoltes si le produit est exporté vers un pays qui accepte les brevets. Dans ce cas, il n’y a pas eu épuisement des droits du titulaire de brevet car le produit a été mis sur le marché au Brésil sans autorisation ni consentement du titulaire du droit de brevet. Le titulaire agira donc sur le lieu d’arrivée des exportations.
Pour l’Argentine et le Brésil, afin d’éviter le blocage des récoltes aux frontières de l’Union européenne, les producteurs et négociants sont amenés à conclure un accord avec l’entreprise titulaire des droits. Autrement dit, l’accord aboutit à ce que tout se passe, pour des exportateurs brésiliens, “comme si” plantes et gènes étaient brevetés au Brésil. Considérant l’importance de la production agricole brésilienne et argentine et la destination principale de cette production, on peut conclure que les libertés brésilienne et argentine en matière de propriété intellectuelle sont extrêmement limitées.

La stratégie de Monsanto pour contrôler le soja brésilien.

Monsanto a augmenté d’une façon substantielle son contrôle de la production de soja au Brésil et en Argentine par le biais des variétés transgéniques (soja RR).
Schématiquement, l’augmentation du contrôle s’est faite sur deux fronts : le contrôle de la production et la vente de semences, entre autres par l’acquisition d’entreprises semencières locales [4], et le contrôle des droits de propriété intellectuelle sur les semences transgéniques, produites par les agriculteurs. Un tel contrôle a été rendu facile par l’intérêt que les agriculteurs ont porté à ce soja, tolérant au glyphosate et, dans le cas brésilien, par l’attitude de l’Etat qui a permis les illégalités, malgré une décision de justice interdisant la production de soja RR.
Depuis 15 ans, Monsanto a augmenté substantiellement ses investissements afin d’étendre sa maîtrise du marché régional. Au Brésil, la holding contrôle les entreprises Monsanto Participações, Monsoy et Monsanto Nordeste. En Argentine, on trouve Monsanto Argentina. Or, le soja cultivé jusqu’à ce jour dans ces pays était le résultat d’investissements publics et privés réalisés depuis cinquante ans, ce qui a permis de mettre au point des dizaines de variétés locales adaptées aux diverses conditions régionales de la production dans ces pays.
En plus du rachat des semenciers locaux, la stratégie de Monsanto passe aussi par le contrôle des droits de propriété intellectuelle, lequel s’est fait de deux manières : par le contrôle des entreprises exportatrices et par les accords de transfert de technologie avec les entreprises concurrentes.

Le soja GM produit au Brésil n’a pas été élaboré par Monsanto ; c’est le résultat d’un croisement fait par les agriculteurs entre le soja Monsanto importé illégalement d’Argentine et le soja brésilien conventionnel. Selon le droit sur les obtentions végétales, ce soja devrait être considérée comme une variété distincte, juridiquement indépendante de celle de Monsanto et donc, le Brésil n’a pas à reconnaître de droits de propriété intellectuelle à Monsanto, ne reconnaissant pas la validité du gène breveté. Cependant, comme une partie de la production est exportée vers l’Europe qui reconnaît les brevets, le contrôle par Monsanto est possible au moment de l’importation sur le territoire européen. Les royalties sont d’ailleurs exigées pour l’ensemble de la production, génétiquement modifiée ou pas, du fait de l’absence de ségrégation rigoureuse des filières.

L’intérêt de Monsanto pour l’application effective de ses droits de propriété intellectuelle s’est accru depuis que le Brésil est devenu le troisième producteur mondial et que le soja RR a été légalisé, suite à des importations illégales et des amnisties successives des agriculteurs. Au final, pendant la saison 2004-2005, trois millions d’hectares étaient plantés avec du soja GM et c’est à cette date seulement que l’autorisation a été donnée. Aujourd’hui, Monsanto et les coopératives de l’Etat du Rio Grande do Sul estiment que 90% du soja est transgénique.

Une fois la culture autorisée, Monsanto est passée à une stratégie de collaboration avec les entreprises concurrentes. Par contrat, Monsanto a offert aux concurrents une licence d’utilisation du gène de résistance au glyphosate afin qu’ils l’incorporent dans leurs variétés de soja. Ces entreprises peuvent alors vendre, avec le consentement du titulaire du brevet, du soja GM. Les entreprises qui coopèrent gagnent des parts de marché, et surtout elles peuvent exporter en toute légalité.
En échange, les entreprises sous licence s’engagent à signer un accord avec les agriculteurs qui achèteront la semence “protégée”, qui les engagent à verser à Monsanto une redevance à titre de “taxe d’utilisation de technologie”. Monsanto, elle, en reverse 12,5% à l’entreprise licenciée.

