Monsanto « est plus puissant que le gouvernement ». La petite phrase a été lâchée récemment par le ministre québécois de l’Agriculture, dans une province qui espère depuis des années réduire sa consommation de pesticides. Une enquête de Radio Canada montre pourtant l’inverse : entre 2006 et 2012, la quantité de pesticides utilisés par les agriculteurs locaux a augmenté de 27 %. En tête des ventes : le Roundup, l’herbicide controversé de Monsanto. Le ministre a promis d’agir, tout en reconnaissant l’influence de « Monsanto et des autres de ce genre ».

Empire.

Avec 21 000 employés dans 66 pays et 15 milliards de dollars de chiffre d’affaires (14,2 milliards d’euros), Monsanto est un poids lourd de l’industrie agroalimentaire. Après des années de forte croissance (+17 % entre 2012 et 2014), la firme américaine traverse une période compliquée, due à la chute des cours des céréales, combinée au renforcement du dollar. Résultat : pour l’exercice fiscal 2015, achevé fin août, le chiffre d’affaires a diminué de près de 5 %. Le bénéfice net a chuté de 16 %, à 2,31 milliards de dollars. Monsanto a annoncé la suppression d’ici deux ans de 2 600 emplois. En dépit de ces difficultés, la firme reste le leader incontesté de la biotechnologie agricole : environ 80 % du maïs et plus de 90 % du soja cultivés aux Etats-Unis proviennent de semences OGM brevetées par Monsanto. Un quasi-monopole construit à coups d’acquisitions. Entre 1996 et 2008, la firme de Saint-Louis (Missouri) a racheté plus de 50 entreprises spécialisées dans les semences ou la biotechnologie.

Pour faire prospérer cet empire, Monsanto cultive des relations étroites au Congrès et au gouvernement américains. L’entreprise « a été très efficace pour convertir sa puissance économique en influence politique, à travers le lobbying et le "revolving door" », explique Philip Howard, de l’université du Michigan. Le « revolving door » (« porte tournante ») consiste, pour d’anciens hauts fonctionnaires, à rejoindre une entreprise privée du secteur dont ils avaient la charge, et vice-versa. On peut citer Margaret Miller, nommée directrice adjointe de la FDA (Food and Drug Administration) en 1991, et chargée de superviser l’approbation de l’hormone bovine de croissance rBGH, qu’elle avait contribué à développer chez Monsanto. Ou Michael Taylor, nommé en 2010 commissaire adjoint de la FDA à la sécurité alimentaire. De 1996 à 2000, il était le vice-président chargé des politiques publiques de Monsanto.

Le groupe compte aussi sur l’appui de nombreux élus américains. En 2014, il a versé 536 000 dollars à plus de 110 députés et sénateurs. Et a dépensé plus de 3 millions de dollars pour soutenir un projet de loi interdisant l’étiquetage des produits alimentaires contenant des OGM, mis en place par trois Etats (Connecticut, Maine et Vermont). En réponse, des élus républicains ont déposé un texte de loi interdisant cet étiquetage au niveau fédéral et privant les Etats du droit de légiférer sur le sujet. Adopté par la Chambre des représentants en juillet, le texte doit être étudié par le Sénat.

« Experts ».

Choses toute aussi inquiétante, Monsanto s’offre les services d’universitaires chargés d’apporter leur caution aux OGM et pesticides. Selon l’ONG Right to Know (Droit de savoir), deux professeurs des universités de Floride et d’Illinois ont été cités comme experts « indépendants » dans une trentaine d’articles de presse, sans mentionner qu’ils avaient reçu de l’argent de Monsanto. D’après une étude de Corporate Europe Observatory, 52 % des experts travaillant pour l’Autorité alimentaire européenne (Efsa) sur les pesticides ont aussi des liens avec l’industrie qu’ils sont chargés d’évaluer. Hasard ou pas, l’Efsa vient de juger « improbable » le risque cancérigène du glyphosate, le principe actif du Roundup. La Commission européenne pourrait décider de renouveler l’autorisation du glyphosate dans l’UE. L’Efsa va pourtant à l’encontre de l’Organisation mondiale de la santé qui, en mars, avait classé le Roundup comme cancérigène « probable » ou « possible ».

LES PROMESSES DE MONSANTO

Monsanto, pompier pyromane ? Accusée de contribuer au dérèglement du climat, la multinationale se présente comme l’un de ses sauveurs. Ainsi annonçait-elle mardi « des mesures visant à obtenir un bilan carbone neutre de ses activités d’ici 2021 ». Pour la production de soja et de maïs, Monsanto entend « réduire les émissions de gaz à effet de serre de 1 000 tonnes par an en équivalent-CO2, rien que pour les Etats-Unis ». Monsanto a déboursé près d’un milliard de dollars pour s’offrir The Climate Corporation, fondée par des anciens de Google et spécialisée dans l’analyse ultralocalisée du risque agricole et la vente de polices d’assurance associées. Elle défend le concept d’« agriculture climato-intelligente », que nombre d’ONG qualifient de « jeu de dupes » laissant le champ libre aux OGM et à l’utilisation intensive de pesticides et d’engrais chimiques. Le PDG de Monsanto, Hugh Grant, met en avant l’élément de langage favori de la firme, avançant que sans elle, l’humanité aura faim : « L’objectif est de nourrir 9,6 milliards d’humains de manière durable d’ici 2050. » C’est possible autrement, répond Olivier de Schutter, ex-rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation : « Il existe des alternatives agroécologiques, qui permettent d’atteindre des niveaux de productivité tout à fait satisfaisants. » Rotations de cultures, recyclage des déchets, fertilisation du sol par des plantes légumineuses… « L’agroécologie refuse de simplifier la nature : elle mise sur sa complexité. » C.Sc.

Frédéric Autran Correspondant à New York pour Libération, le 2 décembre 2015