En commençant par la modeste graine de luzerne pour finir avec le saumon atlantique génétiquement modifié, les controverses autour du génie génétique se sont multipliées et entrechoquées en 2010, et l’année se termine marquée par des incertitudes sans précédent.

La commercialisation du saumon de l’Atlantique génétiquement modifié (GM) et de l’« Enviropig » GM a débutée cette année aux Etats-Unis et au Canada. Le sort de ces animaux et de la discrète semence de luzerne façonneront l’avenir de notre système alimentaire et de la démocratie.

Les minuscules semences de luzerne ne sont pas généralement au centre des discutions mais cette année, elles se sont retrouvées sur le devant de la scène à l’occasion d’une confrontation entre Monsanto et des agriculteurs biologiques. Il n’est pas exagéré de dire que la luzerne GM menace l’avenir de l’ensemble du système d’alimentation et d’agriculture biologiques d’Amérique du Nord, compte tenu des rôles divers et variés que celle-ci joue dans de nombreux types d’agriculture et de l’inévitable contamination avec les OGM. En 2010, Monsanto a été contrainte de comparaître devant la Cour Suprême des États-Unis pour essayer d’introduire sa luzerne Roundup Ready OGM. La multinationale n’a pas eu gain de cause et il est toujours illégal de planter de la luzerne OGM aux États-Unis. Le ministère de l’agriculture américain est contraint par les tribunaux de publier une étude d’impact environnemental, mais une fois celle-ci achevée, les plantations pourraient démarrer. Les agriculteurs biologiques canadiens ont fait part de leur expérience de contamination génétique de colza bio au ministère de l’agriculture dans l’espoir de faire pencher la balance contre Monsanto. Pendant ce temps, au Canada, les agriculteurs conventionnels et biologiques continuent de faire pression sur le gouvernement fédéral pour essayer de trouver un moyen de stopper la luzerne OGM.

Parallèlement à cela, les agriculteurs biologiques aux États-Unis se sont opposés avec succès à la betterave à sucre OGM (betterave à sucre blanche destinée au traitement du sucre). En août, un tribunal américain a décrété que le ministère de l’agriculture n’avait pas réalisé d’ analyse adéquate des impacts des betteraves à sucre OGM sur les agriculteurs et sur l’environnement. Leur culture et leur vente ont donc été jugées illégales jusqu’à ce que le ministère de l’agriculture ait effectué une évaluation complète de l’impact environnemental.

Cependant, comme cette étude risque de ne pas être terminée avant 2012, Monsanto et l’industrie sucrière ont fait pression sur le ministère de l’agriculture américain en proposant de procéder à des plantations au printemps prochain. Toutes les semences de betterave à sucre du Canada, cultivées en Alberta et en Ontario du Sud, proviennent de la vallée de la Willammette en Oregon. Ainsi, si les betteraves à sucre OGM ne peuvent être plantées aux États-Unis, il n’y aura peut-être pas de semences de betterave à sucre OGM pour le Canada.

« L’alerte a été lancée »

De manière tout à fait prévisible mais malheureuse, des chercheurs universitaires ont « lancé l’alerte » après avoir détecté la présence de transgènes dans 80 % des plants de colza sauvages qu’ils ont testés dans le Dakota du Nord. Le colza apporte une nouvelle fois la preuve que les plantes OGM peuvent survivre et bien pousser dans la nature, pour peut-être des décennies. Il ne s’agit cependant pas de la première preuve documentée de contamination. Il a récemment été révélé que le Ministère de l’agriculture de l’Oregon et des États Unis ont refusé d’alerter le public que l’herbe agrostide Roundup Ready OGM d’une parcelle-test de l’Idaho de l’Ouest avait contaminé des fossés d’irrigation dans l’Oregon de l’Est. L’herbe agrostide sauvage OGM nous donne une idée du sort de la luzerne GM. Toutefois, cette contamination va évidemment de pair avec le problème particulier de la tolérance à un herbicide induite par la manipulation génétique des plantes sauvages pour résister aux pulvérisations d’un herbicide spécifique. La plupart des cultures GM sur le marché sont tolérantes à un herbicide et la majorité d’entre elles sont Roundup Ready, c’est-à-dire tolérantes au Roundup, le célèbre herbicide de Monsanto, et à son ingrédient actif, le glyphosate.

L’utilisation excessive du soja, maïs, colza et coton Roundup Ready OGM de Monsanto montre désormais un résultat prévisible. 2010 fut l’année des super mauvaises herbes. L’amarante compte parmi les 10 espèces de mauvaises herbes dans 20 états des États-Unis, et une en Ontario, qui sont devenues résistantes au glyphosate. L’expansion rapide de l’amarante résistante au glyphosate constitue un échec agronomique majeur de la technologie Roundup Ready et un choc économique pour les agriculteurs. Dans la zone cotonnière des Etats-Unis, l’amarante oblige les agriculteurs à se tourner vers des herbicides plus toxiques comme le paraquat et à abandonner leurs ramasseuses à coton pour embaucher de la main d’œuvre. Ce problème a en fait déclenché au sein des compagnies chimiques une course à l’élaboration de nouvelles semences OGM ou à l’utilisation de vieux herbicides pour attaquer les mauvaises herbes résistantes. « L’industrie biotechnologique nous entraîne vers une agriculture encore plus dépendante des pesticides que ce qu’il avait promis et nous devons prendre la direction contraire », a déclaré Bill Freese du Center for Food safety à Washington.

