Le quotidien s'est replongé dans les documents internes du géant de l'agrochimie, déclassifiés à la demande de la justice américaine. Ils révèlent que des écrits de Monsanto sur le glyphosate ont été largement diffusés, sous les noms d'experts reconnus.

Des personnes manifestent contre le géant américain de l'agrochimie Monsanto, à l'extérieur de la Commission européenne à Bruxelles (Belgique), le 19 juillet 2017.  (ALEXANDROS MICHAILIDIS / AFP)
Des personnes manifestent contre le géant américain de l'agrochimie Monsanto, à l'extérieur de la Commission européenne à Bruxelles (Belgique), le 19 juillet 2017.
(ALEXANDROS MICHAILIDIS / AFP)

C'est une véritable opération de "désinformation organisée", assure Le Monde. Un nouveau volet de l'enquête du quotidien sur les "Monsanto Papers", publié mardi 4 octobre, révèle comment le géant américain de l'agrochimie pratique largement le "ghost-writing", ou "écriture fantôme". 

Avec cette technique, jugée comme une faute grave dans le milieu scientifique, des employés de Monsanto ont pu diffuser en secret leurs propres études dans des revues scientifiques et médias généralistes au cours des dernières années, précise le quotidien. Ces textes étaient, en fait, signés par des scientifiques, rémunérés pour ce service de "blanchiment" des études de l'entreprise.

Selon le Le Monde, cette stratégie est tellement généralisée que des salariés de Monsanto utilisent eux-mêmes le terme d'"écriture fantôme" dans leurs correspondances. Franceinfo vous détaille trois révélations du quotidien à ce sujet.

Des écrits d'experts "passés en revue" et "lourdement amendés" par Monsanto

En se replongeant dans les "Monsanto Papers", ces documents internes de Monsanto rendus publics par la justice américaine, Le Monde dévoile l'organisation d'une telle stratégie d'"écriture fantôme" au sein de l'entreprise. Le quotidien explique notamment comment le géant américain a demandé à un cabinet de consultants, Intertek, de lui trouver près de 15 experts, professeurs et consultants privés, pour rédiger des synthèses sur les liens entre le glyphosate et le cancer. 

Ces experts, rémunérés par Monsanto, écrivent cinq articles sur le sujet. Selon Le Monde, qui s'appuie sur des correspondances issues des "Monsanto Papers", des employés de la société américaine les ont ensuite "passés en revue" et "lourdement amendés". Certaines équipes de Monsanto auraient peut-être même directement écrit plusieurs de ces articles, avance le quotidien.

En septembre 2016, ces cinq études sont publiées dans une édition spéciale de la revue Critical Reviews in Toxicology. La revue scientifique précise que Monsanto a financé ces recherches. Les articles en question affirment que le glyphosate n'est pas cancérigène. "Ni les employés de la société Monsanto, ni ses avocats, n’ont passé en revue les manuscrits du panel d’experts avant leur soumission à la revue", affirme Monsanto en bas de chaque texte. Les révélations du Monde prouvent aujourd'hui le contraire. 

Des textes largement relayés par la littérature scientifique

Dans son enquête, Le Monde s'interroge sur l'ampleur du phénomène. Combien de scientifiques ont-ils ainsi prêté leur nom pour diffuser des écrits de Monsanto défendant le glyphosate ? Le quotidien explique notamment qu'un article sponsorisé par Monsanto, expliquant l'absence de danger de cette molécule présente dans de nombreux herbicides, a été cité... plus de 300 fois dans la littérature scientifique. "Il est, en somme, devenu une référence", explique Le Monde.

Le journal développe aussi l'exemple emblématique d'une étude sur les liens entre le glyphosate et le développement du fœtus. En novembre 2010, l'une des principales toxicologues de Monsanto, Donna Farmer, envoie les "46 premières pages" d'un article à un cabinet de consultants, qui sera ensuite chargé de sa publication dans une revue scientifique. L'étude est publiée dans le Journal of Toxicology and Environmental Health, Part B, mais le nom de Donna Farmer n'apparaît nulle part. Seuls les consultants extérieurs, missionnés par Monsanto, sont cités. Une nouvelle fois, l'étude affirme que le glyphosate ne présente pas de risques pour le fœtus. 

Monsanto s'invite aussi dans les médias généralistes

Et le phénomène ne s'arrête pas aux publications scientifiques. Selon Le Monde, plusieurs articles du biologiste américain Henry Miller, publiés par le magazine économique Forbes, ont, en réalité, été écrits presque entièrement par des salariés de Monsanto. Le géant de l'agrochimie a sollicité le scientifique dès février 2015, pour contrecarrer les travaux du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) sur les risques du glyphosate. Cette Agence de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a en effet conclu que la molécule était un "cancérogène probable" pour l'homme. 

Un cadre de Monsanto propose alors à Henry Miller d'"en écrire davantage au sujet du Circ, son processus et sa décision controversée", révèlent les "Monsanto Papers" cités par Le Monde. "J’ai les informations de base et je peux les fournir si besoin", poursuit ce salarié. Le biologiste accepte. Le texte que Monsanto lui transmet est diffusé presque sans changement sur Forbes.com.

En août dernier, à la suite de ces révélations, le magazine économique a supprimé l'ensemble des tribunes signées par Henry Miller sur son site. En cause : un "conflit d'intérêts" évident entre le travail du chroniqueur et ses liens avec Monsanto. Interrogés par Le Monde, plusieurs autres scientifiques visés continuent de nier toute "écriture fantôme". Tout comme Monsanto, qui évoque un e-mail "sorti de son contexte".

 

Source : France Info