Enfin, l’accord garantit que l’entreprise licenciée n’a pas le droit d’insérer dans une variété où figure le gène Monsanto d’autres gènes brevetés par des entreprises concurrentes, même si ces gènes procurent d’autres caractéristiques intéressantes. Le contrat standard prévoit que l’entreprise licenciée ne peut pas signer d’autres accords avec d’autres entreprises, en utilisant en même temps le gène Monsanto. Cela empêche les concurrents de s’implanter pour d’autres caractères et consolide le monopole de Monsanto sur la commercialisation du soja. Des contrats de ce genre ont été signés avec les entreprises FMT, Unisoja, Coodetec, et Embrapa (Entreprise publique de recherche agricole). De tels accords garantissent à Monsanto le contrôle de 82,7% de la production du soja brésilien. Et les entreprises licenciées, comme elles perçoivent 12,5% au titre de la taxe sur la technologie, sont incitées à vendre les semences GM au détriment des autres. Ces contrats ont été analysés par le Conseil de Défense de la Concurrence, en mars 2006, saisi par le Secrétariat de Défense Economique. Dans une décision provisoire, le Conseil a décidé que Monsanto et les entreprises partenaires devraient changer les clauses d’exclusivité du contrat pour permettre d’ajouter d’autres gènes, évitant ainsi le monopole de Monsanto.

A un niveau inférieur, Monsanto a aussi fait des accords avec les coopératives d’agriculteurs, concédant une réduction du montant des redevances à celles qui effectuent leur recouvrement. D’après l’entreprise elle-même [5], plus de 300 accords ont été signés avec des coopératives de toutes tailles. Dans ces accords, il y a des “réductions de prix de vente” allant jusqu’à 5% du prix normalement pratiqué. En contrepartie, Monsanto crée une base de données sur les agriculteurs qui cultivent le soja RR et peut rendre son contrôle plus effectif dans le futur.

 

Impacts des contrats et du brevet sur les producteurs

 

Dans ce schéma, les entreprises brésiliennes font leurs bénéfices en percevant les taxes d’utilisation de la technologie pour le compte de Monsanto. Et rares sont les agriculteurs qui remettent en cause le système élaboré par Monsanto. L’une de ces exceptions a été l’action intentée par la Coopérative Cotricampo, de Campo Novo, dans le Rio Grande do Sul, contre Monsanto [6]. Cette dernière dénonce l’illégalité de la perception de royalties (en raison de l’inexistence de droits de propriété intellectuelle sur la plante cultivée), l’impossibilité de la perception sur les grains produits (en accord avec le droit d’obtention végétale) et la formation de cartel avec les autres entreprises du secteur voire d’oligopole, étant donnée la domination du marché par Monsanto, Cargil, Bunge et ADM. La coopérative a obtenu une décision empêchant le prélèvement des royalties, qui a été annulée dans la Cour d’Appel.

Ce scénario juridique est extrêmement intéressant. Une entreprise a réussi, par différentes stratégies, à contourner la liberté souveraine du Brésil de choisir sa législation selon les règles de l’ADPIC. Elle a réussi, encore, à légitimer la commercialisation d’un produit qui avait été interdit par la Justice Fédérale, à partir du fait accompli selon lequel le soja transgénique s’était répandu dans tout le sud du Brésil. L’Exécutif brésilien, lui, à partir de l’ineptie de l’INPI qui, au lieu de suivre la loi brésilienne, se fonde sur la jurisprudence nord-américaine, a octroyé des droits de propriété industrielle sur un objet qui ne devrait pas être brevetable au regard de la loi. A partir des contrats avec ses concurrents potentiels, Monsanto a établi un système qui incite les agriculteurs à acheter du soja GM. Les montants perçus au titre de taxes de technologie ne sont pas divulgués par l’entreprise, mais peuvent dépasser les 100 millions de dollars au Brésil. Désormais, Monsanto contrôle unilatéralement les prix de redevances et les agriculteurs ont perdu le choix sur les semences à produire. Ainsi la société civile brésilienne demande que les autorités publiques de défense de la concurrence contrôlent le marché des semences et que le procès sur le principe de la brevetabilité des gènes [7] soit enfin clos... Ce à quoi le gouvernement du Rio Grande do Sul vient de “répondre” en permettant aux agriculteurs d’échanger leurs semences transgéniques illégales avec des semences transgéniques légales et certifiées. A quand un véritable Etat de droit au Brésil ?

Un article de Marcelo D. Varella, Professeur au Centre Universitaire de Brasilia.
Chercheur du Conseil National de Recherche Scientifique (CNPq)
Remerciements a Marie-Angèle Hermitte et les collègues du Groupe intégré de recherches en droit international économique (GIDE) du Centre Universitaire de Brasilia.

Retrouvez toutes les informations sur le site de l’association Inf’OGM





[1] PI 1100007-4, déposé le 06/08/1998

[2] PI 1101067-3, déposé le 14/05/1997 et PI 1101045-2, déposé le 14/05/1997

[3] Procès n° 990063442-0, en circulation devant la 14ème Chambre Judiciaire de Rio de Janeiro

[4] Agroceres, le plus grand producteur de semences, est devenu la Monsoy do Brasil. En achetant ces entreprises, Monsanto a acquis leurs banques de germoplasme, adapté au climat.

[5] Contestation du Procès 088/1.04.001125-7, devant la Chambre de Campo Novo, RS, item 127

[6] Procès 088/1.04.001125-7, devant la Chambre de Campo Novo, RS. La Cooperativa Cotricampo réunit 8721 agriculteurs, dans 12 communes du Rio Grande do Sul, totalisant une production, en 2003, de 1 700 000 sacs de soja.

[7] Procès n° 088/2.05.0001539-1