Les revenus de Monsanto ont baissé en raison de l’arrivée de copies génériques de son produit vedette, le Roundup Ready, l’herbicide le plus utilisé au monde.

Il apparaissait inébranlable. Monsanto, le plus grand et le plus détesté semencier au monde, vit pourtant des difficultés financières. Non pas que l’engouement pour les organismes génétiquement modifiés (OGM) se démente complètement, mais plutôt que la concurrence augmente en même temps que les cas de résistance.

La valeur de Monsanto à la Bourse de New York s’est effritée au cours de la dernière année. En janvier, l’action valait autour de 87$, loin du sommet de 140$ atteint au milieu de 2008. Cet été, elle avait encore fondu de moitié. Ces dernières semaines, toutefois, elle a récupéré un peu pour se fixer autour de 60$. La multinationale ne souffre plus seulement de la mauvaise presse des opposants aux OGM, qui l’ont en sainte horreur.

Ses revenus ont baissé considérablement en raison de l’arrivée sur le marché américain de copies génériques de son produit vedette, le Roundup Ready, dont les brevets sont expirés aux États-Unis. L’herbicide le plus utilisé au monde fonctionne de pair avec plusieurs semences génétiquement modifiées pour y résister, toutes élaborées par Monsanto. C’est d’ailleurs la planche de salut de l’entreprise biotechnologique, qui mise désormais plus sur les semences que sur les produits chimiques pour croître.

Monsanto a aussi vu sa grande nouveauté, le maïs Smartstax, qui combine huit gènes résistant aux insectes et au Roundup, donner des résultats mitigés. Les récoltes de ce nouvel OGM n’ont pas été plus généreuses que celles de variétés moins complexes et moins coûteuses. Les agriculteurs qui ont payé le gros prix pour l’utiliser sont donc déçus. Pour acheter la paix et stimuler les ventes de l’an prochain, Monsanto a d’ailleurs coupé des deux tiers les redevances liées à son dernier-né avant même que la présente récolte soit complétée. Le prix de son soya transgénique est aussi en baisse de 75%.

C’est que la concurrence s’active sur le marché des OGM. Pour la première fois cette année, la multinationale DuPont a pris les devants dans le marché du soya aux États-Unis. Bayer gagne également du terrain avec ses plantes résistantes à l’herbicide Liberty. Les ventes totales d’OGM, elles, continuent de croître au niveau mondial, mais à un rythme moins effarant que par les années passées.

L’autre variable dont l’effet est difficile à évaluer, c’est l’augmentation des cas de résistance au glyphosate, le nom scientifique du Roundup. Aux États-Unis, plusieurs agriculteurs se butent à des mauvaises herbes qui restent debout malgré les arrosages d’herbicide. Quelques cas ont également été révélés au Canada, mais ils sont peu nombreux en comparaison. Simple calcul mathématique, puisque les superficies ensemencées en OGM sont moindres qu’aux États-Unis.

Pour François Belzile, professeur au département de phytologie à l’Université Laval (Québec), tous les cas sont inquiétants. "Ce que je crains personnellement, ce sont des formes d’abus. Dans certains pays et certaines régions, on ne pratique plus aucune rotation effective. On fait une culture Roundup Ready après une autre, même si on change de variété, ça reste le même moyen de lutte contre les mauvaises herbes. On voit ce qui est en train d’arriver : il y a certaines mauvaises herbes qui acquièrent une tolérance à cette chimie-là. Ce n’est une surprise pour personne", explique-t-il.

M. Belzile est par ailleurs sceptique devant les techniques de marketing utilisées par les semenciers pour séduire les agriculteurs. "Il n’y a pas une tonne de nouveautés. Ce qui change, ce sont les combinaisons de gènes, le packaging. Et le danger, c’est de vendre à quelqu’un des options dont il n’a pas besoin, comme quand on s’achète une automobile", dit-il.

Éric Darier, de Greenpeace sur les questions agroalimentaires, hésite à se réjouir trop vite des difficultés du plus grand concepteur d’OGM au monde, d’autant que d’autres multinationales des semences sont prêtes à prendre sa place. "Ça révèle une crise qu’on prédisait il y a quelques années, à l’effet que les OGM n’allaient pas résoudre tous les problèmes et qu’on retardait des choix qui auraient dû être faits en faveur d’une agriculture durable", se permet-il cependant. Selon M. Darier, les agriculteurs américains "se rendent compte de plus en plus que ce n’est pas la panacée. [...] Ils se posent la question : est-ce que ça vaut vraiment la peine que j’aille acheter des semences OGM qui coûtent un peu plus cher sans avoir les avantages que Monsanto me promettait ?"

Benoît Legault, directeur général de la Fédération des producteurs de cultures commerciales du Québec (FPCCQ), résume bien en disant que ses membres sont ’pris entre deux feux’. Ils voudraient pouvoir réutiliser leurs semences sans payer de redevances, mais sont conscients qu’il faut encourager la recherche, puisque le secteur public ne suffit pas à la tâche. "On n’aime pas comment Monsanto le fait, mais le principe que la compagnie puisse récupérer une partie de son investissement pour faire de la recherche, ce n’est pas fou", dit-il.

Un analyste financier cité par The New York Times croit que l’avenir de Monsanto, et donc des OGM, repose sur cette disposition des agriculteurs à payer pour des technologies nouvelles. "Le jury ne s’est pas encore prononcé. Ça va prendre encore un an ou deux pour rassurer les gens", croit Laurence Alexander, de Jefferies & Company.

Source : Greenpeace Suisse, le 22 novembre 2010