Agriculteurs, écologistes, ou tout simplement préoccupées par leur alimentation : quelque trois cents personnes ont manifesté mardi à Munich (sud de l’Allemagne) pour défendre le brocoli et la tomate ridée, et contre le brevetage à outrance du vivant.

L’ambiance était bon enfant devant l’imposant siège munichois de l’Office européen des brevets (OEB). Une "machine à brûler les brevets" envoyait des volutes de vapeur, agriculteurs en culotte de peau côtoyaient familles et militants politiques. "Le brevetage du vivant c’est la mort des paysans", "arrêtez de nous voler la base de notre existence", clamaient les pancartes.

A l’intérieur, dans l’atmosphère studieuse d’une salle de conférence, se décidaient, à coups de paragraphes et de subtilités de traduction, le sort d’un brocoli soi-disant anti-cancérigène et d’une tomate à faible teneur en eau. Et, dans une certaine mesure, la portée de la distinction entre découverte et innovation.

Une société britannique a identifié dans le brocoli un gène qui serait bénéfique, et a fait breveter le processus de sélection, les semences et chaque pied de cette plante. Le brevet est contesté par deux concurrents.

Dans le cas de la tomate, l’Etat d’Israël détient le brevet, le géant agro-alimentaire Unilever la verrait bien en ketchup.

La Grande Chambre de recours de l’OEB auditionne les parties cette semaine, et doit décider dans les prochains mois si les détenteurs des brevets ont bien inventé quelque chose, ou simplement appliqué des procédés de sélection naturels et ancestraux.

Bien que l’Office s’en défende, cette décision est considérée comme une étape importante dans le débat sur le brevetage de plantes et d’animaux.

La matière vivante fait déjà l’objet de brevets, notamment les organismes génétiquement modifiés. Mais "de plus en plus de demandes de brevets sont déposées pour des plantes issues de l’agriculture conventionnelle", relève Christoph Then, expert auprès de Greenpeace et un organisateur de la manifestation.

Une évolution qui inquiète fortement les agriculteurs. Ils y voient les prémices d’une concentration du marché des semences chez quelques grands groupes, comme Monsanto et Bayer.

Traditionnellement "les agriculteurs replantent une partie de la récolte", explique l’exploitant agricole français Guy Kastler, "et échangent leurs semences", un processus qui permet les croisements, et l’adaptation les cultures aux sols et au climat.

Si de plus en plus de semences sont brevetées, et leur utilisation et leur échange rendus payants, les fondations de toute la branche sont menacées. Et ce pas seulement en Europe, renchérit Kerstin Lanje, de l’organisation humanitaire Misereor, mais "pour tous les petits exploitants des pays en développement".

Pour Siobhan Yeats, directrice du département de biotechnologie à l’OEB, il y règne dans le monde agricole "beaucoup de peurs certes compréhensibles, mais sans beaucoup de substance".

L’institution ne tranchera d’ailleurs pas sur le fond. Les juges décideront "sur la base du droit, et rien d’autre", a martelé mardi Peter Messerli, président de la Grande Chambre de recours.

Les organisateurs de la manifestation, qui ont déposé à l’Office un Appel mondial contre le brevetage du vivant signé par 100.000 personnes, sont conscients de frapper à la mauvaise porte.

"L’Office ne peut pas régler le problème, c’est à la politique de le faire", concède M. Then, de Greenpeace. La législation en vigueur sur les brevets, notamment une directive européenne de 1998, est selon lui trop floue sur ces questions.

Plusieurs gouvernements européens, l’Allemagne en tête, ont promis de s’attaquer au problème.

Source : Rtlinfo.be, 20 juillet 2010