Monsanto a également visé trop haut en 2010 et a désormais du mal à joindre les deux bouts. En 2009, les États-Unis et le Canada ont autorisé le nouveau maïs à 8 traits de Monsanto le « SmartStax », qui combine plusieurs traits de résistance aux insectes et est tolérant à deux pesticides, avec une flambée des prix allant jusqu’à 42 %. Le cours des actions de Monsanto a sensiblement chuté en cette fin d’année alors que les résultats indiquaient que les quantités de semences SmartStax achetées par les agriculteurs étaient inférieurs aux prévisions du semencier. L’année fut donc difficile pour le leader mondial des semences et des biotechnologies. Tandis que le Ministère américain de la justice intensifiait son enquête anti-trust, que les agriculteurs haïtiens brûlaient les semences de maïs hybrides offertes par Monsanto, Monsanto commençait à accorder des rabais aux agriculteurs pour qu’ils puissent acheter des herbicides de concurrents afin de tuer les mauvaises herbes résistantes au Roundup.

Monsanto fait aussi l’objet d’une enquête en Virginie de l’Ouest où elle est soupçonnée d’avoir trompé des agriculteurs à qui elle avait promis de meilleurs rendements grâce au soja Roundup Ready 2 Yield. Après avoir transformé son activité chimique en activité de « semences et de biotechnologie », Monsanto commence à montrer des signes de fatigue du faite d’une technologie qui doit encore faire ses preuves et le semencier doit aussi se battre contre tous les problèmes associés.

Les agriculteurs d’abord !

Cette année, pour la première fois depuis15 ans de récoltes OGM, les agriculteurs ont pu se faire entendre au Parlement (canadien) et nos députés ont débattu de certains problèmes réels. Ces discussions ont été déclenchées par le projet de loi C-474, qui exige qu’« avant toute autorisation de semence transgénique, que soit menée une analyse du risque potentiel pour les marchés d’exportation. » Ce projet de loi d’initiative parlementaire a obligé le secteur des biotechnologies à défendre ses pratiques d’introduction de cultures GM, quand bien même la contamination viendrait faire perdre leurs marchés d’exportation aux agriculteurs canadiens. La réglementation canadienne ne prévoit pas et n‘autorise même pas de prendre en considération l’impact économique des cultures GM et les agriculteurs ne disposent d’aucune structure pour partager leurs connaissances ou exprimer leurs inquiétudes. En 2001, les producteurs de lin ont annoncé que le lin GM ruinerait leur marché européen et ont eu raison en 2009 lorsque la contamination génétique a mis un terme aux exportations canadiennes de lin. Malgré cet exemple parlant, les partis libéral et conservateur refusent de reconnaître l’existence d’un problème, même avec la solution partielle du projet de loi C-474à l’agenda.

Avant que les Libéraux et les Conservateurs clôturent les débats sur ce projet de loi, le Comité de l’agriculture de la Chambre des Communes a entendu les témoignages de groupes représentant les producteurs conventionnels et biologiques de luzerne qui ont décrit comment la manipulation génétique porterait inévitablement préjudice aux agriculteurs. Les députés conservateurs et libéraux ont eu du mal à croire en cette déclaration et, au lieu de poursuivre l’enquête, ont clôturé les discussions. Le 28 octobre, le président de l’Union nationale des fermiers a été débouté du Parlement lorsque les débats auxquels il était prévu qu’il participe ont été annulés. Le débat autour du projet de loi C-474 a été si efficace jusqu’à ce stade que les Libéraux et les Conservateurs ont trouvé qu’une échappatoire en présentant une nouvelle motion au Comité de l’agriculture, lui demandant « de mener une étude sur la situation du secteur canadien des biotechnologies ; de se rendre dans les universités partout au Canada où cette technologie est principalement utilisée ; de recommander, au besoin, des changements législatifs, stratégiques et réglementaires afin de favoriser une industrie de des Biotechnologies novatrice et fertile au Canada. »

Cette étude ne va ni résoudre ni analyser le problème identifié par le projet de loi, elle apporterait au secteur des biotechnologies une plateforme de relations publiques tout en permettant aux Libéraux et aux Conservateurs d’expliquer aux électeurs qu’ils réagissent, même si cela est inutile, au problème controversé du génie génétique.

Le projet de loi C-474 identifie le principal problème du génie génétique : Il n’y a pas de processus de décision démocratique pour ce qui concerne le génie génétique et les cultures OGM peuvent nuire et nuisent véritablement aux personnes censées en tirer des bénéfices– les agriculteurs. La violente réaction du secteur industriel envers ce projet de loi montre bien que lorsque la priorité est donnée aux agriculteurs et à l’alimentation, Monsanto est bon dernier. Le vote final du projet de loi C-474 devrait avoir lieu à la mi-décembre. Passez à l’action et rendez-vous sur www.cban.ca/474

Lucy Sharratt est la coordinatrice du Réseau Canadien d’Action sur les Biotechnologies (www.cban.ca).

Source : Lucy Sharratt, Common Ground, décembre 2010

Traduction : Combat Monsanto, le 3 décembre 2010